Avec les planteurs de café du Nicaragua

Famille belge sans attache depuis cinq ans, les Dillen alternent voyages et projets de vie. Au Nicaragua, au cœur de la forêt tropicale, ils sont partis à la rencontre d’une communauté qui s’est accrochée à sa terre, produit son café, et ouvre ses portes à une expérience d’agrotourisme solidaire.

Par Nathalie Dillen. Photos D.R. |

Le Nicaragua… On y débarque avec des paysages de cartes postales plein la tête, des images de toucans, de colibris, de cocotiers sur une plage idyllique. Et on atterrit, fatalement, à Managua, où se mêlent le chaos d’une capitale qui ne s’est toujours pas relevée d’un tremblement de terre dévastateur en 1972 et, malgré tout, une atmosphère très attachante. Dès qu’on s’en s’éloigne, c’est un pays envoûtant qui s’étire, du Pacifique à l’Atlantique — les deux bandes bleues de son drapeau.

Entre le très touristique Costa Rica et l’effervescent Honduras, le Nicaragua se vend à peine. À l’image de ses habitants, il s’ouvre et vous accueille simplement. Il n’a pas de prétention. Et pourtant, il produit, laborieusement, ces précieux grains de café qui se négocieront cher en Bourse… Cette culture a été apportée par les émigrants allemands qui, à l’époque de la fièvre de l’or, se sont installés ici. On avait trouvé des filons dans les parages. Mais ils se sont vite taris… En 1865, ces nouveaux habitants ont planté les premiers plants de café, dans la ferme de la Selva Negra, la Forêt Noire, du côté de San Ramon. Aujourd’hui, cette vallée est la “capitale” du café, contrôlée par de grandes fincas aux mains de puissants monopoles qui savent jongler avec le quintal et les taux boursiers…

Ce ne fut pas toujours le cas. En 1986, dans la foulée de la Révolution sandiniste, le Nicaragua impose en effet une grande réforme agraire. Les paysans s’organisent alors en coopératives.  Revenus depuis au pouvoir, les anciens grands propriétaires ont racheté leurs lots, mais certaines structures ont résisté, comme la coopérative de La Reyna. C’est une des plus anciennes du pays. Et des plus emblématiques. Nous, on n’a jamais remis de titre de propriété aux membres. La terre appartient indistinctement à la communauté. Les membres gèrent leur terre et ont le droit de la travailler, explique fièrement Andrès, son vice-président. Pour en faire partie, les membres doivent payer un apport social — minime —, suivre 40 heures de formation gratuite et être admis par le conseil d’administration.

Actuellement, le C.A. de La Reyna compte 33 hommes et 34 femmes. C’est sans doute ce pragmatisme et cette cohésion qui leur ont permis de surmonter la catastrophe de 2002, quand 80 % du café, à l’échelle nationale, ont été fauchés par la rouille, un champignon qui asphyxie les feuilles avant de les faire tomber. Beaucoup de domaines ont replanté une variété plus résistante. Guide nature et ami de longue date des habitants de La Reyna, Federico Gomez, les a convaincus d’adopter une autre démarche. De conserver les meilleurs plants de caturra, bourbon, maracaturra — le Nicaragua compte quinze espèces de caféiers —, mais de faire le pari de la biodiversité.

Les “cerises“ du caféier, qu’on cueille avec soin et respect.

Poulets et nacatamales

La coopérative a aussi décidé de s’ouvrir au tourisme. Un agrotourisme communautaire et solidaire qui assure aujourd’hui 40 % de leurs revenus. C’est grâce à cette démarche qu’ils ont pu créer, entre autres, une école primaire pour les enfants de cette centaine de familles, ou encore amener l’électricité. Outre les randonnées dans la montagne, l’exploration de l’ancienne mine d’or ou l’observation de la faune et la flore, les visiteurs participent à tout le processus de fabrication du café. Des séjours à la carte, où les visiteurs sont reçus chaleureusement, avec toute la reconnaissance que les hôtes vous témoignent de prêter intérêt à leur culture, leurs traditions et leur mode de vie.

Les “cerises” de café se récoltent de novembre à la fin janvier, en trois fois. Nous prendrons part à la repella, le dernier passage. Pour ce faire, on doit d’abord crapahuter sur les flancs de cette montagne généreuse, avant d’atteindre les terrasses ombragées des caféiers. Il a fallu attendre cinq ans pour que la nouvelle génération de plants donne à nouveau. 

Premier tri. Les meilleurs grains seront exportés, les autres destinés à la communauté.

La saison prochaine, la récolte permettra certainement de résorber les pertes. Le panier attaché à la taille, nous nous aventurons au hasard. Federico nous guide et montre le geste. Il faut cueillir les fruits un par un, méthodiquement, en prenant soin des tiges, fragiles et précieuses. Peu à peu, les paniers se remplissent. Levant les yeux, Andrès nous montre un paresseux alangui. On se pose quelques instants dans ce recoin du monde. On pense au chemin parcouru. Tiens, un colibri butine une fleur d’hibiscus. Federico coupe quelques feuilles de bananier. Pour le repas, nous dit-il… Un peu plus bas, on se prête au jeu de démasquer la grenouille aux yeux rouges, et au camouflage vert presque parfait. En chemin, on cueille des oranges à même l’arbre. Le meilleur “dix heures” du monde !

Une région à la faune aussi riche que sa flore.

Elles se disputent la vedette avec les cabosses de cacao dont les fèves, douces et sucrées, se sucent comme des bonbons… Redescendus de la montagne, nous enlèverons la pulpe, en extrayant les fèves, à la force de la moulinette. Les grains lavés sont ensuite laissés dans des bassins de fermentation, entre 12 et 15 heures. Le temps de préparer, avec les femmes de la communauté, le repas traditionnel. Les nacatamales sont des feuilles de bananiers farcies d’une pâte de maïs agrémentée d’épices et garnies de poulet et de légumes. Chacun confectionnera le sien et le plongera dans la marmite où il cuira, au feu de bois, plusieurs heures. Nous réaliserons aussi nos galettes de maïs, accompagnement typique au Nicaragua.

Comment séparer la pulpe des fèves.

Quand le grain d’or scintille

Déjà, nos hôtes nous invitent à découvrir nos chambres. Nous logeons avec les familles, dans une pièce qu’elles nous ont réservée. Les maisonnettes sont simples et rustiques. Mais le souci du confort des visiteurs est palpable. Et les questions se bousculent. Comment c’est, la Belgique ? Quelle langue y parle-t-on ? Et que pensez-vous de notre pays ? Oui, les gens sont chaleureux, ici. Soyez les bienvenus ! Sentez-vous comme chez vous… Les sourires sont francs et leur envie de vivre pleinement cette rencontre, tellement touchante et authentique. Le lendemain, les grains nous attendent. Rincés pour stopper le processus de fermentation, ils seront encore triés, puis étendus sur des séchoirs. 

Rincage, obligatoire.

D’ordinaire, ils sont ensuite descendus de la vallée, pour être transformés. Mais quand il y a des visiteurs, c’est à tout le processus de fabrication que ceux-ci s’attellent. Nous torréfions donc nous-mêmes au feu de bois, en débarrassant les grains de la parche qui les enveloppe — leur écorce en quelque sorte.

Séchage.

Savoir-faire antique

Geste ultime, comme un au revoir à ces grains puissants et généreux, nous saisissons le metate, lourde pierre traditionnelle, un basalte volcanique d’origine précolombienne. Le savoir-faire est antique, empreint de solennité. 

Torréfaction, à l’ancienne, au feu de bois.

Les grains torréfiés crissent sous la meule. La pression doit être franche et habile. Respectueuse, aussi. Et, peu à peu, le café moulu s’étire et se livre. D’un grain d’or, une poussière divine. Ses arômes nous enveloppent. Évanescents. Savoureux.

Opération finale:  la mouture au matate, un outil datant de l’ère précolombienne.

Voilà, le café a livré ses secrets de fabrication. Mais il reste envoûtant et son mystère persiste. Bientôt, il s’envolera vers d’autres horizons. Nos routes se séparent ici. On s’apprête à dire au revoir à cette communauté qui nous a accueillis. Nous avons partagé leur vie, leur terre, leur culture, leurs sourires, leurs inquiétudes et leurs espoirs. Nous reprenons notre voyage en famille. Avec en poche, quelques-uns de ces petits grains parfumés, pour ne pas nous perdre sur le chemin de l’essentiel. 

Pour visiter la communauté de la Reyna, prenez contact avec Federico Gomez (il parle français). www.sea.com.ni, fgomez@sea.com.ni

Des Belges à Managua

Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux, disait Marcel Proust. Et c’est pour chausser cet autre regard sur le monde qu’on a décidé de partir. C’était il y a cinq ans… 

La famille au grand complet.
Et une destination presque choisie au hasard...

Sur le moment, la décision nous a paru un peu folle. Vertigineuse, même. Car nous n’avions pas spécialement le profil de globe-trotters. Même pas la moindre expérience de baroudeurs. Mais juste trois enfants et une irrésistible envie de rompre la routine, de vivre pleinement, de prendre du recul… L’idée s’est concrétisée facilement. De vertige en tournis… D’un côté, une interruption de carrière dans l’enseignement. De l’autre, un ordinateur portable et une bonne connexion internet pour que le graphiste de la famille continue à travailler à distance. Avec la location de notre maison, nous avons pu vivre une expérience de deux ans, sur les pistes d’Amérique du Sud.

Cette parenthèse s’est finalement muée en points de suspension… Difficile de réintégrer notre vie “d’avant”. Les rencontres, les échanges, un mode de vie simple, les chemins de traverse, l’école buissonnière nous avaient ouverts à d’autres horizons. De retour au pays, nous n’avions en tête que l’idée de repartir. Mais les enfants ne tenaient plus en place et demandaient plus de stabilité. Il nous fallait concilier l’appel du large et les contraintes d’une vie de famille, notamment la scolarité. Un peu comme quand on ferme les yeux et qu’on laisse son stylo vous emmener dans un recoin du planisphère, nous avons laissé le monde nous inviter…

Le lycée français de Managua recherchait un professeur. Le stylo est tombé sur le Nicaragua. C’est donc là qu’on s’est envolé, au hasard de la vie, sans autre attente que celle d’ouvrir de nouveaux yeux, encore.