Ça en fait des lustres

Le lustre ne cesse de se réinventer. Dans sa version contemporaine, l’ampoule LED remplace l’halogène et la suspension se déstructure, jouant avec les volumes et les matières. Décryptage avec deux spécialistes.

par Lauranne Lahaye. Photos DR. |

Quand on parle de lustre, on pense d’emblée au modèle baroque, façon Versailles. Garni de pampilles en cristal, il est cette pièce maîtresse clinquante qui habille les salles de réception bourgeoises. Et certains l’ont cru mort. Pourtant, dans sa version généraliste, le lustre désigne simplement un luminaire suspendu au plafond. Pour le reste, tout est permis !

Taillé dans le bois au Moyen Âge et garni de bougies, il s’orne de cristaux dès le XVIIIe siècle. Pratique, il devient aussi esthétique et se pare tantôt d’or, tantôt de métal, de plastique ; s’enrobe de tissu ou de papier dans sa version japonisante… Pas de codes à suivre au pays du lustre : que des réinterprétations, pour mieux habiller les espaces et incarner les époques, comme l’expliquent Eric Desmyttère et Dominique Rigo, architectes et pros du design intérieur.

Eric Desmyttère 

Architecte, spécialiste Lumière chez l’Autre Lumière, à Ixelles.

Comment définiriez-vous le lustre contemporain ?

Il est modulable, dans une inspiration très sixties. Faire dans le contemporain, c’est jouer avec la mise en scène : varier les tailles, les couleurs, les hauteurs, les matières, l’orientation… L’architecte suisse Mario Botta, par exemple, réalise de jolies créations très modernes ! Mais le lustre d’aujourd’hui, c’est aussi sa version la plus minimaliste, et qui cartonne : un soquet et une ampoule apparente qu’on fait pendre depuis le plafond. C’est déjà un lustre, mais un lustre que je n’aime pas ; c’est le simple poussé à l’extrême. Et puis on ne le dit pas suffisamment, mais ces ampoules à nu sont extrêmement nocives pour les yeux.

Le lustre en cristal a déserté les intérieurs belges. Pourquoi ?

Il y a la question de l’espace d’abord, les plafonds sont moins hauts qu’avant, même si beaucoup de maisons bruxelloises possèdent de faux plafonds que l’on pourrait supprimer. Et puis il y a le côté purement pratique. Autrefois, Madame ou le personnel de maison étaient en charge de nettoyer les pampilles en cristal. Aujourd’hui, les mœurs ont heureusement changé et on vise la praticité. Un beau lustre en verre de Murano nécessite qu’on l’entretienne, qu’on le nettoie. Car si ça ne brille pas, c’est laid.

Combiner lustre classique et architecture industrielle, façon loft, c’est permis ?

Tout est permis, mais l’erreur réside le plus souvent dans les mélanges excessifs. Chez moi, j’ai évidemment une série de luminaires, dont des pièces uniques. Certains sont stockés dans ma cave, je les ressors de temps en temps, les uns après les autres. À mes clients qui aimeraient mettre dix tableaux en valeur simultanément, je conseille d’en éclairer deux pendant un temps, puis d’alterner. C’est comme les beaux vinyles, qu’on expose chacun à leur tour… Aujourd’hui, on mélange trop les styles, on en fait trop, et l’œil ne sait plus toujours où regarder.

Si vous deviez citer deux lustres coups de cœur, sans restriction de prix ni de style…

Je pense à ce lustre ovoïde en porcelaine de Tobias Grau, avec une lumière LED à l’intérieur. Quand il s’allume, la porcelaine devient ambre, s’en échappent une certaine douceur et, parallèlement, une belle tombée de lumière blanche. J’aime aussi ce que propose la ligne Rituals de Foscarini, un verre qui ressemble à du papier japonais ou à de la porcelaine.

www.autre-lumiere.com

Dominique Rigo

Architecte et propriétaire de la maison éponyme, à Uccle.

Le lustre en cristal a aujourd’hui déserté les intérieurs des maisons belges. Pourquoi ?

C’est dû à la hauteur des plafonds – plus bas dans les nouvelles constructions – et à l’exiguïté des halls d’entrée, sans grande envolée des cages d’escalier. C’est d’ailleurs malheureux, car ces objets avaient le chic pour installer à eux seuls une certaine ambiance de fête. De nouvelles conceptions de suspensions sont apparues avec l’avènement de l’éclairage LED, des lustres plus horizontaux, qui demandent des plafonds de moindre hauteur.

Combiner lustre design et architecture classique – moulures, parquet… – c’est permis ?

Bien sûr. Marier un lustre très contemporain, tels que ceux édités par le Néerlandais Brand van Egmond, par exemple, et un environnement classique, cela se fait sans problème ! je remarque d’ailleurs que
les intérieurs les plus chaleureux sont souvent issus du mariage de plusieurs époques.

Existe-il des prérequis avant d’installer un lustre chez soi ?

Comme toute pièce de décoration, il faut choisir ses luminaires en fonction des critères environnants. Les facteurs à prendre en considération sont très nombreux – hauteur de plafond, taille de la pièce, lumière naturelle, couleur des murs… – ce qui rend le choix souvent laborieux. Dans le hall d’entrée de nos magasins Cassina et Vitra Point, avenue Louise, nous exposons une pièce remarquable éditée par Baccarat et revisitée par Philippe Starck. Mais c’est une pièce que l’on ne pourrait toutefois pas placer n’importe où.

Si vous deviez citer deux lustres coups de cœur, sans restriction de prix ni de style…

Outre les pièces de Brand van Egmond, la firme Nemo, avec la famille Crown et le modèle In the Wind, permet de réaliser des ambiances très réussies ! 

www.dominiquerigo.be