Cap sur Grasse, ville berceau du parfum

À Grasse, le groupe LVMH vient d’inaugurer ses laboratoires flambant neufs, dans une ancienne bastide rénovée. Un nouveau fief pour François Demachy, parfumeur créateur de Dior et enfant du pays. Visite guidée, lieux, hommes, âmes...

par Isabelle Plumhans. |

Grasse, c’est le parfum. Sa capitale mondiale. Quand on y a grandi, comme François Demachy, on a dans les souvenirs des odeurs à nulle autre pareilles. La ville, située entre mer et pré-Alpes, jouit d’un climat de moyenne altitude, rude mais ensoleillé, qui permet à une flore spécifique et particulièrement odorante de s’y développer. Lavande, myrte, jasmin, rose, fleur d’oranger sauvage ou encore mimosa parfument la cité méditerranéenne. Pourtant, au Moyen-Âge, sous la dépendance de la République de Gênes, c’est pour le travail des peaux (tannerie, maroquinerie et enfin ganterie) que la ville est connue. Et c’est à la faveur de ce dernier commerce que se développe la parfumerie. En effet, réputés pour leur finesse – ils tiennent dans une noix, affirme Demachy lui-même – les gants sur mesure produits à Grasse plaisent à une clientèle riche et racée. Ce qui agrée moins cette dernière, par contre, c’est leur odeur pestilentielle, leur production nécessitant de les traiter à renfort d’excréments et d’urine. Pour contourner ce malodorant inconfort, on décide donc de les arroser de parfum. Cette industrie se développe dès lors exponentiellement – la matière première abonde –, puis rayonne rapidement à l’international, sans lien désormais avec le secteur des peaux. Aujourd’hui encore, elle reste la principale activité de la ville.

Cannois de naissance, c’est dans cette odorante cité qu’a grandi François Demachy. Son père y possédait une pharmacie. Dans un premier temps, tradition scientifique familiale oblige, le jeune
homme se tourne vers des études de dentisterie, puis de kinésithérapie. Pour gagner un peu d’argent, il décroche un job d’étudiant dans une usine de parfum. Une évidence pour tous les gamins du coin. Sauf que lui, le parfum, il ne le quittera plus, fasciné par l’univers qu’il découvre,  la matière qu’il côtoie. Matière qui lui fait songer à l’eau, la peau, le soleil, et les femmes, comme il se plaît à le rappeler depuis.

Essence pour cheval

François passe dans un premier temps par tous les postes des fragrances Mane – nom de l’entreprise où il a débarqué. Sa première création ? Une essence pour aromatiser le fourrage pour cheval… Il est ensuite embauché par Chanel, puis débauché par Dior, où il est toujours directeur artistique de la parfumerie. Ses essences les plus connues - Miss Dior, Sauvage ou encore J’adore Injoy -, il en a puisé les notes dans le parfum du désert, du bord de mer et du sable chaud. Ou encore ce qu’il imagine être celui des instants de bonheur intense. Car voilà l’art subtil du nez. Délicat équilibre entre la poésie de l’imagination olfactive, qui élabore des odeurs comme des instants, et réalité de la concrétisation des jus, alliance de molécules précises. Un art que, depuis juin 2016, François Demachy a le bonheur d’exercer chez lui.

En effet, l’homme a dernièrement quitté ses ateliers parisiens pour un lieu tout neuf. LVMH a acquis une bastide au cœur de la ville de Grasse, baptisée “Les Fontaines parfumées”, rénovée par des compagnons et artisans spécialistes de l’architecture provençale. Une rénovation qui répond à des critères esthétiques – fauteuils Otto Schulz côtoyant céramique de Vallauris signée Clément Massier et jardin pensé par Jean Mus comme un poème de verdure - mais également techniques. Nous avons particulièrement insisté sur deux points : la lumière et la ventilation, souligne François Demachy. Dans une bastide provençale assez sombre en hiver, les murs sont épais et les ouvertures étroites afin de se protéger de la chaleur et du soleil en été.Il fallait donc un éclairage d’appoint qui reproduise la lumière du jour. Une lumière essentielle à la pesée précise, capitale pour un juste dosage des jus.

L’air, lui, est changé entre sept à dix fois par heure, au moyen d’un dispositif énorme, occupant toute la surface de l’étage. Cet air est traité – refroidi, réchauffé, humidifié ou séché – puis diffusé à basse pression, sur une grande surface et à faible vitesse pour ne pas gêner la précision des balances, qui pèsent au milligramme près, poursuit Demachy. En outre, les meubles ont été pensés en un matériau bien spécifique, le corian ®, qui empêche toute pollution olfactive. L’imaginaire sublimé de technologie est donc ici voie royale des jus les plus raffinés. Et à Grasse,  les Fontaines parfumées de faire se rencontrer le passé et le futur, pour un avenir riche en promesses de belles créations.

Grasse, en chiffres et en lettres

La production grassoise des fleurs à parfum ne représente plus aujourd’hui “ que ” 30 tonnes, récoltées sur 40 hectares, alors que la région possédait 1600 hectares de rose et 2000 de jasmin en 1939. Pour réaliser 550 grammes d’absolue de jasmin, il faut compter 350 kilos de fleurs.

Grasse, c’est aujourd’hui environ 60 usines de parfum, et 3500 personnes employées dans le secteur. Soit la moitié de l’activité française dans ce domaine.

Grasse, c’est aussi une source, la Foux. Elle permit le travail du cuir, au Moyen-Âge, puis la culture et la transformation des fleurs à parfums, depuis le XVIIe siècle. Le nouvel atelier de Demachy, les Fontaines Parfumées, a été baptisé en hommage à cette dernière.

Du beau et du local

L'ancrage de Dior à Grasse ne date pas d’hier. Hors contexte parfumé d’abord, puisque c’est dans son arrière-pays que Christian Dior venait se reposer du tumulte de la ville.
ll y possédait une demeure secondaire, le Château de la Colle Noire. En outre, depuis 2007, le géant travaille avec de jeunes productrices locales, héritières de maisons spécialisées dans la récolte de rose et de jasmin : le Domaine de Manon, avec Carole Biancalana à sa tête, et le Clos du Callian, géré par Armelle Janody, ancienne littéraire, ancienne disciple de Carole Biancalana. D’autres collaborations sont envisagées avec des producteurs locaux. D’après François Demachy, le volume de fleurs obtenu via ces producteurs sera alors suffisant pour la plupart de ses créations.