Ah, l’Italie, ses voitures, son café, ses pâtes, sa mode… et son design. Adulé par la planète entière, l’ameublement Made in Italy a fini par symboliser le mariage parfait de l’élégance et de l’innovation. Certes, l’avant-garde n’est pas réellement née dans la Botte, mais elle s’y est déployée tout au long de la seconde moitié du XXe siècle et conserve, aujourd’hui encore, son aura. À travers l’aventure Cassina, c’est donc un pan entier de cette Histoire que l’on peut lire en filigrane. Si l’épopée Cassina débute officiellement en 1927, son histoire puise dans une tradition lombarde de l’artisanat du meuble ancré de longue date.
À Meda, petite bourgade du nord de Milan, Cesare Cassina, jeune ébéniste garnisseur alors âgé d’à peine dix-huit ans, et Umberto, de neuf ans son aîné, perpétuent le savoir-faire familial en créant une société qui fabrique et distribue principalement des tables en bois. Le catalogue s’enrichit dans les années 30 de typologies diverses mais le style reste traditionnel. Il faut donc attendre la fin de la Deuxième Guerre mondiale pour que la créativité transalpine explose réellement, stimulée par l’urgence d’une vaste reconstruction du pays, soutenue par divers plans d’aide et développée par des industriels intrépides, dont les Cassina font partie. Car la force du design italien tient notamment dans le lien très étroit que ces industriels – majoritairement des structures familiales – entretiennent avec les créateurs. Le travail s’y organise au plus près de l’outil de production, dans un dialogue novateur entre technologie et imagination. Nous sommes alors à l’aube des Trente Glorieuses et tout est possible.
Sièges et Paquebots
C’est Franco Albini qui ouvre le bal en 1946, suivi par Ico Parisi et Gio Ponti. Cassina collabore avec ce dernier pour l’aménagement de paquebots luxueux et pour la production de nombreux sièges, dont une pièce deviendra l’une des plus emblématiques du design made in Italy : la chaise Superleggera. Une liste impressionnante de créatifs talentueux défilera par la suite dans l’usine des deux frères, car ils ont du flair, de l’audace, un sens aigu de la modernité et ils permettent à leurs poulains d’expérimenter à tout-va.
La rencontre de Cesare sera même pour certains designers un véritable catalyseur de carrière, à l’instar notamment de celle de Vico Magistretti ou de Gaetano Pesce. Jamais à court d’idées, Cesare sera également à la base de la création de la firme de luminaires Flos et de C&B (aujourd’hui B&B Italia) et introduira dans son catalogue la ligne I Maestri : Le Corbusier lui cède en effet de son vivant les droits de reproduction de ses créations, ce qui constitue le départ d’une ligne parallèle dédiée aux maîtres de l’avant-garde moderne. À sa disparition en 1979, le petit ébéniste garnisseur laisse une entreprise pleine de vitalité, brillant sur le marché mondial.
Depuis, l’aura de la marque a attisé la convoitise des investisseurs. Actuellement, la majorité des parts est détenue par le géant américain Haworth, dont le chiffre d’affaires lui est dix fois supérieur. L’éditeur lombard se voit donc placé sous les auspices d’une entreprise familiale du Midwest spécialisée elle aussi, depuis près de 70 ans, dans l’industrie du meuble, et dont le CEO est… italien ! Ou quand la pomme ne tombe pas loin de l’arbre.
Cassina 9.0
Dans la foulée, Haworth, qui travaille déjà avec Patricia Urquiola pour ses propres collections, la nomme directrice artistique de Cassona. La belle Espagnole crée en 2016 sa toute première pièce pour la marque et remanie la collection générale en réintroduisant notamment la couleur. Aujourd’hui, l’éditeur et ses nouveaux propriétaires, détenteurs d’un catalogue d’une richesse inouïe, affirment vouloir continuer à s’interroger sur le futur de l’habitat, jouer aux explorateurs et accompagner le changement. Pour preuve, la célébration du nonantième anniversaire affiche le slogan “Cassina 9.0” comme pour mieux exprimer ce désir de ne pas se reposer uniquement sur ses acquis.
