Coup de projecteur sur l'East End, quartier montant de Londres

L’East End, c’est le quartier de Londres qui monte, qui monte. Hier malfamé, repaire de Jack l’Éventreur, surpeuplé, pauvre et sale, il est aujourd’hui berceau d’une jeunesse arty. Et formidable galerie street art à ciel ouvert, mouvante et émouvante.

Par isabelle plumhans Photos DR sauf mention contraire |

S'il y a encore quelques années, les graffs et autres œuvres ornant les murs de Londres étaient considérés comme des actes de vandalisme, aujourd’hui le street art est à sa place dans les rues de la ville. C’est ce que Undiscovered London (voir encadré p. 72) met en lumière en proposant un circuit-
découverte historique et arty du quartier de l’East End. Là-bas, l’art urbain est encouragé, voire commandité par la Ville ou des propriétaires individuels. Prolongement dommageable, il devient alors véritable business, galeries banales s’ouvrant les unes après les autres pour vendre un art créé par des “artistes” n’ayant jamais vécu la rue et sa création à la sauvette. Mais qu’importe. Une virée dans les rues de l’East End s’avère étonnante, parlante. Un jour, vous y verrez un mur recouvert d’un portrait d’un père et de son enfant au format XL, le lendemain, au même endroit, une main bleutée, gros plan sur fond azur. Car cette scène-là est changeante, les “bagarres” fréquentes entre tagueurs, l’un recouvrant l’œuvre d’un autre, et cet autre recouvrant ce second graff à son tour. Si bien qu’on ne sait jamais à quoi s’attendre quand on débarque dans l’une ou l’autre rue. L’incontournable Banksy, qui fut l’un des premiers à opérer dans le quartier, a un statut à part : quelques-unes de ses œuvres y sont sous verre. Notamment, celles présentes sur le site de la Old Truman Brewery. Cette ancienne brasserie est aujourd’hui un quartier en soi, ensemble de boutiques tendance, food trucks appétissants et bars branchés. Expositions et événements immanquables s’y déroulent dans une ambiance arty-underground dont seule Londres a le secret.

Si on y va  
Sur le site de l’ancienne brasserie Old Truman, on trouve son bonheur modeux chez Ragyard, mélange d’Inde et de dernières tendances rockeuses, on s’attable à l’un des food trucks de la cour, on admire les fresques sur les murs et on se régale de burgers végé.
The Old Truman Brewery, 91 Brick Lane, Londres E1 6QL, www.trumanbrewery.com et www.instagram.com/ragyard

Business et immigration

C’est à la gare de Liverpool Street, point de départ du circuit East London, que nous attend Rachel, dynamique guide de Undiscovered London. Le bâtiment, où se presse essentiellement une population d’affaires en costume-cravate-tailleur (on est à la lisière de la City) fut construit à la fin du XIXe siècle, sur l’emplacement d’un hôpital psychiatrique, le Bethlem Royal Hospital. D’ailleurs, en cockney, patois de l’est londonien, bedlam, surnom de l’établissement, signifie “fou”. Devant l’établissement, un mémorial signé Frank Meisler représente un groupe d’enfants. Il commémore le Kindertransport, opération humanitaire au cours de laquelle Londres accueillit près de dix mille enfants juifs d’Allemagne, tout juste après les pogroms de la Nuit de cristal, en 1938. Ces enfants étaient placés dans des familles d’accueil de la ville, plus ou moins heureusement selon les cas : main-d’œuvre bon marché ou intégrés en véritables membres de la famille. L’East End, explique Rachel, doit historiquement son nom, péjoratif, à son positionnement hors des murailles médiévales de Londres ; sa population était majoritairement immigrée. Les premiers arrivants seront les huguenots, protestants français qui fuyaient la politique de Louis XIV – l’Édit de Nantes venant d’être révoqué en 1895, les persécutions à leur égard étaient là-bas nombreuses. Ces derniers se sont cependant bien intégrés au quartier, en y investissant les domaines de la mode et de la soie – leurs maisons sont aujourd’hui encore reconnaissables à leurs larges fenêtres, question de lumière, et leurs poulies en façade –, en y construisant des églises (dont la Christ Church, en face de Spitafields Market) et en œuvrant pour la vie communautaire. C’est eux notamment qui ouvriront les premières caisses de solidarité ou participeront à la fondation des syndicats dans la ville. Sept des fondateurs historiques de la Banque d’Angleterre sont d’ailleurs huguenots. Preuves de leur ancrage dans le quartier, plusieurs rues y ont des noms à consonance francophone, comme la Fleur de Lys Street ou encore la Fournier Street. Plus tard, ce seront des vagues d’immigration irlandaise puis juive qui toucheront l’East End, aujourd’hui largement habité par une population bengalaise. D’ailleurs, il n’est pas rare d’apercevoir les plaques renseignant les noms de rue dans les deux langues, anglais et bengali.

Si on y va 
On met ses papilles à l’heure bengalaise en dégustant un curry dans le quartier autour de Brick Lane – l’artère la plus connue du quartier. Notre préféré : le New Tayyabs, à Whitechapel.
New Tayyabs, 83-89 Fieldgate St, Londres E1 1JU, www.tayyabs.co.uk

Légende urbaine

Un peu plus loin, le quartier de l’East End est aussi celui où sévit Jack l’Éventreur. Ce tueur en série, connu pour ses meurtres de prostituées en 1888, qu’il achevait d’un égorgement avant de les vider de leurs entrailles, sévissait autour de Whitechapel. Et plus spécifiquement à partir du Ten Bells ; pub traditionnel, c’était là que Jack repérait ses victimes avant de les suivre. Son existence ne fut jamais véritablement prouvée, et on estime au nombre de cinq les femmes tuées par le même personnage. Nombreuses sont les légendes autour de ce Jack the Ripper, et les enquêtes pour découvrir son identité continuent aujourd’hui encore à attiser les curiosités. Régulièrement, des ouvrages, romans ou enquêtes reviennent sur les faits et annoncent avoir découvert l’identité réelle du meurtrier.

Si on y va
On boit une bière locale, accoudé au bar du Ten Bells, en lisant Retour à Whitechapel de Michel Moatti (HC Éditions, 351 p., 19,90 €), une enquête sur les crimes de Jack l’Éventreur.
Ten Bells, 84 Commercial St, Londres E1 6LY, www.tenbells.com