Dans l'atelier d'un couturier à l'ancienne

En juin dernier, le Belge Bernard Depoorter défilait à Paris. Un show en forme de merveilleuse vitrine pour tous ces métiers d’art presque oubliés que ce styliste atypique abrite dans son atelier brabançon. Visite.

PAR Marie Honnay. Photos : Daniel Pierot, DR. |

Printemps 2017. En prélude au défilé présenté le 20 juin à l’ambassade de Belgique à Paris, le Belge Bernard Depoorter (38 ans) et sa petite équipe de stagiaires s’affairent. Dans son atelier du Brabant wallon, à Wavre, ce créateur discret, atypique et presque autodidacte est un passionné. Jusqu’au-boutiste et obstiné, il s’évertue depuis une poignée d’années à perpétuer le travail de couture à l’ancienne. Pour les robes de sa ligne Côté Cour, Bernard Depoorter imagine des broderies sophistiquées, de savants assemblages – de plumes ou de fleurs en cuir – fixés à la main sur le tissu.

Je me vois comme un protecteur du patrimoine nous explique-t-il. Aujourd’hui, pour des raisons de rentabilité, la plupart des marques de luxe se focalisent sur ce qui se voit, un imprimé, par exemple. J’ai, quant à moi, développé mon approche en disséquant des vêtements anciens. En observant, par exemple, le travail d’entoilage qui permet de donner du corps aux vêtements. Je privilégie les tissus italiens. Le toucher en est différent et le tombé aussi. J’aime comparer mon atelier à un laboratoire aux airs de cabinet de curiosités.

Nichée dans une vieille demeure familiale bicentenaire, la maison-atelier de Bernard Depoorter lui ressemble : décor suranné, livres d’art disposés dans chaque pièce, espace bureau rempli de croquis, de perles et de tubes de peinture, cour intérieure habitée par un couple de paons. De janvier à juin dernier, l’atelier du Belge a accueilli une petite dizaine de stagiaires formés aux techniques anciennes, mais aussi des néophytes. C’est le cas de Noémie Denis, 17 ans. Pendant ses week-ends et ses vacances, elle a passé des dizaines d’heures à enfiler du fil de soie sur des tiges en laiton, une autre petite main y a ensuite glissé des cristaux destinés à sublimer la robe de mariée du défilé. Noémie Denis : c’était un travail de fourmi qui m’a complètement passionnée. J’ai découvert des métiers incroyables, mais aussi la valeur des choses, de l’artisanat. Dans notre monde où tout va si vite, où tout est jetable, ça m’a permis d’en apprendre aussi beaucoup sur moi-même.

Une obsession : la tradition

Il y a 13 ans, sans être passé par la voie académique, Bernard Depoorter se lance le pari un peu fou de créer sa maison. Formé, le temps de quelques stages, dans les ateliers parisiens de Scherrer, Sorbier et Dior, il s’initie au travail de création et au croquis de mode. Fasciné par le travail des couturières, il l’est aussi par le savoir-faire des brodeurs, plumassiers, etc. Je suis, comme beaucoup de couturiers, fasciné par le cuir – une matière à la fois provocante, précieuse, souple et sensuelle – et plus particulièrement par le cuir d’agneau de la maison Bodin-Joyeux, un atelier sauvé par Chanel, ardent défenseur des métiers d’art. Pour ce défilé, le créateur a par exemple imaginé une robe fourreau en peau, tissée à la main, rehaussée de fleurs de cuir d’agneau coupées au scalpel et de cabochons de cristal. Deux mille heures de travail en tout, sourit-il. 

Je suis également passionné par le métier de parurier floral. Je suis d’ailleurs l’un des rares à perpétuer cette tradition. La robe à plumes du défilé – en cuir d’agneau glacé noir – en compte plus d’un millier, coupées une à une, sculptées, puis réappliquées sur la peau. Au-delà de ces pièces d’exception, toutes les silhouettes du show, tant pour le flou que pour le tailleur, présentent des ourlets visibles réalisés à la main. Le travail de boutonnage est également un élément clé de ma démarche. 

Bernard Depoorter n’aime pas s’étendre sur le prix des robes de sa ligne couture (à partir de 1500 €, ndlr). Pensée comme une démonstration de son savoir-faire, cette collection est celle de la démesure au service de la préservation d’un artisanat amené à disparaître. En témoigne la robe de bal Jardin de Nuit composée d’un bustier en cuir d’agneau glacé, de 40 mètres de crin à volants pour le jupon et de 20 mètres d’organza de soie brodé de fleurs et de feuillages pour la jupe.

Wavre, Paris, le monde

Juin 2017. Organisé dans les salons feutrés de l’ambassade de Belgique à Paris, en présence de 300 invités (des clientes belges, quelques journalistes, une poignée de mécènes, ses proches…), le défilé de Bernard Depoorter ne s’inscrivait pas dans le cadre de la semaine de la Haute Couture parisienne. Son objectif n’en restait pas moins clair : promouvoir le développement de sa marque en Belgique, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas et - pourquoi pas ? - décrocher un poste dans une maison internationale.

Jamais à court d’énergie, ni d’envie, ce créateur infatigable à l’allure de petit garçon presque surpris de se voir là, entouré des mannequins de son défilé, a su, par le biais de sa marraine de cœur Anne de Bourbon-Siciles, se faire une place dans les dressings de la famille royale : la princesse Claire d’abord, puis de la reine Mathilde qu’il habille encore.

En marge de sa ligne couture, dont les robes sont réalisées entièrement sur mesure dans ses ateliers, Bernard Depoorter propose une ligne de prêt-à-porter plus abordable et enfin les Bestsellers, une série de pièces iconiques – tailleur-pantalon esprit smoking Yves Saint Laurent ou robe crayon fifties – doublées de satin violet, sa marque de fabrique. Inclassable, car aux antipodes des tendances, le designer semble descendu d’une autre planète. Ce décalage peut surprendre, mais, très vite, sa détermination et la magie des silhouettes l’emportent sur la surprise que peut susciter cette vision quelque peu anachronique de l’élégance féminine.

Lorsqu’on l’interroge sur l’avenir de sa maison, le Belge ne cache pas ses ambitions : faute de moyens financiers suffisants, je ne présente ici qu’une infime partie de mon savoir-faire. J’espère toutefois séduire la presse, mais aussi des investisseurs. Mon objectif, aujourd’hui, est d’entrer dans un groupe qui prenne en charge la gestion de mon entreprise. J’ai de grands projets, dont celui de créer une fondation visant à protéger et à préserver les métiers d’art en Belgique. Un pays qui n’œuvre pas à la préservation de son savoir-faire n’a, à mon sens, pas d’avenir! 

www.bernarddepoorter.com