Dans l’atelier d’un grand tailleur

Le costume sur mesure a de l’avenir. Parce qu’il met en avant la tradition d’un vénérable métier. Celui du maître tailleur. Artiste de la matière, il confectionne au plus proche de son client. Un art beau et rare, fierté de la maison bruxelloise Degand.

par Isabelle Plumhans. Photos Lydie Nesvadba. Merci à Jean-Baptiste Fabricattore pour son aimable participation. |

Aujourd’hui, les gens ne savent plus ce qu’est le sur-mesure, nous assène d’emblée Pierre Degand, quand on le rencontre dans sa boutique de l’avenue Louise. Le lieu, magistral et sublime, ancien hôtel particulier acquis en vente publique en 1983, est à l’image du produit qui y est développé. Archi-élégant, unique et confortable. Ici, on vient pour l’authenticité de l’acquisition, la qualité du porté, l’essence du style. En un mot, pour le sur-mesure, luxe absolu du vestiaire masculin. Un luxe à l’authenticité galvaudée, le semi-industriel étant passé par là, selon Pierre Degand. Car pour lui, c’est un impératif : le sur-mesure, c’est fait à la main, du début à la fin. Point.

Cette intransigeance, les hommes la choisissent pour deux raisons majeures. Par envie de beau, d’unique et de confort. Ou parce que le corps ne correspond ni au standard du prêt-à-porter ni à ceux de la demi-mesure – que la maison Degand propose d’ailleurs dans sa boutique, en fabrication italienne. Souvent, ce corps qui coince, ce sera un ventre qui dépasse, une carrure qui entrave ou – très souvent – un popotin qui rebondit un rien. Le tailleur n’aura alors jamais aussi bien porté son nom, lui qui sculptera, par sa connaissance affûtée de la coupe et des modèles, une nouvelle silhouette au client.

Tradition et transmission

Car ce qui fait la particularité, la signature de la maison Degand, c’est avant tout son maître tailleur, Gennaro. Gennaro, trente ans de métier dans la maison, débauché alors qu’il était second coupeur dans une autre boutique. Gennaro, 80 ans, bon pied, bon œil. Bon œil, surtout. Parce qu’il la faut, la vision juste pour, trois jours par semaine, prendre les mesures des clients dans les salons cossus situés au premier étage de la maison. Et ensuite patiemment les adapter à un patronage calibré à l’exacte morphologie de ces derniers - avec parfois quelques demandes particulières, comme chez les amateurs de belles montres qui aiment que leurs manches soient taillées au plus juste, histoire de laisser l’objet bien visible. Le patronage sera ensuite coupé dans le tissu choisi, et débité en pièces.

Ces étapes, c’est Hassan, l’élève de Gennaro, qui s’en chargera le plus souvent. Autrefois, par tradition, tous les maîtres tailleurs étaient italiens. Maintenant, ils restent tous là-bas. La relève vient d’ailleurs… souligne Monsieur Degand. À la suite d’Hassan, apiéceurs et pantalonniers s’affairent dans les ateliers. Les premiers assemblent les vestes, les seconds, les pantalons. Des ateliers actuellement installés dans les sous-sols, mais ce sont bientôt dans de tout nouveaux lieux, au dernier étage du bâtiment, que s’agiteront les mains, d’étoffe en fils, de ruban en machine à coudre.

La maison est en effet entrée dans une longue période de travaux. Un atelier au sommet, telle est sans aucun doute la place qu’il mérite. Car sur un simple costume, il faut compter au moins 50 heures de travail. D’ailleurs, la fabrication intervient pour deux tiers dans le prix final, le reste étant réclamé par le tissu. Chez Degand, elle démarre à 4895 €, sans compter l’étoffe donc... 

Étoffe, tombé et temps passé

Tissu dont le choix est essentiel dans le rendu final du vêtement, et qu’il convient de réaliser avec soin, couleur, texture et finesse. Tweed, cashmere, soie, mohair… Le bon matériau, c’est une question de tombé, de confort, de goût personnel. Et là, la style de vie intervient. L’homme d’affaires qui voyage n’aura pas les mêmes attentes que le chic de soirée, on s’en doute. Ici aussi, il convient de prendre le temps. Le temps. Voilà sans doute le comble du luxe, dans la confection sur mesure.

Temps de prendre les mensurations, d’abord. Temps de choisir son tissu, son modèle, aussi. Temps de la confection, ensuite. Temps de l’essayage, enfin. Temps multiples, le client reviendra plusieurs fois pour adapter son costume. Les pièces enfin assemblées dans les ateliers, le tailleur estime d’abord le tombé du vêtement, ses “aplombs”. Le rendu global, pièce après pièce. Puis enlève col et poitrine, monte manches et jambes, pour les repositionner au mieux, au plus proche de l’anatomie du client.

Retour ensuite à l’atelier, où le costume sera retravaillé en fonction de ces nouvelles mesures, prise “à corps”. Les séances d’essayage peuvent se multiplier afin d’arriver à un costume parfaitement aux mesures du client. Ça devient une histoire de goût, presque d’amusement, sourit Pierre Degand. Du temps donné pour une qualité inégalée. Et une passion, un savoir-faire précieux. C’est ça, le secret du sur-mesure. 

Demi-mesure et hors frontières

Dans le grand monde du costume, il existe trois catégories. Le prêt-à-porter, costume acheté tel quel en magasin, sur lequel on peut effectuer l’une ou l’autre retouche. Le sur-mesure, art de l’adaptation fine de la silhouette d’un client à son vêtement. Adaptation qui, tout au long du travail sur les pièces, se fait à la main. Entre les deux, s’intercale le demi-mesure. Soit la prise de mesures du client, et le traitement du costume, automatisé souvent, et dans des ateliers situés largement à l’étranger.

Cette demi-mesure s’adresse clairement à un autre type de clientèle. Cafe Costume et Valor Tailoring sont de ceux-là, et ne s’en cachent pas. Le premier propose du sur-mesure, pensé en Belgique, mais fabriqué en Tunisie, dans des usines appartenant depuis plus de 50 ans à la famille Van Gils. Pour son directeur, Bruno Van Gils, La production locale n’est pas abordable, économiquement. Seul le “high segment” peut se le permettre. Nous voulons nous adresser à la jeune génération. Voilà pourquoi nous avons opté pour la délocalisation. Et l’entreprise située en Tunisie est familiale. La qualité suit. C’est ça qui importe.

Même son de cloche chez Valor Tailoring, entreprise hollandaise de “sur-mesure” basée à Bruxelles, qui donne à ses clients la possibilité d’acquérir un costume à mesures prises dans la capitale, mais fabriqué au Portugal, en Chine et en Italie. Son directeur, Michael Jacobs, confirme accorder une importance toute particulière à la qualité de ses sous-traitants, mais s’efforcer d’offrir un produit qui concorde financièrement à la demande de sa clientèle, jeune et active.

Valor Tailoring, Avenue du Port 86c, 1000 Bruxelles,  www.valor-tailoring.com
Cafe Costume, Rue Léon Lepage 24, 1000 Bruxelles, www.cafecostume.com