David Goffin “Je suis du genre à trouver mes propres solutions”

À 25 ans, le Liégeois, 14e meilleur joueur mondial, brille aussi par sa classe et son élégance. Nostalgique d’une époque où l’on jouait en blanc avec des raquettes en bois, il vient d’être choisi par l’horloger de luxe Piaget pour rejoindre son écurie d’égéries.

Par julie huon photos DR |
À quel âge avez-vous eu votre toute première raquette ?

J’avais 5 ans. C’était à l’Eurotennis de Barchon, près de Liège. J’essayais d’autres sports en même temps, comme le handball ou le football. Mais avec le tennis, il s’est passé quelque chose. J’ai des souvenirs assez précis des cours que je prenais à l’époque, l’endroit, le terrain… ça m’a tout de suite plu. Après, je n’ai plus arrêté.

Il faut dire que c’est dans les gènes, chez vous…

Oui, mon père était prof de tennis. Après, il a travaillé pour les produits pharmaceutiques pendant plus de vingt ans. Mais ma mère aussi était dans le milieu du tennis, ils adoraient ça. Ils ont eu envie que je découvre ce que c’était. Mon frère Simon, qui a deux ans et demi de plus que moi, a commencé à jouer presque en même temps que moi mais comme il était plus âgé, il était plus puissant, il a vite mieux joué. J’ai été en quelque sorte tiré vers le haut par lui. Simon a continué jusqu’à ce qu’il entre à l’unif et aujourd’hui, malgré ses études de marketing, il est coach de tennis ! C’est marrant, dans cette famille, on a pris des tas de chemins différents pour tous y revenir un jour.

Vous allez perpétuer la tradition quand vous serez parent ?

J’essayerai mais je ne forcerai pas. Je verrai tout de suite si mes enfants aiment ça, ça se fera naturellement, je ne vais pas pousser à tout prix. Ce qui est sûr, c’est que je les aiderai à trouver leur propre passion.

Que vous a-t-elle apporté, votre passion, à part la gloire ?

Tellement de choses ! Lorsqu’à 12 ans, on quitte ses parents pour aller à l’internat, dans mon cas, au centre tennis-études de Mons, on se retrouve avec d’autres jeunes, on commence à voyager un peu, on fait des rencontres. Vers 16-18 ans, là, ce n’est plus du tout une vie normale. Ce sont les voyages qui apportent le plus : vous découvrez d’autres pays, d’autres cultures, d’autres langues… Je me le dis tous les jours : le tennis, ça n’a jamais été un boulot pour moi, je vis de ma passion et je n’ai pas l’impression d’aller au travail tous les jours, vraiment pas !

Quels endroits du monde vous ont le plus plu ?

Chaque année, ce sont les mêmes voyages, les mêmes tournois qui reviennent. En janvier, il y a la tournée australienne qui est vraiment très agréable : après avoir passé les fêtes en Belgique, on part de l’autre côté de la planète, où c’est l’été, et ça fait toujours un gros choc. Cet été, c’était la tournée européenne, le Grand Chelem avec Londres et Paris, et puis il y a New York dans l’année… Chaque période est assez spéciale et très différente. Mais c’est aussi très éprouvant : le décalage horaire, la fatigue des vols, il faut aussi chaque fois s’adapter aux conditions, parfois la chaleur, l’humidité, le froid, à l’extérieur ou l’intérieur, les surfaces différentes. Ce n’est pas toujours évident. 

Difficile, non, quand on n’a que 14 ou 15 ans ?

C’est clair qu’indépendamment du fait que ces tournois ne sont pas de tout repos, tout le monde veut gagner le plus de matchs possible. On ne se fait pas de cadeau, même dans les catégories de jeunes, même très jeunes. On apprend à se confronter à d’autres mentalités. Je pense aux pays de l’Est où la mentalité est fort différente d’ici. Pareil pour les Sud-Américains. Ce n’est pas si simple. C’est un peu la guerre, le chacun pour soi.

On se fait des amis, quand même ?

Et heureusement ! Je m’entends bien avec les Français. Comme Pierre-Hugues Herbert, qui est un joueur qui a gagné le double à Wimbledon, ou Dominic Thiem contre qui j’ai perdu à Roland Garros, et Lucas Pouille, un jeune qui a très bien joué à Wimbledon. Ce sont souvent les mêmes joueurs qui reviennent chaque année dans les mêmes tournois, donc on a l’occasion de se voir assez souvent.

En même temps, c’est Liège qui reste votre port d’attache. Il y a un autre endroit du monde où vous aimeriez vivre ?

Y vivre, c’est autre chose qu’y passer pour des vacances ou s’affronter en tournoi. Le sud de la France me tente assez bien : on parle français, on y mange bien…

C’est Liège avec du soleil !

Exactement ! Mais je suis toujours tellement content de rentrer chez moi après deux semaines de tournoi : pour me reposer, retrouver mes racines, c’est l’idéal. J’adore New York où je vais deux ou trois semaines chaque année et qui m’émerveille… mais y vivre, c’est une autre affaire. J’ai besoin de calme, de tranquillité parce que je passe le plus clair de mon temps dans de toutes grandes villes.

Vous vous entraînez environ cinq heures par jour. On sait que les footballeurs passent leur temps libre chez le coiffeur et le tatoueur. Mais vous ?

Le tatoueur, non. Mais je dois bien aller chez le coiffeur de temps en temps (rires) ! Sinon, je me suis mis au golf. Je suis assez accro aux séries comme : Walking Dead ou Suits… Et puis, dès que je le peux, je passe du temps avec mes proches, ma petite famille.

Vous avez la même compagne depuis bientôt six ans et vous aimez bien qu’elle vous accompagne sur les tournois. C’est rare ça, non ?

Je ne sais pas, moi j’aime mieux quand elle est là ! Depuis quelques mois, elle a fini ses études, elle peut un peu plus voyager avec moi et ça se passe merveilleusement bien. Elle a aussi joué au tennis, donc elle comprend le sport et franchement, quand elle est près de moi, elle me booste.

Vous dites que le tennis vous allait bien dès le départ parce que vous êtes plutôt timide, renfermé. Vous auriez pu pratiquer un sport d’équipe ou vous préférez définitivement être seul en scène ?

Un sport individuel correspond mieux à mon caractère, mon tempérament. Dans une équipe, je ne serai jamais celui qui va pousser les autres, tirer tout le monde vers le haut. Je suis plutôt du genre à me concentrer sur moi-même, à trouver mes propres solutions.

Ce n’est pas facile d’avoir non-stop tous les yeux braqués sur soi. Vous avez un coach, un psy ?

Oui, il y a beaucoup de pression, beaucoup d’enjeux, il faut savoir gérer ça. Donc je travaille effectivement avec un préparateur mental qui m’a pas mal aidé jusqu’à présent, depuis plusieurs années. On se voit généralement dans les périodes creuses pour un petit débriefing des derniers tournois, on discute de comment ça s’est déroulé. Ce qui me plaît, c’est d’avoir cet avis extérieur, neutre. Ce regard-là est très important. Ce sont des séances qui font du bien, on a besoin d’évacuer un peu, de discuter de son ressenti… Et puis il me donne de bons conseils.

Comme quoi ?

Oh, il n’y a pas de recette miracle. C’est juste une façon de voir les choses, d’aborder les matchs autrement. Parfois on met en place de petits rituels : des choses pour décompresser, de la sophrologie pour se relaxer la veille d’un match… À force, j’ai développé toute une série de petits tics, de choses que je fais machinalement. Par exemple, je sais que je remue tout le temps mon T-shirt durant le match. Ou que je fais rebondir la balle le même nombre de fois avant de servir. Ou encore que je ne marche jamais sur les lignes. Enfin, entre les points évidemment parce que sinon c’est un peu compliqué (rires) ! Je ne m’en rends même plus compte.

Et vous entendez ce qui se passe autour de vous durant le match ? Les gens ?

J’entends tout et je vois tout ! Je suis dans ma bulle mais je peux dire par exemple – enfin ça dépend sur quel court je joue – quel est le score sur le central pendant mon match. J’entends le score, le micro de l’arbitre, je suis attentif à tous les sons, tous les bruits… Je suis tellement concentré qu’on dirait que mes sens sont plus développés. Je suis supervif. Tout est en éveil.

Où vous voyez-vous dans dix ans ?

En père de famille. Je l’espère en tout cas. Commencer une autre vie avec ma femme et mes enfants. Au niveau professionnel, j’aurai certainement fini ma carrière. J’ignore si je serai passé à autre chose ou pas… Vers 35 ans, c’est vraiment la fin. Le coaching, pour partager mon expérience avec des jeunes, d’autres joueurs, ça pourrait me tenter, oui. On verra bien.

Votre prochaine carrière est toute tracée puisque vous voilà dans les magazines lifestyle. Ça vous plaît cette expérience d’icône Piaget ?

Ça n’est pas arrivé totalement par hasard parce que les belles montres, les grandes marques, les mécanismes d’horlogerie, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé. L’élégance. Un homme bien habillé qui porte une belle montre, j’adore ça. Je n’aurais pas accepté n’importe quoi. Mais j’aurais pu poser pour un parfum, oui, du moment que ça reste classe. Que ça corresponde à mon image. C’est important de rester cohérent, de ne pas partir dans toutes les directions. Et jusqu’ici, c’est un monde qui m’amuse assez.

Êtes-vous heureux dans votre époque ?

Heureux, oui. Et tennistiquement, je crois être né à la bonne époque. Maintenant, par rapport à ce qu’était le tennis autrefois, j’aurais aimé vivre au temps où l’on jouait tous en blanc, devant un public calme et respectueux, limite avec des raquettes en bois comme au temps de Borg ou de McEnroe. Aujourd’hui, la tradition est loin, on est beaucoup plus dans le spectacle, les stades sont de plus en plus grands. Même en termes vestimentaires, les looks n’ont plus rien à voir ! Mais à l’époque, c’était très beau, chic, classe. Je pense que ça m’aurait bien plu.