Ecrins sur mesure

Accessoire désuet ou archétype de l’élégance ? À l’heure où l’artisanat fait un peu figure de valeur refuge, le gant est plus que jamais tendance. A fortiori lorsqu’il habille chaque main sur mesure.

par Marie Honnay. photos dr. |

Un long gant en agneau parfaitement ajusté est aussi sexy qu’une cuissarde, annonce Marie-Laurence Stevigny, designer belge en charge de la création pour la ganterie française Agnelle.

Fondée il y a tout juste 80 ans, cette maison est l’exemple le plus parfait du luxe 3.0. Incarnations sensuelles d’un raffinement non ostentatoire et d’un savoir-faire artisanal, les gants Agnelle répondent aux désirs des consommateurs actuels férus de sur-mesure et de customisation. Marie-Laurence Stevigny : la ganterie artisanale offre une très grande liberté de création. Les variations sur un même thème sont multiples.

Chez Agnelle, le service sur-mesure permet, outre l’ajustement parfait du gant sur la main, de choisir un type de peau (de l’agneau spécialement sélectionné pour la ganterie, mais aussi du python, de l’alligator ou du poney), sa longueur, sa couleur (48 au choix), le type de piqûres…

Le client peut ensuite faire ajouter des boutons recouverts de peau ou en corne, des rivets soulignant les doigts, le poignet ou qui dessinent un motif sur la main, des franges de différentes longueurs, unies ou multicolores, des nœuds assurant le serrage du gant...

Raffinement unique Un gant renvoie à l’intime, à la simplicité, à l’art de bouger avec grâce. Voyez un homme habillé d’un beau pardessus qui tient dans la main une belle paire de gants, poursuit Marie-Laurence Stevigny. Cet accessoire confortable libère en effet l’imaginaire et dégage une impression de raffinement unique.

En 2017, ce luxe va de pair avec un affranchissement des styles. Le jeune mannequin et musicien Kanye Lewis voulait des gants pour ses balades en vespa dans Paris explique la designer. Il a donc fait appel à Agnelle pour lui confectionner une paire sur mesure reproduisant à l’identique les dessins tatoués sur ses mains.

Parmi les autres pièces uniques les plus spectaculaires réalisées par Agnelle, les gants imaginés pour Madonna à l’occasion d’une de ses prestations lors du Super Bowl américain traduisent parfaitement le côté caméléon de cet accessoire.

En Belgique, bien que peu représenté, l’artisanat gantier est encore une réalité. Fruit d’un vrai savoir-faire, la fabrication d’un tel accessoire demeure, comme celle des chaussures, ultra-technique. Ce n’est pas Donat Pauwels, propriétaire de la ganterie italienne à Bruxelles, qui prétendra le contraire.

Son métier, il le connaît et le défend depuis 35 ans. Dans l’atelier situé sous son magasin de la galerie de la Reine, un lieu intime et authentique, à l’image de ses gants, Donat réalise à la main des modèles qui sont ensuite envoyés dans des ateliers en France ou en Italie, près de Naples, pour être cousus : un gant de qualité repose sur un travail minutieux.

Il faut compter quarante minutes pour préparer un seul exemplaire. On doit choisir la peau, l’humidifier, la mettre au gabarit, puis seulement la couper. Si le modèle présente des fantaisies, c’est plus long encore. S’y ajoutent encore l’intégration de la doublure et les finitions.

Une fois ce travail terminé, le gant est cousu soit sur une machine, soit à la main, le piqué anglais étant la couture la plus élaborée. L’étape ultime consiste à le dresser sur une “main chauffante”, l’équivalent d’un repassage qui permet de les étendre afin d’obtenir un exemplaire parfait. Quand on lui parle de sur-mesure, Donat Pauwels préfère toutefois rester prudent et nuancé : un gant réalisé de manière traditionnelle implique l’intervention de quatre à cinq personnes. C’est beaucoup.

Surtout qu’aujourd’hui, les ateliers disparaissent les uns après les autres, notamment ceux de la région de Grenoble, avec lesquels nous travaillons. À force de voir des modèles issus de la fast-fashion, les gens ne savent plus vraiment reconnaître un produit de qualité. Pour l’artisan bruxellois, un beau gant, c’est d’abord un objet que vous avez envie de toucher. Le travail du mégissier, celui qui apprête les peaux, a donc toute son importance, même si ce métier est en passe de disparaître lui aussi.

Compatible avec smartphone

Le reste est affaire de technique : entre la préparation et la couture, chaque détail compte. D’autant que toutes les mains sont différentes. D’où l’importance du service. La position d’une couture peut tout changer et rendre un gant plus ou moins confortable.

Donat Pauwels se défend de faire du sur-mesure – il n’aime pas les concepts marketing –, mais doit régulièrement adapter des modèles pour cadrer avec les besoins et attentes des clients, ou les nouvelles donnes du marché. Ses gants tactiles, en peau spéciale teintée dans la masse et doublés de soie qui permettent de pianoter sur un écran de téléphone portable, en attestent.

Dans ce contexte difficile, l’artisan-gantier ressent-il le nouvel engouement des consommateurs pour les produits authentiques issus de l’artisanat ? Ce retour aux vraies valeurs est manifeste, mais si tous les ateliers européens ferment un à un, c’est sûr, nous ne pourrons bientôt plus répondre à la demande.