En visite chez le plus grand exportateur de caviar au monde, en Lombardie

Le caviar, un mets raffiné, dont la seule évocation évoque le luxe et la rareté. Vous pensiez sa production d’abord russe, voire iranienne ? Perdu : le plus grand exportateur de caviar au monde est lombard. On l’a visité, et on en est revenu avec deux ou trois sublimes leçons à partager.

PAR CARLO DE PASCALE. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES |

Un matin d’automne, rendez-vous à l’aube à Zaventem. Il y a des chefs, dont Giovanni Bruno, du Senzanome, un des quelques restaurants italiens étoilés de Belgique, des distributeurs de produits d’exception, des journalistes. Il est cinq heures, Starbucks t’éveille, les restaurateurs ont encore dans les yeux le service de la veille. Notre hôte de la journée est déjà au taquet. Koenraad Colman, crinière blanche, jeans slim et foulard coloré, importateur de caviar distribué en Belgique sous la marque Imperial Heritage, nous embarque pour Brescia, en Lombardie, visiter une ferme d’esturgeons. Pourquoi en Lombardie ? On vous explique.

Il était une fois l’esturgeon sauvage, ce poisson si ancien dans l’évolution qu’on peut le qualifier de poisson fossile, recouvert de plaques osseuses, qui suce des cailloux toute la journée et qui était présent, certes, surtout dans la mer Noire et la mer Caspienne, mais aussi dans les rivières d’Europe occidentale. Sur le marché, on trouvait principalement des œufs provenant de trois types d’esturgeons : le beluga, l’osciètre et le sevruga. La nature se chargeait de produire lentement les esturgeons, les hommes pêchaient ces poissons rares en prélevant des quantités raisonnables. Mais avec l’effondrement de la Russie soviétique, la surpêche a ratiboisé les réserves, suivie de près par l’interdiction d’importer en Europe le caviar d’esturgeon sauvage.

Résultat, le caviar d’élevage s’est développé un peu partout, notamment en Italie. On se dirait presque que, vu que maintenant, on élève ces petites bêtes, le prix aurait dû baisser. Mais non ! Certes, les esturgeons sont plus nombreux, et grandissent dans des piscines, mais ces poissons prennent un temps fou avant de produire des œufs ! Sept ans pour les variétés les plus précoces et jusque vingt pour le désirable beluga. Vingt ans à élever, soigner, nourrir un poisson pour en récolter quelques kilos d’œufs précieux, on comprend vite que le rendement est moins efficace qu’une usine de chips.

27 tonnes par an

Et encore plus vite quand on visite Agroittica Lombarda, leader mondial du secteur avec 27 tonnes annuelles, qui produisent sous leur propre marque Calvisius mais aussi pour nombre d’importateurs, comme notre sémillant Koenraad. Une entreprise comme on en trouve dans le nord de l’Italie. Structurée. Très. La patronne, affairée, nous consacre 40 secondes avant de nous confier aux mains d’experts maison, lesquels vont nous entretenir de leurs méthodes d’élevage, de nourrissage et ensuite de sélection des grains, qui sont ensuite salés et rangés dans de précieuses boîtes d’1,7 kg. Une boîte qui est la référence optimale pour la conservation du caviar, tous les autres conditionnements étant l’objet d’un réemballage.  

Avec Agroittica Lombarda, on comprend aussi très vite que “caviar “en tant que tel ne veut pas dire grand- chose. À l’instar de la truffe, du saumon ou du foie gras, j’avais déjà pu entrevoir que l’on pouvait avoir de très mauvaises expériences avec le caviar, qui reste un produit cher même quand il est bon marché. Impossible donc de compter sur le prix pour faire le tri entre l’excellent et le décevant. Dans le désordre, les vrais facteurs qui mènent à un bon caviar sont l’espèce, la nourriture, l’eau, le bassin d’élevage, la densité des poissons, la possibilité pour eux de nager.

Puis, à conditions égales, d’une bête à l’autre, la sélection et le classement effectué selon le calibre et la couleur du grain. Et puis aussi un peu de savoir-faire, bien sûr. Koenraad Colman affirme par exemple avoir ses propres “maîtres caviar“ russes qui viennent expressément en Italie saler sa production. 

Comment le déguster ?

Reste la question qui tue : est-ce vraiment un mets exceptionnel ? Il faut une vie pour maîtriser la connaissance du caviar. À notre niveau, il faut donc juste se fier à ses goûts, ses sensations. Ne pas se convaincre que ça va être formidable parce que c’est du caviar mais trouver le caviar qui nous fera dire que c’est formidable. Mes repères à moi sont d’abord la consistance du grain, qui doit rouler et éclater. Et goût léger, discret et à la fois très présent. J’aime un caviar gourmand, presque pâtissier, brioché, sans que l’arôme de poisson ne domine.

Il va sans dire que les produits évoquant la vase – il en existe – sont selon moi très décevants. Pour goûter, à tout le moins, pour faire son choix, le mieux est de déposer une petite cuillerée sur le dos de la main et de le déguster nature. Chez Calvisius, j’ai littéralement craqué pour une qualité qui n’est pas parmi les plus prestigieuses : le caviar d’esturgeon blanc “transmontanus” dont la gourmandise a été une vraie révélation.

Pour info, même s’il s’agit certainement d’œufs moins gourmands que la sélection que j’ai eu le privilège de goûter sur place, les 10 000 boîtes de 15 grammes (un peu plus de 650 euros le kilo, une affaire !) vendues un poil en dessous des 10 € par Lidl ce décembre sont du caviar d’esturgeon blanc, provenant de la société Agroittica Lombarda. Comme cela, vous savez...