Espace perché

Paris demeure une ville dotée d’inépuisables surprises. L’appartement occupé par la joaillière Valérie Messika et sa tribu en est une bien jolie. Il est niché sur les hauteurs de la ville.

Par Estelle Toscanucci Photos Tim Van de Velde |

La demeure de Valérie Messika est flanquée d’une vue époustouflante, composée de différents niveaux. Regardez droit devant et savourez la ligne verte des arbres du Bois de Boulogne, levez légèrement la tête et vous voilà le souffle coupé devant la tour Eiffel et le Sacré-Cœur. Installé confortablement sur la terrasse, impossible d’être de méchante humeur tant la vue semble thérapeutique. L’intérieur de l’espace est clair, épuré, orné d’objets qui parlent au cœur de la propriétaire, et égayé par les nombreuses photos de famille. Un écrin qui en jette, qui pourrait effrayer par sa perfection, mais dans lequel Valérie Messika a taillé un cocon abordable, personnel, moderne et chaleureux. Une façon d’être qu’elle a appliquée également au travail du diamant, sa pierre de prédilection.

Votre demeure donne l’impression d’être une cabane perchée sur un arbre. Comment l’avez-vous dénichée ?

On l’a achetée brut de béton, c’était une coquille vide. Mon mari et moi avons ensuite pensé la structure en collaboration avec un architecte. C’est un lieu idéal pour reprendre sa respiration tout en étant aux portes de Paris. Je suis très sensible à la lumière, cela a sans doute un lien avec le diamant. J’ai toujours besoin de vivre dans des espaces très ouverts, avec des baies vitrées. La vue sur le Bois de Boulogne m’a rappelé le dessin animé Tom Sawyer, que je regardais lorsque j’étais petite. Dans une cabane hissée en hauteur, on a à la fois l’impression d’être protégé et on bénéficie de la vue. C’est une agréable sensation.

Paris est finalement le principal élément de décoration de cet appartement. Pas besoin d’autres ornements ?

C’est vrai que je suis quelqu’un qui aime les choses pures, mais je travaille beaucoup les perspectives, les volumes. J’ai voulu respecter l’environnent pour vraiment laisser parler le lieu. D’où le choix de la sobriété, la préférence du gris et du blanc. J’y ai ajouté une touche de rose, car j’étais enceinte de ma fille. Cette couleur amène de la douceur et empêche l’étouffement monochrome. Cela correspond bien à ma personnalité. Je suis tranchée dans mes choix mais mon caractère est doux, j’évite les conflits.

C’est l’antre des ours ici ! Il y en a un peu partout. Qu’est-ce qui vous plaît chez ces animaux ?

Chez eux, c’est le côté protecteur qui me plaît beaucoup. Ils sont doux et rappellent l’univers de l’enfance. Ici, ils cohabitent avec des danseuses. C’est ludique. Je suis particulièrement attachée aux ours du sculpteur Philippe Berry, le frère de Richard. Je rêverais aussi d’avoir un fauteuil Egg d’Arne Jacobsen à la maison. C’est un objet enrobant, dont on devine à peine les découpes. Ce fauteuil reste moderne, il est intemporel. Il traverse le temps et on le redécouvre, comme certains bijoux.

Le diamant fait partie de votre histoire familiale. Petite fille, la pierre vous fascinait déjà ?

J’ai suivi mon père assez jeune dans ses voyages en Inde et en Afrique. Il m’a piquée un peu au vif dès l’enfance. Mon père est un entrepreneur autodidacte qui s’est fait lui-même dans une profession très fermée. J’ai toujours beaucoup admiré cela. Je suis l’aînée d’une fratrie de six enfants, j’avais sur mes épaules cette petite pression : il faut que quelqu’un pérennise cette passion familiale. Aujourd’hui, je travaille avec mon mari et mon cousin. Nos compétences sont complémentaires et nous enrichissons notre vie personnelle d’anecdotes professionnelles. Messika est un véritable projet humain.

Mais au-delà du projet familial, le diamant vous faisait-il rêver ?

J’étais également intéressée par l’architecture et la mode. Avant tout, c’était l’univers de mon père qui me fascinait. Le vrai coup de cœur est arrivé lorsque j’ai commencé à monter les pierres en bijoux.

Vous dites que très vite, vos yeux ont été entraînés à repérer les petits détails. C’est un don, une transmission ?

Mon père plaçait des diamants sur une table et me disait : Valérie, entre dans la pierre. Je prenais alors une loupe et examinais le diamant. Il continuait : Que vois-tu ? Où se trouve l’inclusion ? C’est un piqué noir ou blanc ? Il est à midi, à 6 heures ? C’est une transmission.

Comment la pierre brute devient-elle bijou ?

J’observe et je me concentre sur la manière de porter le bijou. Par exemple, j’étais convaincue que l’on pouvait porter le diamant comme un tatouage, un fil de diamant qui colle à la peau. Nous avons cherché des techniques, la concrétisation a pris un an et demi. Les artisans ont beaucoup travaillé et ils n’ont pas lâché. Ils ont trouvé une manière de travailler l’or pour en faire des manchettes qui s’adaptent à la morphologie de la personne. Je salue leur passion et leur désir de faire d’un rêve une réalité. Il y a également quelque chose de l’ordre de l’excitation d’un enfant. J’ai la chance de travailler avec des gens qui ont de l’expertise et qui ont accepté de casser la tradition. Et puis, je suis convaincue que les amateurs de bijoux sont sensibles aux détails. Sur mes bijoux, j’ai apposé une pampille de diamant, c’est un détail minuscule, mais les clients l’apprécient. C’est un élément de raffinement.

Est-ce que le diamant va à tout le monde ?

Oui. La manière dont je le traite fait en sorte qu’on peut le porter au quotidien. Nous proposons des bijoux sophistiqués, opulents, généreux, visibles, mais on a aussi le “bijou-détail” qui peut accompagner l’oreille, la main, comme une ligne de lumière. C’est un fard qu’on applique sur la peau des femmes. Et puis, un bijou il faut l’essayer, voir comment il réagit sur la peau et comment on se sent en sa compagnie.

Le diamant, ce n’est pas un peu dépassé ?

Quand j’ai commencé avec mon père, à l’âge de 25 ans, je trouvais que le diamant était très solennel. J’achète un solitaire pour mes fiançailles, la naissance de mes enfants… Mais le diamant peut se mélanger avec le jean, et il peut se porter en toute occasion.

Est-ce qu’il y a des tendances en matière de joaillerie ?

En ce moment, il y a une tendance à habiller le corps d’une manière improbable, un peu punk. Les bijoux transpercent les lobes, les bracelets ornent les mains, les bagues débordent des doigts. Je travaille avec ces tendances. Elles m’inspirent car je prends plaisir à transgresser les portés, je suis loin de détester l’inattendu. Le contraste entre le brut et le précieux me réjouit. Même si le bijou reste symboliquement fort. C’est important de respirer l’air du temps et de respecter la pierre.

Vous avez travaillé avec le photographe Terry Richardson pour votre récente campagne de publicité. Pourquoi ce choix ?

La mode est une forme d’inspiration pour moi et Terry Richardson est une référence dans cet univers. C’est aussi une manière de casser le côté sacré, une attitude, des valeurs. Terry a une écriture assez rock et vivante, instantanée, qui nous va bien. J’avais un peu peur du côté sulfureux, mais l’homme que j’ai découvert n’a rien à voir avec la réputation qu’il traîne. Il venait d’avoir des jumeaux et me montrait sans cesse les clichés de ses enfants ! Il était très consciencieux, il a fait et refait jusqu’à ce qu’il soit satisfait. C’était une belle expérience.