Et la Maison Lesage créa le tweed

Classique parmi les classiques, la petite veste en tweed figure parmi les pièces emblématiques de la maison Chanel. Mais pour que la magie continue à opérer, il faut que ce tweed se réinvente. C’est à Pantin, aux portes de Paris, dans les ateliers Lesage, que cette (r)évolution s’opère.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS D.R. |

Inventée par Coco Chanel, revisitée par Karl Lagerfeld, twistée par Caroline Maigret, Kaia Gerber et même Pharell Williams, la petite veste en tweed n’en finit pas de fasciner. Pas question cependant de lui coller une étiquette vintage. Pour Chanel, mais surtout pour les ateliers Lesage en charge de l’élaboration de ce tissu, on préfère parler de tweed in progress tant les développeurs textiles de cette maison ont à cœur de le réinventer chaque saison.

En charge depuis dix ans du développement textile chez Lesage, Laura Arguelles évoque ses rouleaux de tweed avec émotion. Car il faut de la sensibilité pour interpréter les thèmes des collections Chanel transmis par les équipes de création, bras droits de Karl Lagerfeld. Le challenge des équipes consiste donc à matérialiser une image ou une évocation par le biais du tweed.

Chaque fois qu’elle nous présente un échantillon, Laura Arguelles nous raconte une histoire, un voyage : "Quand les studios Chanel ont décidé de nous emmener à Santorin (le thème de la collection Cruise 2017 baptisée La Modernité de l’Antiquité, ndlr), nous avons créé un tweed évoquant les reflets changeants de la mer vus depuis un bateau." Le résultat : un tissu réalisé sur base de mousseline de soie découpée et tissée dans la trame.

Pour Ritz (la pré-collection hiver 2017, ndlr), son équipe a créé un étonnant galon de paillettes dorées tissées en trame et mélangées à des fils de jean laqués or. Un clin d’oeil aux lampadaires en pampilles des appartements de Gabrielle Chanel, précise-t-elle. J’avoue qu’on s’amuse beaucoup. Pour la collection Cruise été 2015, nous avions imaginé un tweed sur base de rubans de plastique multicolore de différentes largeurs et de mousseline.

La complicité qui unit Lesage à la maison Chanel donne lieu à des idées parfois un peu loufoques qui ravissent l’équipe de Laura Arguelles : "Nous ne savons jamais ce que Chanel va créer sur base de nos tissus. Un jour sur une jupe en tweed, ils ont trouvé amusant de transformer les lisières (le bord non fini du tissu, ndlr) en franges. Le contraste formé par cette lisière rouille et le tweed noir et doré était tout à fait magique. Depuis, on fait en sorte de créer de jolies lisières (elle rit)".

Une idée, un tissu

Installée à Pau dans le sud-ouest de la France, Acte 3 se charge de la production. Cette usine rachetée par Lesage en 2014 a été intégrée aux Métiers d’Art Chanel, au même titre que Maison Michel ou encore Lemarié. Son défi majeur est de transposer les échantillons réalisés par les ateliers Lesage et validés par Chanel sur de grands métiers capables de produire des rouleaux de tweed de deux mètres de large. Si le processus est cette fois industriel, la main de l’homme reste au centre de la démarche.

Laura Arguelles nous confiait : "On ne se fixe aucune limite en termes de créativité ou d’ingéniosité pour relever certains défis techniques. Le plus impressionnant était sans doute le tissu réalisé sur base de plusieurs types de fil, mais aussi de franges et de galons de cuir pour la collection des Métiers d’Art Paris Texas de 2013." Pour Laura et son équipe, il symbolise la force créative de cette maison tournée vers l’avenir.

"Nous accordons une grande place à la transmission de notre savoir-faire. Depuis quelques années, l’engouement des jeunes pour notre métier va grandissant. Nous recevons des demandes de stage d’étudiants en ingénierie textile, mais aussi de jeunes qui dès 15 ans se passionnent pour le travail en atelier. Leur enthousiasme est une vraie reconnaissance. Un jour, nous pourrions très bien créer un lurex sur base de blé ou de pierre réduite en poudre. Pourquoi pas?"

Le tweed rock, en pratique 

Parce que les ateliers Lesage font preuve d’une créativité sans limite, que Karl Lagerfeld a eu l’intelligence d’esprit de ne pas le cantonner à une seule utilisation, contre toute attente, le tweed a réussi à ne pas virer ringard. Les studios du créateur ont modernisé ce tissu phare en revisitant les proportions des différentes pièces.

Que ce soit en version raccourcie (avec un T-shirt en dessous) ou en version oversized, la veste classique est tout de suite plus moderne, surtout associée à du jean. Vous pouvez aussi craquer pour un simple accessoire, comme un béret ou une casquette en tweed.

Cet hiver, Karl Lagerfeld a donné à ce tissu une dimension faussement rustique en ajoutant un gros lien à la taille des pantalons (clin d’oeil au streetwear) et en glissant d’épais pulls à col roulé assez bruts sous un manteau en tweed foncé.

Le tweed en chiffres

  • Les archives Lesage comptent pas moins de 75 000 échantillons de broderie.
  • Chaque collection couture engendre la création d’environ 100 nouvelles broderies.

  • Les ateliers renferment 60 tonnes de fournitures (perles, sequins, cristaux, fils...) et emploient 70 collaborateurs,
    dont 50 brodeurs.

  • Chaque année, le département textile développe 700 échantillons différents

  • Pourtant classique, l’un des tweeds de la collection hiver est composé de 25 fils différents.

Lire aussi :

Shopping à l’irlandaise : nos dix pièces coups de coeur
Messieurs, oserez-vous adopter ces sept tendances mode ?