Et si on assistait à la fin de la frontière entre design féminin et masculin ?

Moins orientée marketing qu’il y a quelques saisons encore, cette tendance qui consiste à flouter, voire à gommer totalement, la frontière entre design masculin et féminin se vérifie dans des domaines aussi variés que la mode, la beauté et les accessoires.

Par Marie Honnay. Photos D.R. |

Lorsqu’il s’agit de traquer les tendances, il est souvent judicieux de jeter un œil à la génération des Millenials. Ce sont eux qui, à coup de posts sur les réseaux sociaux, imposent de nouveaux modes de pensée et des habitudes de consommation décomplexées découlant directement des valeurs qui leur sont chères. Pour voir d’où vient le vent, les pros du marketing reluquent donc du côté de cette génération qui vit en tribus et se passionne pour le concept de “power couples”.

À ce petit jeu, la top model Gigi Hadid et le musicien Zayn Malik ont une longueur d’avance. Il y a quelques mois, rassemblés sur la couverture de Vogue, les amoureux ont offert une belle démonstration de mixité moderne, prouvant à tous ceux qui ne l’avaient pas encore noté que la mode telle qu’ils l’envisagent n’a plus de genre. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à le penser. Directeur artistique de la maison Gucci, Alessandro Michele dessine des costumes masculins pour les filles et des pièces fleuries et en brocard pour les garçons. Pour Chanel, Pharell Williams ne rechigne pas à arpenter le catwalk dans un tailleur en tweed. Même les designers moins portés sur la théâtralité floutent la limite entre les genres.

Quand Karl Lagerfeld s’inspire de l’approche unisexe de Gabrielle Chanel pour sa collection des métiers d’art Paris-Hamburg, à coup de clins d’œil aux uniformes de marins chers à la créatrice, elle qui s’amusait à leur piquer casquette, cols, cabans et vestes de capitaine. 

Les nouveaux mots d’ordre : improvisation, “décomplexion”, expérimentation et affirmation de soi. Si les moins de 20 ans sont passés maîtres dans l’art de créer leurs propres codes, le mélange des genres n’a rien de nouveau. Prince et David Bowie avaient formidablement ouvert la voie, il y a plusieurs décennies déjà. Alors, qu’est ce qu’elle a de nouveau, la mixité 2018 ? Moins caricaturale, elle se veut juste fun et légère. Et si, parfois, elle se transforme en plaidoyer pour la cause transgenre, elle est le plus souvent l’occasion de faire dressing commun, comme nous l’ont expliqué quatre experts en coiffure, joaillerie, beauté et parfumerie.

Parfums à partager

En charge depuis 20 ans du conseil clients chez Senteurs d’Ailleurs à Bruxelles, Pablo Perez est formel : Si l’on s’en tient aux ingrédients proprement dits, le parfum n’est évidemment pas lié à un genre en particulier. Au Moyen-Orient, les hommes n’hésitent pas à porter des fragrances à base de rose ou de jasmin. En Belgique, même si ce sont des senteurs plus difficiles à imposer auprès de la clientèle masculine, quand nous y arrivons, le résultat est étonnamment convaincant. Je pense notamment à un client, un vrai mec, fidèle, depuis des années, à Portrait of a Lady de la collection de Fréderic Malle. Sur sa peau, les notes de patchouli prennent le pas sur la rose, l’ingrédient principal. Le résultat est très masculin, très racé.

À l’inverse, lassées des parfums gourmands ou sucrés des marques mainstream, de plus en plus de femmes se tournent vers des nuances boisées, dites masculines. La toute première création dans ce registre, c’est Féminité des Bois de Serge Lutens. Dès 1992, il avait osé proposer aux femmes une fragrance en dehors des codes établis. Aujourd’hui, dans notre boutique, la majorité des clients qui achètent Tam Dao de Diptyque sont des femmes alors qu’à la base, il a plutôt été conçu pour une peau masculine

Tam Dao, une fragrance pour hommes, mais surtout achetée par des femmes.

Si un changement de mentalité est perceptible de manière plus ou moins subtile chez la majorité des clients de Pablo, c’est la nouvelle génération qui, une fois encore, mène la danse : Les 18/30 ans que nous accueillons à la boutique sont clairement dans une autre dynamique que la génération précédente. Très informés par le biais des réseaux sociaux sur tout ce qui va être lancé, ils veulent des parfums rares et exclusifs. Le genre leur importe peu. Le meilleur exemple, c’est Fucking Fabulous, un jus à base d’amande lancé par Tom Ford après son défilé été 2018. Annoncé via Instagram à l’issue du show, il a généré dans les minutes et les jours qui ont suivi d’immenses listes d’attente, y compris dans notre magasin.

Beauté sans genre

Comme le souligne l’expert Raphael Hobart, également de la boutique Senteurs d’ailleurs, le secteur de la cosmétique reste, lui, très segmenté. Parmi les différents types de produits que nous proposons (coréens, bios, de niche.), certains sont en effet conçus dans une approche purement masculine. Leur particularité ? Une vraie simplicité d’utilisation, des formules multi-usages et des packagings qui rassurent. Au-delà de 40 ans, beaucoup d’hommes recherchent ce type de propositions. Or, à la base, les actifs que les labos mettent dans les crèmes n’ont pas de sexe. Pour étayer sa thèse, Raphael ajoute que la croyance selon laquelle une peau de femme est fine et délicate et celle d’un homme, épaisse et plus grasse, ne se vérifie pas dans la pratique. Physiologiquement, le matelas de fibres de collagène est effectivement plus épais chez un homme mais, dans la pratique, les peaux se traitent de la même manière.

Ce qui compte, c’est l’analyse de la peau. Quant au plan d’action, il vise à solutionner un problème spécifique, pas à mettre le ou la cliente dans une case. Le rôle des pros de l’esthétique est donc de conseiller et d’utiliser le bon vocabulaire : Lorsque j’aborde le thème du nettoyage avec mes clients, je leur explique qu’un homme qui utilise un anticernes ou une protection solaire doit, tout comme une femme qui se maquille, nettoyer son visage, poursuit Raphael, Même si dans le cas d’un homme, on n’utilise pas le mot“démaquillage”.

Chez Senteurs d’ailleurs, beaucoup de marques présentes (Aesop, Verso, La Mer…) ne segmentent plus leur offre. La dimension “plaisir” que va induire le produit est autant adaptée aux femmes qu’aux hommes. À la boutique, je vois arriver de plus en plus de jeunes couples qui souhaitent acheter un sérum commun et le partager. Cette approche leur permet de vivre une nouvelle expérience dans la salle de bains, d’échanger leur ressenti. Les clients plus âgés peuvent, eux aussi, utiliser un même nettoyant ou une même crème. Ce qui va peut-être changer, c’est le sérum. En matière d’anti-âge, une femme va en effet chercher à lutter contre le relâchement du visage, tandis qu’un homme demandera plus souvent une crème antirides spécial regard.

Coiffures doubles

Quand les coiffures sont de moins en moins genrées.

Ambassadeur pour la fédération belge des coiffeurs, Mike Carpino est aussi l’homme derrière la coupe de Stromae dans son clip Tous les Mêmes. Autant dire que le floutage des genres, ça le connait. Ce printemps, il a d’ailleurs imaginé plusieurs looks dans cet esprit : Avant d’être liée à un genre en particulier, une coupe est d’abord une affaire d’harmonie. Il faut qu’elle cadre avec le visage et le caractère de celui ou celle qui la porte. Pour le reste, c’est le coiffage qui fait la différence. Cette saison, la tendance est au naturel. Le cheveu doit donner l’impression qu’il a vécu. On joue les effets de matière, le coiffé/décoiffé.

Quant aux codes masculins et féminins, le spécialiste en est convaincu, ils n’ont plus raison d’être : Les gens se posent beaucoup moins de questions aujourd’hui. Ce qu’ils veulent, c’est exprimer leur individualité, plutôt que de s’inscrire clairement dans un genre défini. Ils sont également prêts à expérimenter davantage. Les réseaux sociaux contribuent à ouvrir le champ des possibles. On le voit dans l’influence de la subculture sur la nouvelle génération. Il y a 30 ans, dans les mangas, les garçons avaient les cheveux roses. Les Japonais ont très vite adhéré à l’idée. Celle-ci arrive maintenant doucement chez nous. Certes surtout chez les filles, mais aussi un peu chez les garçons

Reste à savoir à qui s’adressent les coupes à tendance mixte ? D’après Mike Carpino, aux garçons aux traits fins et aux filles dont le visage et le style sont relativement affirmés. Mais le coiffeur invite à ne surtout pas tomber dans la caricature. Un homme qui porte un carré court ou mi-long peut rester très masculin. Et pour les femmes, un beau rouge à lèvres suffit à ajouter un supplément de féminité et à contrebalancer une coupe courte. De manière générale, le confort reste l’argument numéro un des femmes qui optent pour un style garçonne. On remarque aussi que ce choix va souvent de pair avec un changement de vie, un besoin de gagner en assurance.

Brillante mixité

Dans le registre du bijou, la mixité aussi est bel et bien présente. Murièle Jaskiewicz, responsable communication pour la marque de joaillerie parisienne Dinh Van : Notre maison s’inscrit par essence dans cet esprit. Inspirés du Bauhaus, nos bijoux graphiques et minimalistes ont, dès leur lancement dans les années 70, séduit une clientèle masculine. C’est le cas de la bague Tube inspirée d’une chaise de Breuer ou de la collection Seventies, totalement unisexe. Une confusion des genres qui demeure toutefois un phénomène limité. Le monde de la joaillerie reste, quoi qu’on en dise, classique et plutôt codifié. Certains hommes portent nos bracelets Serrure ruban ou Square en argent, mais ce marché est, de manière générale, relativement anecdotique. Surtout depuis que la tendance est aux bijoux ornés de diamants. Un style qui, forcément, ne concerne pas les hommes. 

Selon Murièle Jaskiewicz, l’augmentation de la mixité dans le bijou passera notamment par l’introduction de nouvelles matières – comme le carbone ou le titane – qui permettent par exemple de créer des pièces de couleur noire. Zen, notre nouvelle ligne en titane est conçue spécifiquement pour les hommes, mais elle va probablement séduire aussi certaines femmes.

Bracelet Dinh Van, pour cible mixte.

Dans cette même idée, Dinh Van avait d’ailleurs déjà précédemment créé le bracelet Pi Independent. Né d’une collaboration avec Lapo Elkann (play-boy italien et héritier de l’empire Fiat, ndlr), ce bijou en carbone et diamants noirs avait permis de cibler un double public. C’est encore plus vrai lorsqu’on regarde du côté des marchés émergents. Dans les Émirats, les hommes aiment les bijoux, mais ne portent jamais d’or. D’où par exemple le succès, dans cette partie du monde, de nos bracelets Menotte en titane.

www.senteursdailleurs.com, www.dinhvan.com, Mike Carpino : rue de la Belle Jardinière, 4031 Liège, T. 0475 63 38 09.