Henri PFR : Bruxellois, 22 ans et déjà DJ star

Il est la nouvelle coqueluche de la scène musicale belge. Au moment où nous bouclons ce numéro, nous ne savons pas encore s’il remportera un, deux ou trois D6Bel Music Awards, mais avec un disque de platine décerné pour Until the End, on peut déjà affirmer que 2018 sera l’année Henri PFR.

Par Ingrid Van Langhendonck. Portrait Laetizia Bazzoni. Merci à la boutique Scabal de Bruxelles pour son accueil lors de notre shooting. |

Henri PFR, de son vrai nom Henri Peiffer a 22 ans à peine. En 2013, il poste un morceau sur Youtube, récolte 70 millions de vues et tout s’accélère. En 2017, il a enflammé le festival Tomorrowland, fait swinguer 6000 personnes sur la Grand-Place de Bruxelles et atteint des dizaines de millions d’écoutes sur Spotify. Pourtant, quand il débarque pour notre interview, ce n’est qu’un grand (très grand) post-ado au sourire gentil. On nous l’avait décrit timide, il est plutôt enjoué, il se livre sur cette vie d’adulte qui lui est tombée dessus. Il plante son regard franc dans le vôtre, tutoie d’emblée, et raconte les risques pris, les paris un peu fous, tout en prétendant manquer d’assurance…

Comment fait-on pour gérer la célébrité, quand elle te tombe dessus en quelques mois ?

En fait, je ne réalise pas toujours bien ce qui se passe. Lors d’un de mes derniers concerts à Nivelles, à ma sortie de scène, la sécurité m’a empêché de quitter la salle et a installé les barrières tant la foule était impressionnante. Les gens criaient et je marchais au milieu de tout cela sans vraiment me rendre compte. Bien sûr, certaines personnes se sont éloignées et, à l’inverse, d’autres ne se sont tournées vers moi que par intérêt. Au final, seuls les vrais amis sont restés. Mais de manière générale, je pense que je suis surtout bien entouré. Mes parents sont très présents, ils sont mon équilibre. J’ai dû un jour choisir entre les études et la musique et ils m’ont soutenu. Ils trouvent les mots justes quand je doute, c’est important.

Ces mêmes parents qui t’ont forcé à apprendre le solfège ?

Oui (il rit). Le mercredi, jour de solfège, ma mère me jetait hors de la voiture puis démarrait en trombe pendant que je pleurais pour ne pas y aller, je courais derrière la voiture, c’était un cauchemar… Quinze ans plus tard, je leur suis tellement reconnaissant de m’avoir inculqué tout cela. Aujourd’hui, parfois, je m’installe au piano et je joue du Beethoven, ou je mets Chopin dans mon casque, ça me fait carrément planer. En voiture, je branche la radio sur Klara, c’est fou, non ? Mais c’est la base. Tout part du classique, tous les styles musicaux en découlent. C’est en l’observant dans son évolution que je construis ma musique. Et puis j’ai été bercé au Led Zeppelin, Fleetwood Mac, David Bowie... Ça fait aussi partie de ma culture musicale.

Avec un tel bagage, pourquoi l’électro ?

Bonne question ! Pour son côté ludique, je pense. Pour les possibilités inouïes qu’offre cette musique. J’ai commencé vers 11 ans sur un ordinateur, avec l’application Garage Band embarquée sur tous les Mac. Je m’étais autoproclamé DJ Hell, le DJ de l’enfer (rires). Je collais des morceaux ensemble, je composais des morceaux, tout est parti de là. J’aime avant tout l’idée de pouvoir créer des sons qui n’existent sur aucun instrument, reprendre des anciens morceaux et les retravailler complètement. Il n’y a aucune limite dans l’électro, c’est ça qui me plait. On peut tout faire avec un ordinateur, revisiter tous les styles, faire des boucles, jouer sur les rythmes, y ajouter des sons… En fait, mon rêve ultime serait d’être compositeur pour le cinéma. Des parcours comme celui d’Hans Zimmer ou Enio Morricone incarnent à mes yeux les plus belles carrières du monde, précisément parce que les arts se mélangent, ils s’enrichissent l’un l’autre. Les images existent différemment grâce à la musique. C’est formidable, parce que c’est un art complet.

L’art, justement, c’est quoi pour toi ?

L’art est partout. J’ai été éduqué comme cela. Mes parents sont graphistes à la ville. Mais en dehors de leur métier, ma mère peint, mon père est sculpteur, tout est source de créativité pour eux. Ils m’ont appris l’art et les artistes, et puis la BD. Je suis un fan de BD.  Là, je suis plongé dans l’intégrale des Spirou, c’était mon cadeau de Noël. Des BD comme XIII sont mes références, c’est vrai que je suis plutôt branché BD classiques : mon père m’a biberonné à Astérix, donc je ne suis pas vraiment fan de mangas. J’aime aussi probablement la BD parce qu’elle est une forme d’art plus ludique, qui ne se prend pas au sérieux, c’est pour cela que ça me parle. Je ne suis pas un artiste torturé, mon message est bien plus léger, et l’électro est une approche décalée d’un art classique. Pas moins exigeante, mais plus légère. Quand je suis derrière mon ordinateur, je suis comme un enfant qui joue, je n’ai pas le sentiment de devoir dompter une quelconque technicité, je suis
un “gamer”.

C’est cela la vie des jeunes aujourd’hui : tout est un jeu ?

Oui et non, je pense que nous sommes capables de nous mobiliser, de nous battre pour faire évoluer la société, mais nous nous sentons un peu éloignés des politiques. Ma sœur est très engagée dans le combat féministe et je pourrais descendre dans la rue avec elle pour défendre les droits des femmes. Ces combats me font réagir et me touchent , mais je ne trouve pas de réponses dans la politique. Nos valeurs se défendent autrement. Je me suis retrouvé par exemple confronté à l’étendue de la pauvreté en Belgique quand j’ai participé à Viva For Life, et ça a été une sorte de choc. J’ai grandi dans un milieu assez préservé, privilégié. Et donc même si je savais que ça existait, réaliser qu’un enfant sur quatre, ici en Belgique, vivait vraiment dans la pauvreté m’a obligé à me poser des questions. Je m’adresse à des milliers de gens et si je peux les mobiliser dans une bonne direction, partager de bonnes valeurs, cela donne un sens à ce que je fais.

Cette influence via les réseaux sociaux, comment la gères-tu ?

En privé, je ne me pose pas trop de questions, mais j’ai un compte public, je suis une sorte de personnage, un “influenceur” comme on dit. Alors, avec mes amis, qui sont aussi confrontés à des profils publics, comme Gui Home ou Lost Frequencies, clairement, on en parle. On échange nos impressions sur le ton, les propos que l’on tient, comment gérer le flux des messages, ne blesser personne, ne pas mettre en avant de mauvaises valeurs. Je gère moi-même mes réseaux sociaux, c’est important pour les gens qui me suivent . Je les avais délégués un moment, mais c’était plus sec, plus préparé. Mes followers l’ont tout de suite repéré et, au final, je ne m’y retrouvais pas. Cet échange avec les gens est trop important.

Et ton rapport aux médias ?

On a un autre rapport aux médias, tous les médias. Ma génération est de plus en plus sur Netflix, on consomme les films, les séries quand on en a le temps ou l’envie. On ne suit pas l’information en télé, on dégaine son smartphone quand on a cinq minutes. Mais la télé reste un média très puissant pour nous, elle permet de donner de la densité et de la crédibilité à un projet.

As-tu déjà pensé à ce qui va se passer, après ?

Je sais que les modes passent, que je cours un risque d’avoir une carrière courte ou de faire un mauvais album, mais je suis moins inquiet qu’il y a quelques mois de ne pas avoir couru derrière un diplôme. En fait, les études, pour moi, sont une formation de l’esprit : elles vous nourrissent, mais ce n’est plus le seul chemin vers une carrière épanouissante. Aujourd’hui, ce sont surtout les expériences, la force de travail et le réseau que l’on crée autour de soi qui sont votre meilleur CV. Après, c’est vrai que j’ai raté ces années d’auditoire, je n’ai pas vécu la vie d’étudiant, le stress des examens, cette solidarité, les fêtes... Je suis devenu adulte d’un coup. Dans mon studio, parfois, je suis un peu nostalgique de ça. Parce que paradoxalement, j’ai au final une vie assez solitaire. Mais je n’ai pas non plus commencé la musique pour en faire un métier, mais parce que c’était ma passion. Je ne le vis donc pas comme un métier, en tout cas pas comme un travail au sens propre. C’est même parfois curieux comme sentiment… 

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