Joël Dicker : du best-seller au petit écran

Son nouveau roman s’est hissé d’emblée en tête des ventes. Mais c’est pour une tout autre actualité que nous avons rencontré l’écrivain suisse : La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, son bestseller vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde, devient une série télé. On trépigne !

PAR GILDA BENJAMIN. PHOTO REPORTERS. |

Dans son nouveau roman, La disparition de Stephanie Mailer, Joël Dicker a toujours le sens du rythme (il joue de la batterie) et des coups de théâtre. Il y a six ans, avec La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, les lecteurs se passionnaient déjà pour ce jeune auteur alors âgé d’à peine 26 ans. Et nombreux sont ceux qui voulurent transposer à l’écran ce suspense haletant. Contre toute attente, c’est le réalisateur Jean-Jacques Annaud, l’homme de La Guerre du feu, de L’Ours et de L’Amant, qui a remporté la mise, en format série télé. Et surtout, pour incarner l’écrivain Quebert plongé dans une sombre histoire de meurtre, Patrick Dempsey, héros de la série Grey’s Anatomy...

On s’attendait à ce qu’Harry Quebert devienne un film. Comment est-ce devenu une série télé ?

Mon éditeur Bernard de Fallois, décédé en janvier et que j’estimais profondément, était un grand cinéphile. Il méconnaissait le monde des séries qui, jusqu’il y a récemment, était un genre de seconde zone. Après de multiples propositions de réalisateurs, Jean-Jacques Annaud l’a convaincu par son enthousiasme. Il lui a tout de suite proposé de l’adapter en série, parce qu’un film aurait été trop court. Mais cela reste du vrai cinéma. J’ai vu les premières images en octobre, j’avais l’impression de voir un film en épisodes. Les Américains appellent ça “An extended movie”, un film à rallonge ! Au lieu d’un long-métrage de 8 h 40 on en a dix de moins d’une heure.

Êtes-vous intervenu dans l’écriture du scénario ?

Non, car en discutant avec Jean-Jacques Annaud, j’ai vite saisi qu’il avait tout compris à l’esprit du livre. Je n’étais donc pas du tout inquiet, et je l’ai laissé l’adapter comme il le désirait. En fait, je n’ai pris connaissance du scénario que peu de temps avant le début du tournage. J’ai découvert un regard différent sur des couleurs, des sensations... Mais cela restait extrêmement fidèle au livre. Ce qui m’a plu, c’est que, dans le choix des acteurs et des lieux, Annaud avait totalement compris mon propre ressenti.

Peut-être est-ce parce que votre écriture est assez cinématographique...

On me le dit souvent. Est-ce dû au film que se joue chaque lecteur en lisant un de mes romans ? Personnellement, je ne suis pas très cinéphile. J’aime bien le cinéma et je regarde quelques séries, mais sans plus. Par contre, j’apprécie l’idée d’écrire des romans d’aventures foisonnants. J’admire beaucoup les feuilletonistes qui exerçaient bien avant le cinéma. Aujourd’hui, on s’en nourrit et les séries télé proposent une qualité extraordinaire de moyens, de scénario, de décors... Cependant, il ne faut jamais négliger la force de l’esprit du lecteur. Elle reste plus forte que le cinéma et les séries.

Racontez-nous le tournage. Vous étiez présent ?

Il s’est déroulé du mois d’août à décembre 2017, au Québec, et j’ai eu le bonheur de le suivre tout du long, avec de multiples allers-retours. J’avais une position des plus agréables puisque je n’avais aucun rôle. Juste celui d’un spectateur très enthousiaste. J’ai vécu une période très émouvante. Annaud est un homme très doux, à l’écoute, et pourtant il y avait jusqu’à 300 personnes sur le tournage. Tout se déroulait comme un ballet savamment chorégraphié. Et s’il s’agissait bien d’une production américaine, il y régnait un esprit particulier.

Les costumières pouvaient laisser libre cours à leur esprit créatif, tout comme les éclairagistes, les preneurs de son... Chacun pouvait exprimer son art. J’ai découvert combien chacun avait son rôle à jouer. Les acteurs se sentaient également libres, dans leur jeu comme dans leurs mouvements. J’ai vu plusieurs fois Patrick Dempsey donner son point de vue quant à certains dialogues.

Justement, vous avez eu votre mot à dire sur le casting ?

Non, je ne suis pas du tout intervenu, mais on m’a mis dans le secret au fur et à mesure. Et j’étais très curieux de voir Patrick Dempsey en action, mais aussi Ben Schnetzer, Kristine Froseth...

Vous êtes parfois intervenu ?

Les acteurs avaient parfois des questions quant aux personnages, mais je les renvoyais vers Jean-Jacques Annaud : c’était son projet, pas le mien. Cependant, Annaud revenait de temps en temps vers moi pour me demander mon avis. Parce qu’il y a des précisions que vous n’êtes pas obligé d’apporter dans un livre mais qui s’avèrent indispensables quand il s’agit de montrer certaines choses ou de développer certaines scènes à l’écran. Ce n’était pas toujours facile de les aider. Un tournage se déroule dans le désordre, il y a eu d’abord les extérieurs puis les scènes en studio. De quoi perdre le fil... Heureusement que j’avais mon livre en version PDF pour m’y replonger !

Qu’avez-vous pensé du choix des lieux de tournage, au Québec ?

Le tournage s’est déroulé notamment à Forestville et à Frelighsburg. Le Canada, et plus particulièrement le Québec, s’est imposé pour des raisons essentiellement pratiques. Vous passez de la ville à des paysages fabuleux en seulement une heure de route. Mais il faut savoir que Jean-Jacques Annaud a passé des semaines à parcourir des milliers de kilomètres sur toute la côte Est pour trouver LA maison d’Harry Quebert. Il a vu des résidences toutes plus belles les unes que les autres au bord de l’océan mais aucune ne convenait. Alors, après avoir trouvé l’endroit qu’il cherchait, il y a simplement construit la maison telle qu’il la rêvait.

Elle ressemble aussi à celle vous imaginiez ?

Oui, c’était exactement ça ! Cette terrasse devant l’océan me donnait envie de m’y asseoir et d’écrire un livre. C’était tellement fort. Je sais que de nombreux lecteurs ont peur d’être déçus mais j’ai l’impression que la série est aujourd’hui complémentaire du roman, elle a la force de l’image. 

Vous comptez des millions de lecteurs. Vous préparez-vous à enthousiasmer des millions de téléspectateurs ? 

Je ne me rends pas compte. Certains vont préférer le livre, d’autres la série, et c’est très bien. Dans dix ou quinze ans, je serai de toute façon fier de la montrer à mes enfants, que ce soit un succès ou pas. Mais quelle sera ma réaction si je tombe un jour sur des gens s’exclamant Alors Quebert, c’est un roman ? Ah bon ! 

La Vérité sur l’affaire Harry Quebert. Avec Patrick Dempsey, Ben Schnetzer, Kristine Froseth... À voir sur TF1 en automne 2018. Deux épisodes ont été montrés en avant- première au Festival Canneseries le 7 avril dernier.