Julie de Libran La nouvelle Rykiel

Longtemps considérée comme la botte secrète de miuccia prada puis de marc jacobs chez vuitton, la créatrice française a pris la lumière en 2014 à la tête de sonia rykiel. Elle y aiguise un style hyper parisien qui rebooste la maison. et signe, cet hiver, une collection de maquillage hyper rykiel avec lancôme. En somme : une icône hyper mode.

Par amandine maziers Portrait André Saraiva pour Lancôme photos belga/AFP et dr |

Prendre la tête d’une maison comme Rykiel, c’est hériter de toute son histoire. Et de quelques clichés. Prenez en vrac : Sonia et sa chevelure rousse flamboyante, les premiers pulls aux coutures à l’envers, Saint-Germain-des-Prés, le noir, les strass, la maille, la littérature, les rayures, la femme libre et de pouvoir, la fantaisie aussi. Sonia Rykiel, reine incontestée du Paris des années 70, a développé un univers fort – et léger – où la séduction est cultivée et le rire intelligent. Un véritable art baigné de parisianisme mondain et joueur. 

Quand la créatrice quitte, en 2009, la maison qu’elle a fondée en 1968, c’est sa fille, Nathalie, qui prend la suite, avant de s’allier au groupe chinois Fung Brands en 2012. Mais l’identité de la maison s’effrite, passant tour à tour entre les mains de l’Écossaise April Crichton, ex-bras droit de Sonia Rykiel, puis du Canadien Geraldo da Conceicao pour la direction artistique. Quand l’arrivée de Julie de Libran est annoncée en mai 2014, son nom est inconnu du grand public mais fait déjà référence dans le milieu de la mode. Et autant dire que l’enjeu est clair : redonner de la brillance à tout ça. La créatrice de 44 ans a un sacré CV : ex-bras droit de Marc Jacobs chez Louis Vuitton pendant six ans – en 2013, The Telegraph titre même en la qualifiant de Louis Vuitton’s Secret Weapon (l’arme secrète de Louis Vuitton, NDLR) –, elle a été formée au prestigieux Istituto Marangoni à Milan et a fait le plus gros de sa carrière dans de grandes maisons italiennes, tour à tour chez Gianfranco Ferré, Versace puis Prada pendant dix ans avec qui elle garde des liens très forts, n’hésitant pas à parler de seconde famille.  

Lorsqu’elle présente sa première collection pour Rykiel en septembre 2014, pour l’été 2015, Julie de Libran reçoit dans la boutique de Saint-Germain-des-Prés et accueille elle-même les invités. Quand on la rencontre en mai dernier pour parler de la collection de maquillage qu’elle vient de  créer avec Lancôme, elle instaure la même familiarité retenue. Elle parle lentement, pose un léger accent anglais sur certains mots – elle a grandi en Californie après une petite enfance en Provence – et quand la discussion embraie sur les attentats de Paris et de Bruxelles, elle multiplie les questions, n’hésite pas à imposer quelques silences  et joue d’une certaine bienveillance.  Vous croyez ? Ça fait du bien de l’entendre..., appuie-t-elle quand on évoque le sursaut parisien postattentats. Pas d’effusion. Un calme olympien. On la sent autant dans l’observation que dans le besoin d’être rassurée, même si chaque mot est posé avec certitude. Et c’est tout ce qui fait la force de son style : l’assurance légère. 

Sonia Rykiel, c’est toute l’identité de la Parisienne. C’est un univers dans lequel vous vous retrouvez ?

L’image de la Parisienne a une aura très importante. On me demande souvent quel est son secret et, en réalité, cette question est merveilleuse à entendre. C’est motivant. On a envie de la faire exister cette Parisienne ! Finalement, est-ce qu’un jour elle n’a pas été à la mode ? Peut-être dans les années 80, à l’heure des épaulettes et du futurisme... Je suis née en Provence, j’ai grandi aux États-Unis, j’ai beaucoup travaillé en Italie et je vis à Paris depuis longtemps. Je suis sans doute encore plus parisienne en travaillant pour Sonia Rykiel. Je le sens vraiment.

C’est encore plus que Paris non ? C’est Saint-Germain-des-Prés et la rive gauche ?

C’est vrai qu’il y a sans doute une allure appropriée à Saint-Germain. Il y a beaucoup d’écoles et d’universités, on y retrouve cette allure écolière, la nonchalance, la bohème, l’impertinence. Et puis il y a cette petite dégaine qui incite à dire : Waouw, t’es bien dans tes baskets toi ! J’aime bien ça. D’ailleurs, mon mari est un vrai Parisien, et il est vraiment comme ça ! 

On revendique encore plus ce statut de Parisienne quand Paris est attaqué ?

C’est un moment difficile pour tout le monde. La mode et la beauté sont des bulles. C’est de la création, du beau, de temps en temps du rêve même. On a de la chance d’être dans cette création et je ne veux pas me positionner dans une image politique. Cette légèreté était totalement assumée par Sonia Rykiel d’ailleurs.  

D’accord, mais elle était aussi très engagée et féministe...

L’histoire de la maison, c’est l’histoire de Sonia Rykiel. Et c’est toute la construction de son époque. Je suis dans un lieu où se mêlent à la fois cette histoire et celle de Saint-Germain-des-Prés. Sonia Rykiel avait un engagement, des convictions, elle les écrivait. Je ne prétends pas prendre cette position et j’en serais bien incapable d’ailleurs, ce n’est pas mon métier. En revanche, c’est un univers très inspirant et, même si c’est difficile de porter cet héritage, ce n’est surtout pas une contrainte. Au contraire.

Comment s’approprie-t-on cet héritage alors ?

J’apprends beaucoup de cette femme forte et je suis très fière de travailler pour un nom comme Sonia Rykiel, qui a marqué ma jeunesse. Je respecte ce patrimoine, mais je dessine pour les femmes d’aujourd’hui. Je suis très à l’aise avec cela. Je suis plus dans le désir, dans le vêtement qui va accompagner, dans l’artisanat, les matières et le savoir-faire. Ce regard créatif, c’est ce que j’aime. Et c’est ce que je sais faire surtout. 

C’est un cadre dont vous avez besoin ?

Sans doute. J’aime bien une certaine discipline, ne pas être uniquement dans l’urgence, et je me sens très à l’aise dans un cadre. Ça donne à la fois des limites et des challenges. Quand je suis arrivée chez Sonia Rykiel, j’ai décidé de manière très frontale de ne faire que des rayures ou presque. C’est ce qui me semblait le plus évident, même si c’était littéral, parce que c’est ce qui rappelle la maison à tout le monde. J’ai fait une nouvelle rayure et c’est devenu la rayure Sonia Rykiel. Aujourd’hui, je peux me permettre d’aller plus loin. J’ai introduit des matières qui n’existaient pas dans les collections, comme le tweed, qui a une vraie filiation avec la maille chère à Rykiel. Cette maille fine d’ailleurs, c’est la liberté du corps. Elle fait désormais partie de notre quotidien au-delà de l’héritage Rykiel. Et puis j’ai aussi amené le jersey, le denim... Ce sont ces nouvelles matières et cette technique extraordinaire qui ancrent dans l’époque.

Sonia Rykiel vous a adoubée ?

En quelque sorte ! (elle rit) Elle n’habite pas très loin du studio et j’ai la chance de pouvoir aller la voir de temps en temps. Elle m’a donné de nombreux conseils, comme celui de savoir dire non. Je l’aime bien celui-là, il est précieux ! Et puis elle m’a aussi dit qu’elle n’avait pas réussi les parfums comme elle l’aurait voulu et qu’elle aimerait qu’on y parvienne. Ça me tient à cœur. 

Vous incarnez la femme Rykiel ?

Cela fait deux ans que je suis là et je m’approprie de plus en plus la maison et son histoire. Incarner cette femme, c’est quelque chose qui prend du temps. 

Vous avez longtemps travaillé dans l’ombre de grandes maisons et de grands noms, vous aimiez ce statut ?

J’ai eu besoin d’apprendre. J’ai fait plein de choses dans ce métier, travaillé les styles, les matières, les relations avec les personnalités... Et c’est ce qui me permet de faire les choses toute seule aujourd’hui. C’était un passage obligé. Vraiment.

Cet hiver vous avez travaillé avec l’artiste Maggie Cardelus pour créer un imprimé, pour la collection avec Lancôme vous collaborez avec André Saraiva, alias le graffeur André. Vous tenez à ces collaborations qui dépassent la mode ?

J’aime beaucoup ces échanges. Ils vont au-delà des produits, ça les construit autour d’un moment qui enrichit. André m’a aidée sur le concept des boutiques Rykiel et tout ce qui représente la femme à Saint-Germain-des-Prés. Il y a les cafés, l’écriture, mais aussi les regards ou les baisers. Ce sont les symboles qu’on retrouve aussi dans la collection de maquillage dessinée avec Lancôme. Il faut que ça reste quelque chose qui nous amuse. 

Vous vous imposez des limites ?

J’essaie de garder une certaine liberté. Dans la création, on a la chance de pouvoir encore inventer. J’aime que ce soit ludique, amusant, léger et portable. Le féminin nonchalant, c’est une allure qui me plaît. 

Dans cet univers, l’association avec Lancôme coulait de source ?

En tout cas, c’est d’abord la réunion de deux maisons françaises iconiques, et en ça c’est déjà merveilleux. Mais je connaissais Lisa Eldridge (directrice de la création maquillage chez Lancôme, NDLR) par une amie commune. Elle m’avait déjà maquillée et avait créé le maquillage pour une de nos collections chez Rykiel. Du coup, ce projet était une véritable évidence. On a échangé sur ce qui représentait la femme française pour Rykiel et pour Lancôme, et ça peut vraiment être la même femme. Elle est libre, chic, féminine mais aussi sensible. C’est une femme qui aime s’amuser, dans le sens où elle va jouer avec le make-up, expérimenter.  

Vous voyez des parallèles entre les deux univers ?

Il y a quelque chose de pratique et pragmatique dans nos deux approches. Par exemple, le crayon à lèvres imaginé avec Lancôme dessine vraiment une bouche rougie, comme mordue. Il y a un côté naturel, effortless, très féminin et facile, exactement comme dans la silhouette Rykiel. Et puis on y retrouve certains codes. Les jeux de couleurs, les faux noirs, la manière de marquer  la bouche ou les yeux comme on accentue une épaule avec une grosse broche Tour Eiffel chez Rykiel. 

C’est aussi une manière de renforcer l’image internationale de Sonia Rykiel ?

L’ambition internationale est clairement là. C’est mon objectif. Je souhaite redonner son aura à la maison Rykiel et Lancôme nous amène dans les quatre coins du monde.  C’est essentiel. Les gens aiment Sonia Rykiel, cette maison  représente beaucoup de choses. Alors cette collection est aussi l’occasion rêvée de le rappeler.