Kid Noize & Jean-Paul Knott... "Le vêtement est une carapace"

L’un est DJ, compositeur de musique électronique et producteur. L’autre dessine des vêtements que le premier porte parfois sur scène. Ces deux créateurs nous parlent mode, belles rencontres et liberté!

Par Marie Honnay. Photos Laetizia Bazzoni. |

DJ et compositeur de musique électronique, Kid Noize a construit un personnage autour d’un masque de singe qui ne le quitte plus. A la tête du label Black Gizah, cet artiste de 35 ans, né à Bruxelles, vit aujourd’hui à Charleroi.

Jean-Paul Knott est créateur de mode. Ex-collaborateur d’Yves Saint Laurent, formé aux Etats-Unis mais né à Bruxelles, il dessine des vêtements intemporels tant féminins que masculins, aux coupes parfaites et aux matières souvent techniques. Et puisque l’un est déjà monté sur scène avec les pièces de l’autre, nous leur avons proposé de se rencontrer.

La mode et la musique sont deux domaines plus que jamais liés. Quel regard portez-vous sur la forme d’expression de l’autre ?

KID NOIZE : Au-delà de l’inspiration, je dirais que les deux sont inséparables. Moi qui suis à l’origine graphiste, je vois mon travail comme un triangle : il y a l’image, le son et la prestation live qui englobe évidemment le vêtement. Le tout réuni crée un contenu, une histoire cohérente que j’ai envie de raconter au public.

En parlant d’image, on remarque que la nouvelle génération de musiciens, de Stromae à Jain, y est très attentive. Cela passe forcément aussi par le vêtement...

KID NOIZE : L’image a une force terrible. Surtout avec l’évolution du Net. Une musique met environ trois minutes, le temps d’une chanson, pour toucher les gens. Dans le cas de l’image, c’est une seule seconde.

JEAN-PAUL KNOTT : De la même manière, la mode offre une autre manière de s’exprimer, de véhiculer un message. Je fais des vêtements pour que les gens se les approprient et s’en servent pour raconter leur propre histoire.

KID NOIZE : Ce qui me fascine dans le vêtement, c’est que lorsqu’il est porté par deux personnes différentes, il n’a absolument pas la même identité. Comme lorsque j’enfile mon masque. Je l’envisage comme un accessoire de mode qui me permet de donner une identité à mon personnage et de le repérer dans le temps.

JEAN-PAUL KNOTT : Le masque est très présent dans la mode. Il a été utilisé par de nombreux créateurs.

Kid Noize, cette notion d’histoire a beaucoup d’importance à vos yeux. L’homme et l’artiste n’ont-ils pas les mêmes goûts vestimentaires, la même idée du style ?

KID NOIZE : Pour ce shooting, je suis tout en blanc, alors que mon uniforme habituel, c’est plutôt T-shirt et jean noirs. En changeant de couleur de vêtement, on envoie un nouveau message aux gens, mais aussi à soi-même. On joue sur sa symbolique. C’est ça qui est intéressant.

Et vous, Jean-Paul, qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait d’habiller les gens et, dans ce cas précis, un homme ?

JEAN-PAUL KNOTT : Ce qui me donne envie de créer, c’est ma réflexion sur les besoins des gens. Je cherche à donner une actualité à mes vêtements. Soit en faisant évoluer la coupe, la matière ou un détail.
Soit en collaborant avec des artistes ou d’autres marques. Comme ici, avec le T-shirt que porte Kid Noize, il est le fruit d’une collaboration avec l’artiste bruxellois Jean-Claude Wouters. La confrontation de deux univers est toujours une aventure, mais au final, je l’envisage comme
un défi personnel, une manière de me bousculer moi-même.

A quoi ressemble votre vestiaire masculin idéal ?

JEAN-PAUL KNOTT : Masculin ou féminin, peu importe. Il s’agit pour moi de travailler sur un vestiaire intemporel qui permette aux gens de collectionner des pièces qui sont là pour rester.

Kid Noize, l’intemporalité, c’est un concept qui vous parle ?

KID NOIZE : Dans mon domaine, les modes changent tous les trois mois. Ce rythme effréné est à la fois fascinant et épuisant. Ce que j’aime dans le travail de Jean-Paul Knott, c’est sa sensibilité. On est au-delà du concept de saison ou de mode.

En mode, vous aimez donc les classiques ?

KID NOIZE : Un classique, c’est rassurant. Ça permet de se construire
un style et une image 360º qui tient la route et qui dure dans le temps.

Ce concept de temps vous est-il cher ?

JEAN-PAUL KNOTT : J’aime en effet l’idée du vêtement non jetable. Aujourd’hui, certains observateurs disent que la mode est démodée.
Je suis assez d’accord. J’ai choisi de travailler à mon rythme en prenant de la distance par rapport aux diktats du secteur. Il y a vingt ans, il y avait trois fashion weeks. Maintenant, il y en a 45. Tout est bousculé, remis en question en permanence.

KID NOIZE : De toute façon, la réussite est d’abord une question de durée. L’important, ce n’est pas la vitesse, c’est la direction que l’on prend. C’est se dire qu’on sera encore là dans dix ans avec la même volonté d’avancer.

C’est quoi pour vous, avoir du style ?

KID NOIZE : C’est être soi-même dans ses vêtements et, par extension, être bien dans sa peau. Le style nous renvoie à notre physique, à ses limitations et à ce qu’on ose porter ou non. Quand je fais les magasins et que je trouve un slim noir qui me va, je l’achète en cinq exemplaires. Idem pour les T-shirts et les chaussettes. Ce look, c’est ma carapace.

JEAN-PAUL KNOTT : Le vêtement est effectivement une protection. Dans les pays du nord, on l’utilise pour se protéger du froid. Il y a cette idée de couverture, voire d’armure. C’est différent dans le sud. Prenez le Brésil: l’habit est vu comme un accessoire, un moyen de montrer son corps. Au Japon, c’est plutôt le monde de demain, avec ses facettes positives et négatives. Là, l’habit est un moyen de dire ce que l’on est, d’exprimer ce que l’on ressent. Il y a aussi un côté prude, un peu comme chez nous, finalement. C’est peut-être aussi pour ça que je m’y retrouve.

Le futur, c’est un concept auquel vous accordez de l’importance ?

JEAN-PAUL KNOTT : En mode, tout a déjà été fait. Si c’est pour créer une veste à cinq manches, à quoi bon?  La veste que porte Kid Noize est faite de coutures en thermofusion. Il s’agit d’une technique utilisée pour les toiles de bateau. Après un peu plus de quinze ans, je pense que mon style est défini, la nouveauté pour moi réside dans les différentes techniques de fabrication. Evoquer la chaîne de production d’un vêtement nous amène à parler d’éthique, un sujet délicat dans la mode…

KID NOIZE : En mode, comme en nourriture, on en revient au même type de questionnement. Le plus difficile, c’est de savoir ce qu’on achète et d’intégrer nos valeurs dans notre quotidien. J’ai pour ma part choisi de vivre à la campagne, de cultiver mon potager, d’avoir des poules… Mais ça reste difficile de faire le tri dans tout ce qui nous est proposé.

JEAN-PAUL KNOTT : Aujourd’hui, un T-shirt vendu à dix euros, c’est devenu une réalité, alors qu’on sait que produire un T-shirt à ce prix sans léser quelqu’un est impossible. Mais on peut agir à petite échelle. En tant que créateur ou citoyen. On vous sent tous les deux assez libres dans votre discours, dans vos choix…

KID NOIZE : J’aime les contrastes. Je peux à la fois composer de la musique commerciale qui va cartonner en radio et proposer des choses plus personnelles lors de mes concerts. Dans ce sens-là, je me sens libre car débarrassé des étiquettes que les gens ont tendance à vous coller.

JEAN-PAUL KNOTT : Vous me demandez si je me sens libre ? En tant qu’individu vivant en société, on ne peut pas vraiment être totalement libre. Mais peut-être qu’apprendre le respect de l’autre est plus important que de rechercher une liberté absolue. 

KID NOIZE : De toute façon, la vraie liberté n’existe pas. Nous sommes tous prisonniers de notre corps et de notre image.

Qu’est ce qui ce qui nous sauve, alors : les rencontres ?

KID NOIZE : En tant qu’artiste, je me demande souvent ce que ma musique provoque chez les gens. L’écoutent-ils pour cuisiner ? Quand ils promènent le chien ? Ou quand ils font l’amour ? Rencontrer son public ou ses clients permet parfois d’avoir un début de réponse.

JEAN-PAUL KNOTT : En Asie, le groupe a davantage d’importance que l’individu. Le partage et l’échange y sont plus fluides. Les rencontres, par conséquent, deviennent beaucoup plus fructueuses. 

www.jeanpaulknott.com
www.kidnoize.com