La baie des dauphins

En pleine mer Rouge, au large de l’Égypte, un sanctuaire permet à des centaines de dauphins de venir se reposer tous les jours à l’abri des prédateurs. C’est là qu’une Belge a jeté l’ancre et propose l’immersion quotidienne avec les cétacés. Ressourcement garanti.

texte et photos par Philippe Berkenbaum |

Vu du ciel ou sur Google Maps, on dirait la queue d’une baleine posée sur la mer Rouge, au large de l’extrême sud égyptien. Ton sur ton, turquoise sur fond azur. Zoom avant : c’est un récif corallien qui s’étire sur cinq kilomètres, deux arcs de cercle collés bout à bout. Sataya Reef. La baie des dauphins. D’un côté, le grand large houleux, insondable, peuplé de grands prédateurs marins. De l’autre, un vaste haut-fond sablonneux aux eaux translucides, apaisées, foisonnant de poissons multicolores. Un abri, un sanctuaire.

Chaque jour, après avoir chassé au large toute la nuit ou s’être eux-mêmes fait attaquer par plus affuté qu’eux, des centaines de dauphins viennent y batifoler. Se reposer, jouer, se ressourcer. Avant de repartir en chasse au crépuscule. C’est dans cet aquarium paisible dissimulé à une trentaine de kilomètres des côtes noyées par le désert que Nooraya vient jeter l’ancre toutes les semaines pendant huit mois, d’avril à décembre, chaque année depuis 2010. Contraction de Noor (“la lumière”) et Raya (“belle”), les prénoms des filles respectives de Pati et d’Ibrahim, la Belge et l’Égyptien à l’origine du projet. Car Nooraya, ce n’est pas seulement un confortable yacht, c’est d’abord un concept. L’expérience initiatique de nager avec des dauphins libres dans leur milieu naturel, assume Pati Verbist, la maîtresse du bord qui nous fait visiter les trois ponts de 28 mètres sur 7, douze cabines et dix membres d’équipage.

Chaque semaine en saison, 10 à 20 personnes la vivent, cette expérience unique. Des Belges, beaucoup, des Italiens (Pati a longtemps vécu à Rome), des Français, d’autres Européens… Deux, trois, quatre fois par jour, la première au lever du soleil, la dernière en fin d’après-midi : 

Ce sont les moments où les dauphins sont les plus actifs, souffle Hamada, maître-nageur et fin connaisseur des cétacés, qu’il côtoie depuis son enfance. Et qu’il respecte infiniment. S’ils veulent se reposer, ils ne cherchent pas le contact et s’éloignent paisiblement. On évite alors de se glisser à l’eau pour ne pas les importuner. Mais s’ils sont d’humeur jouette, c’est le festival garanti. L’interaction est totale avec les humains. Ce sont eux qui en redemandent.

Vol hebdomadaire depuis Bruxelles jusqu’à la station balnéaire d’Hurghada, route côtière jusqu’au petit port de Hamata, entre mer et désert. Halte dans un bourg couleur locale, pour un festin de fruits de mer, crustacés, poissons grillés les pieds dans l’eau. Et ce foisonnement de légumes mitonnés à l’orientale que Mohamed, le cuisinier du Nooraya, déclinera en variations savoureuses tout au long de la semaine à venir.

Séquence émotion

J’embarque pour deux heures de traversée au lever du soleil, qui repeint en rose la skyline de dunes et de rocaille, notre futur spectacle quotidien. Le comité d’accueil est à la hauteur : un banc de dauphins à long bec salue joyeusement l’arrivée du bateau sur son terrain de jeu. Première séquence émotion.

Il a suffi d’un séjour sur le bateau d’une amie dans la baie de Sataya pour que Pati Verbist en tombe définitivement amoureuse. C’était en 2007. Nager avec les dauphins, pour moi, c’était un mythe. J’ai rarement éprouvé une émotion pareille. Née au Congo de parents belges chassés après l’indépendance, élevée au Liban puis en Italie avant de revenir en Belgique, Pati a toujours voyagé, jusqu’en Amérique latine. L’Égypte fut une révélation. La Mer Rouge, ses dauphins et son ciel infini, un bouleversement. À mon retour, j’étais en manque, j’ai connu la dépression.

Quelques mois plus tard, elle loue un premier bateau pour emmener un groupe. Très vite arrive le Nooraya. Huit séjours organisés en 2008, trente-six en 2016. Un équipage égyptien trié sur le volet, un capitaine de confiance, un cuisinier hors pair, un maître nageur et un maître plongeur… Le public en redemande. C’est le meilleur remède anti-stress qu’on puisse imaginer, témoigne Sophie, qui y retourne régulièrement. Une expérience enrichissante, un véritable ressourcement, complète Pati. Une semaine zen.

À bord, la journée commence tôt. Réveil avec le soleil pour une première mise à l’eau dès l’aube. Selon la saison et la température de l’eau – 30ºC en juillet, 24ºC en décembre – on enfile ou pas sa combinaison de néoprène, chacun selon sa frilosité. Puis on grimpe sur un zodiac pour partir en quête du Graal de Sataya, qu’on décroche presque à coup sûr. La première fois, il nous a à peine fallu 10 minutes pour les trouver. Des dauphins – spinners en anglais, à long bec en français- crèvent la surface à intervalle régulier. Ils sont plusieurs dizaines, mâles, femelles et juvéniles confondus. Palmes, masque, tuba, on se prépare, fébrile, le canot s’approche et on se jette à l’eau. Au beau milieu du banc.

En quête du Graal

D'emblée, l’interaction est totale. Je palme à leur rythme, ils m’intègrent immédiatement, m’entourent, certains virevoltent et dansent autour de moi, J’en oublie mes camarades qui nagent un peu plus loin, chacun communie littéralement avec un ou plusieurs dauphins dans un ballet aquatique plus ou moins effréné, selon leur énergie et leur humeur du moment. Parfois, ils s’éloignent paisiblement. Souvent, ils cherchent le contact. Surtout si l’on n’hésite pas à s’immerger avec eux en apnée pendant quelques secondes. Ou plus, si capacité. Après une heure de jeux aquatiques, retour sur le bateau pour un copieux petit-déjeuner.

Des étoiles plein les yeux, l’humeur au zénith, ceux qui avaient apporté des soucis les ont déjà laissés au fond. Une seule idée en tête : y retourner ! On le fera tous les jours, deux ou trois fois, souvent jusqu’au crépuscule. Quelquefois, il faut chercher les dauphins longtemps. Généralement, ils viennent à notre rencontre. Qu’ils soient agités ou paisibles, l’expérience est aussi riche à chaque immersion, intime, unique au monde. Jamais je n’avais à ce point communiqué avec des animaux. Ces mammifères marins que l’on dit si proches de nous… Leurs cris aigus m’apaiseront encore longtemps.

D’autres activités, bien sûr, sont proposées à bord. Selon les semaines, Pati emmène des professeurs de yoga, de méditation, de nutrithérapie, de Pilates ou des conférenciers… On peut aussi se contenter de bouquiner au soleil, de fendre l’eau turquoise, de jouer à la plage, au bord du récif. Du moment qu’on se fait du bien, sourit-elle. Les plongeurs avertis ne se lasseront pas d’explorer les fonds de la Mer Rouge, réputés parmi les plus abondants du monde en faune, en flore et en coraux.

Ponctuellement, le Nooraya part aussi en croisière, à la rencontre d’autres dauphins, des baleines, des faux orques et même des requins, pour les amateurs de frissons. La nuit, ceux qui le souhaitent dorment sur le pont supérieur, sous un amas d’étoiles comme on n’en rêve plus sous nos latitudes. On revient changé de la baie de Sataya. Après y avoir laissé un petit peu de soi. 

En pratique

Y aller

TUI Fly propose des vols hebdomadaires directs vers la mer Rouge (Hurghada ou Marsa Alam) au départ de Bruxelles, dont le tarif varie selon les saisons (compter entre 200 et 500 € A/R). Le visa s’achète à l’aéroport d’arrivée, pour une vingtaine d’euros. Nager avec les dauphins Nooraya Travel Service emmène les voyageurs pour des séjours d’une semaine d’avril à décembre. Certains sont thématiques (yoga, méditation, nutrithérapie, etc), d’autres accompagnés par des spécialistes des dauphins ou d’autres animaux marins. Le photographe belge Jean-Marie Ghislain, mondialement connu pour ses clichés de pélagiques, animera par exemple quelques semaines cet automne à bord du Nooraya. www.nooraya.com

Au fil du Nil

Ceux qui souhaitent prolonger leur séjour pour découvrir l’ancienne Égypte n’hésiteront pas à combiner l’aventure marine avec une croisière sur le Nil, de Louxor à Assouan, ou sur le Lac Nasser, pour pousser jusqu’à Abou Simbel. Nooraya propose de remonter au temps des pharaons à bord d’une dahabeya, une felouque traditionnelle remise au goût du jour.

Et la sécurité ?

Comme la Turquie, le Maroc ou la Tunisie, l’Egypte fait l’objet d’un appel des autorités belges à une vigilance accrue de la part des voyageurs en raison de la menace terroriste – la même qui pèse d’ailleurs chez nous. Certaines zones sont déconseillées, comme le Sinaï, le désert occidental ou les régions proches de la frontière libyenne. Mais pour le reste, pas de souci. Même si le pays connaît une baisse du tourisme de masse, les grands tour-opérateurs y sont toujours bien présents et aucun incident ne s’est d’ailleurs produit dans les zones touristiques autour de la mer Rouge. A fortiori dessus.