La bible des Septante

Les seventies n’en finissent pas d’inspirer stylistes, designers et architectes. Mais pourquoi cette décennie est-elle une source inépuisable ? Enquête et zoom sur trois icônes de l’époque.

par Marie Honnay. Photos DR. |

Pour certains, les années 70 évoquent l’image d’une boule à facettes, d’accessoires très bling et d’une vie enfin libérée de ses diktats trop stricts. Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une décennie engagée contre la guerre, l’homophobie et les normes établies. Une fois les refrains entêtants des tubes disco mis en mode pause, les seventies apparaissent aujourd’hui comme une décennie furieusement créative, mais devenue – et c’est là tout le paradoxe – complètement classique.

Voyez les modèles Love et Juste un Clou de Cartier, le centre Georges Pompidou signé Enzo Piano ou le canapé Togo de Ligne Roset. Ils ont autrefois choqué ; ils font aujourd’hui office de véritables icônes, symboles d’une cool attitude totalement dans l’air du temps.

Pop et ethnique

Le Togo de Ligne Roset

Ce canapé reste encore et toujours le best-seller incontesté de Ligne Roset, son éditeur. Inspiré par l’apparition de nouveaux matériaux révolutionnaires (mousses, ouates, etc.), le designer français Michel Ducaroy imagine en 1973 un siège-coussin qui, en quatre décennies, s’est vendu à plus de 1  230  000 exemplaires dans 72 pays. Lors de sa présentation au salon des Arts ménagers de Paris, le look quelque peu insolite du Togo avait fait grincer les dents des puristes. Celui qu’on a comparé à un nouveau-né tout fripé, mais que son concepteur voyait plutôt comme un tube de dentifrice replié sur lui-même et fermé aux deux bouts, est pourtant entré dans la légende. Résolument seventies, ce canapé à l’allure pop et ethnique a réussi, malgré un look affirmé et une assise au ras du sol, à devenir un classique. Révolutionnaire par sa forme, le Togo l’a été aussi par sa communication.

En 1974, le publicitaire star Jacques Séguéla signe une campagne qui invite les consommateurs à s’adonner au mix&match en intégrant le Togo à leur intérieur classique. Tout au long des seventies, les campagnes du Togo se sont enchaînées en bousculant les codes et les styles. L’architecte d’intérieur belge Marie-Astrid Pelsser confirme : les années 70 ont fortement marqué l’histoire du design par leur renouveau artistique et industriel, et par leur singularité. Aujourd’hui encore, elles restent une source d’inspiration pour de nombreux artistes. Et le Togo est un symbole de cette ère. Ni vraiment un coussin, ni tout à fait un canapé, il proposait un modèle de divan dans lequel on était enfin autorisé à se vautrer sans que cela ne choque vraiment. Ce n’est pas tant sa forme qui séduisait, mais bien le mode de vie décontracté qu’il proposait. Ludique, coloré et tonique, le Togo, comme beaucoup d’autres pièces conçues à cette époque (la chaise Panton, la lampe Panthella Poulsen…) bouleversera tous les codes de création traditionnels.

www.ligne-roset.com

Utopique et fonctionnel

Le Centre Georges Pompidou d’Enzo Piano

Ce bâtiment de 7500 m² organisé sur dix niveaux – qui célèbre ses 40 ans cette année – est l’exemple, voire le prototype, d’une nouvelle génération de musées et de lieux de culture. Son originalité va de pair avec une recherche de fonctionnalité assumée. Enzo Piano et Richard Rogers, ses architectes, décident en effet de libérer tous les plateaux en plaçant les structures porteuses et les éléments techniques à l’extérieur du bâtiment de manière à dégager un maximum d’espace pour les œuvres et les activités culturelles. 

À la fois musée (la collection compte 100  000 pièces au total), bibliothèque, centre de documentation, cinéma et espace théâtral, le Centre Georges Pompidou présente une autre particularité : sa couleur structurante. Quatre tonalités fortes – le jaune, le rouge, le bleu et le vert – qui évoquent chacune une fonctionnalité spécifique du bâtiment. En architecture, ce type de projets spectaculaires aux accents utopistes est particulièrement associé aux années 70. Gil Honoré, architecte et chargé de cours à la faculté d’architecture La Cambre-Horta de l’ULB : la particularité de cette période est d’avoir imposé une nouvelle esthétique sans tabou. Un coup de tonnerre après plusieurs décennies de conservatisme à outrance.

Au lieu de reproduire une typologie ancienne, les architectes de l’époque se libèrent de tout besoin de justifier leur démarche. Le Centre Pompidou s’inscrit dans la droite ligne des utopies architecturales des années 1960, d’Archigram et de Superstudio. Ce qui étonne aussi dans ce projet, c’est qu’il porte le nom d’un président peu connu pour son progressisme mais qui, contre toute attente, décida de laisser s’exprimer une jeune génération d’architectes mus par une envie de créer non pas un musée, mais une sorte de ville dans la ville : un lieu où l’on puisse à la fois se cultiver, s’amuser, manger… Un parti pris devenu un classique du genre.

www.centrepompidou40ans.fr

Unisexe et rock

Love et Juste un Clou de Cartier

Toutes deux dessinées à New York en pleine période hippie par le designer Aldo Cipullo, Love et Juste Un Clou sont deux pièces emblématiques de la maison française Cartier. Pierre Rainero, directeur de l’Image et du Patrimoine chez Cartier retrace la naissance de cette paire : Love, c’est le bracelet de la génération “Faites l’Amour, pas la guerre !” Un bijou qui se veut un manifeste pour tous : hommes, femmes, couples légitimes ou illégitimes. Unisexe et rock, il est simple et original. Constitué de deux parties distinctes, Love devient bracelet grâce à deux vis qui le scellent. Sa ligne est d’une grande modernité puisqu’il s’agit juste d’un jonc plat et linéaire. Tout comme pour Juste un clou, son esthétique épurée les rend intemporel.

Affranchi des codes établis, anticonformiste et volontairement choquant, Juste un Clou s’est lui, dès sa création, adressé à ceux et celles qui assumaient de se démarquer de l’image souvent très lisse associée à la haute joaillerie et à la mode en général. Pour Aldo Cipullo, ce bijou se voulait encore plus audacieux que le Love. Inspiré par l’atmosphère sulfureuse du Studio 54 à New York et par un nouvel intérêt pour les objets du quotidien cher à Andy Warhol et à toute la mouvance Pop Art, Juste un Clou est né d’une réelle volonté de ne pas répéter des formes ou des thèmes du passé. À ce titre, Love et Juste un Clou rappellent d’autres bijoux, également inspirés d’objets usuels, dont la cultissime collection Lames de rasoir de Jean Dinh Van imaginée en 1970 et conçue, elle aussi, pour être portée au quotidien. 

www.cartier.com