Le vin a-t-il un sexe ?

“C’est un vin féminin”, “Il plaira aux femmes”. Pas une seule dégustation sans que l’on entende ces commentaires. Mythe ou réalité ? Perçoit-on vraiment le goût différemment selon le sexe ?

Par Geoffroy Van Lede avec CDP et DB. Photo Belga. |

Vins de femmes ?

Dans les dîners, et même parfois dans la presse, on parle parfois de vins “féminins” parce qu’ils auraient des caractéristiques généralement considérées comme féminines. Finesse, légèreté, délicatesse. On pense à des blancs issus de cépages Chardonnay ou Sauvignon. Ou, côté rouges, des fruités aux tanins légers et bien arrondis typiques des vins de Loire ou du Beaujolais. Des vins qui par ailleurs, non contents d’être “féminins”, seraient également davantage prisés des femmes. Tout le contraire des hommes, dont on sait qu’ils sont puissants, virils et qu’ils chassent encore le mammouth… Et qui préfèrent donc des vins “de caractère” avec une structure tannique puissante, un goût boisé… 

Ces analogies sexistes voire machistes possèdent-elles leurs fonds de vérité ? Les goûts des femmes sont-ils réellement différents de ceux des hommes ? Et si c’était pour cette raison qu’elles sont généralement moins calées en œnologie, moins présentes dans l’industrie du vin ? Ou qu’on les dit plus amatrices de rosé — le rose, on le sait, c’est pour les filles…

Mais non, voyons !

Génétiquement, rien n’atteste de cette différence. Si les variations de goût observées pendant la grossesse de nombreuses femmes pourraient nous inviter à établir un lien entre hormones et sensations organoleptiques, une seule étude sérieuse, parue dans le British Journal of Nutrition, atteste d’un lien entre le genre féminin et une préférence pour les aliments sucrés.  Sandrine Goeyvaerts est gérante de la cave Lacroix, à Saint-Georges sur Meuse, et présidente de l’association Women Do Wine, qui œuvre pour la reconnaissance des femmes dans la filière viticole. 

Selon elle, il existerait en fait autant de goûts que d’individus. Impossible de les catégoriser selon le genre. Le vin n’a pas de sexe. Le goût est profondément personnel et surtout le fruit de nos expériences et de notre éducation. Aucune généralisation n’est possible.

Le restaurant : mauvais réflexe

Mélanie Chéreau, vigneron au Château de Bioul, va globalement dans le même sens : J’aime autant les vins que l’on catégorise comme masculins que les féminins. Je dirais même que ceux que l’on dit les plus féminins, les vins sucrés, sont ceux qui me donnent le moins de plaisir. Mais la jeune femme pondère. Selon elle, il existe effectivement une différence entre les sexes… Sauf que ce n’est pas pour les raisons que l’on croit. Le goût de chacun vient de son éducation. Un palais, effectivement, cela s’élève. Or historiquement, culturellement,les femmes ont traditionnellement été écartées de cette éducation. Longtemps chacun a eu son champ de responsabilité. À Madame la cuisine, à Monsieur la cave à vins. Durant des générations, les pères ont plus facilement appris à leurs fils les plaisirs du vin, ce qu’il ne faisaient pas forcément avec leurs filles rappelle Mélanie Chéreau. Ce manque d’éducation de départ a miné la confiance des femmes, préférant donc souvent se laisser guider, comme au restaurant où la carte des vins est systématiquement présentée à l’homme.

Et puisque tout consommateur peu au fait de certaines saveurs préfère souvent les produits plus accessibles, de nombreuses femmes ont eu tendance à se centrer sur des vins du même genre, fruités et légèrement sucrés, qui flattent facilement les sens. Tels le rosé ou le blanc, considérés comme plus simples et accessibles que le rouge que l’on décrit comme un vin plus élaboré, qui exige une certaine expertise.

Une réalité sur laquelle beaucoup de grandes marques surfent toujours tranquillement. On se souvient d’un communiqué pour un apéritif bordelais qui expliquait benoîtement qu’il était destiné aux femmes pour lesquelles il représentait une alternative aux mousseux. Arguant donc que le mousseux est d’abord et surtout affaire de femmes. Hélas, ce marketing de genre est loin d’être l’apanage du monde du vin – dans les voitures ou la bière, c’est souvent pire – il masque cependant certaines vérités économiques. Saviez-vous que ce sont les femmes qui achètent le plus de vin, pas les hommes ? Or, 70 % du marché est occupé par le rouge. Historiquement responsable des achats du ménage, on se doute qu’une femme achète un vin en concertation avec son conjoint, mais quand même…

La sensibilité n’a pas de sexe

Ces préjugés, tenaces, n’empêchent pas le monde du vin de tout doucement changer. Et de laisser peu à peu les femmes y trouver leur place. Le troisième meilleur sommelier du monde en 2016 était par exemple une femme, Julie Dupouy. Et le domaine Leroy en Bourgogne, mondialement reconnu avec ses neuf grands crus, est également géré par une femme, Lalou Bize-Leroy. Une évolution qui entraîne une nouvelle question : les femmes élaborent-elles des vins avec des profils différents de ceux élevés par des hommes ? Ils seraient en effet plus fins, plus délicats. Plus féminins en somme… Mélanie Chéreau : S’il y a une différence, elle est au niveau de la gestion d’équipe, pas de l’élaboration des vins. Ce qui va changer, c’est la personne, pas son genre. L’œnologue est comme un chef, il va suivre son intuition, sa recette qui est le reflet de sa sensibilité. On ne reconnaît pas le genre de l’œnologue lors d’une dégustation.

On l’a compris, Il n’existe pas de goût féminin à part dans les clichés marketing et les vieilles habitudes un peu machistes de notre société. Heureusement, les femmes aujourd’hui ont à cœur de développer leur goût personnel, elles fréquentent les cours d’œnologie et les dégustations autant que les hommes et affichent de plus en plus un palais tout aussi éduqué. On aimerait qu’on nous vende plutôt un vin en fonction des moments, de notre humeur et des personnes avec qui on le partage.