Les nouveaux mordus de pêche

Aux oubliettes, son image désuète. À l’heure où les quincados se mettent au skate, leurs cadets font de la pêche leur activité dominicale. Pour déconnecter et retrouver la sérénité. Interview de trois accros.

Par Justine Rossius. Photos : D.R. |

Ils ont entre vingt et quarante ans et sont de plus en plus nombreux à passer leur week-end au bord de l’eau, à attendre que “ça morde”, canne à la main. Fini l’image has been de la “pêche à papa” et du bedonnant mutique, prostré sur sa chaise pliante. Même Netflix révolutionne le genre en diffusant l’émission Pêche XXL qui – loin d’être soporifique – met en scène un pêcheur confirmé, Cyril Chauquet, en train de titiller des créatures aquatiques aux quatre coins du monde. La pêche jouit d’une nouvelle image, plus cool. Ce que confirme Benoît Sottiaux, Directeur de la Fédération Sportive des Pêcheurs Francophones de Belgique : On constate un regain d’intérêt, on reçoit plus de demandes d’informations… De nombreux jeunes ressentent l’envie de pratiquer une activité en lien avec la nature, pour poser le pied à terre, dans un monde qui va trop vite.

Street-fishing et selfish

Si l’image de la pêche évolue, c’est aussi parce que la pratique se transforme. De nouvelles techniques, plus dynamiques, se développent, comme le street-fishing, qui attire une nouvelle vague de pêcheurs,  poursuit Benoît Sottiaux. Née à Paris dans les années 2000, cette pêche urbaine s’improvise en ville, dans les étangs, les canaux, et rassemble des adeptes plus jeunes que les amateurs de pêche en rivière. Ils se déplacent rapidement, de spot en spot, et pêchent dans un esprit de préservation des poissons, en relâchant leur proie après la prise (non sans avoir pris un “selfish”). Malgré ses aspects moins pépères, la pêche urbaine partage avec celle de nos grands-pères un point commun de taille : son aspect apaisant. Un bienfait, certifié par ces trois adeptes.

Maxime Verheggen - 28 ans, Business analyst

Quand et avec qui pêchez-vous?

Entre potes, le plus souvent le dimanche après-midi,¬une fois tous les deux mois.

Que retirez-vous de ce genre d’après-midi ?

Déjà, je découvre de nombreux endroits en Belgique, des coins de nature magnifiques. Et puis, c’est un moment de retrouvailles : on boit des bières et on discute de sujets plus profonds, qu’on n’aborderait pas spécialement ailleurs. Et se retrouver le soir tous ensemble pour déguster les truites attrapées, c’est un peu l’aboutissement de la journée.

L’intérêt pour vous, c’est que cela tranche avec votre quotidien?

Oui, c’est une activité qui ne demande pas d’être rentable, sans pression.¬A mille lieues de ce que je vis la semaine.

Quel est votre spot préféré ?

Le parc d’Hélécine près de Jodoigne.

François Hartmann - 26 ans, entrepreneur

Le street-fishing, c’est un peu votre footing du week-end?

Oui car ici, l’objectif, c’est de bouger pour chercher les poissons. On peut se déplacer à vélo ou à pied. C’est une discipline qui se pratique aussi en compétitions, avec un certain nombre de règles. Il faut être deux, on n’a pas le droit d’utiliser la voiture... Le côté sportif est donc très présent.

Ce type de pêche permet-il vraiment de se relaxer, comme la pêche en rivière ? 

Tout à fait, c’est très apaisant. Parce qu’il faut quand même rester minimum trente minutes au même endroit pour espérer que ça morde. Tout cela dans le calme le plus total pour ne pas effrayer le poisson. Lorsque je pêche seul, ça me permet de réfléchir sur moi-même, de me vider la tête...

Quels sont vos spots préférés ?

À Liège, sous les ponts de la Meuse ! Mais en termes de street-fishing, il n’y a pas ce qu’on appelle de “bons spots” : il faut toujours être prêt à plier bagage et lancer sa ligne ailleurs.

Martin Malcourant - 28 ans, serrurier 

Quand avez commencé à pêcher? 

C’était il y a vingt ans, aux côtés de mon grand-père, qui m’a tout appris.

Qu’appréciez-vous particulièrement dans ce loisir ?

Quand je pêche, rien ne me distrait. Je coupe mon téléphone et j’arrive à déconnecter totalement. Si un inconnu m’aborde, c’est pour discuter de sujets qui ne sont pas liés à l’actualité trépidante, mais ancrés dans le présent. Tout ce qu’on risque de me demander, c’est Est-ce que ça mord ? Il s’agit d’un moment d’isolement, d’un détachement complet de tout ce qui peut vous tracasser dans une journée standard. Et ça fait énormément de bien. En plus, ça reste un sport : on se concentre, on bouge. La pêche produit des sensations équivalentes à celle d’un bon jogging en forêt.

Vous ne vous ennuyez jamais ?

Non, peu de personnes en sont conscientes, mais la pêche revêt un aspect très stratégique: il faut repérer le meilleur endroit, voir quel type de poisson est présent, choisir l’appât en fonction, ainsi que l’amorce selon le type d’étang.

Pécher, c’est se reconnecter à ses racines…

La conservation et la transmission de cette compétence sont effectivement aussi des aspects importants. En société, il n’est pas rare que je constate que sur dix personnes, je suis le seul à pêcher ! En réalité, nous devrions tous posséder, instinctivement, cette capacité à attraper le poisson. Mais cette compétence ancestrale se perd.

Quels sont vos spots préférés ?

Le Bois des Rêves, à Ottignies, et l’étang de Précrot, près de Grez-Doiceau.