Les ressorts du thriller selon Harlan Coben

Au rythme d’un livre par an, traduit dans une quarantaine de pays, il est devenu le boss du thriller. Avec Double piège, le romancier américain réussit à nouveau à nous glacer les sangs. Pour So Soir, il a accepté de répondre à un interrogatoire corsé sur sa façon de travailler.

Par Yetty Hagendorf. Photos BELGA. |

Crâne nu, sourire avenant, Harlan Coben est un géant d’1m94 pour qui l’écriture est un métier comme un autre. Il vit dans le New Jersey avec sa femme médecin et leurs quatre enfants. Il puise son inspiration dans le quotidien, écrit avec son instinct et ne se soucie guère des conventions. Les droits de Double Piège, son 28e livre, ont été achetés par Julia Roberts, pour une future adaptation au cinéma. En 2006, un autre de ses polars, Ne le dis à personne, avait déjà été transposé au grand écran par Guillaume Canet, avec François Cluzet et André Dussolier dans les rôles principaux. Un immense succès, qui révélait enfin au (très) grand public francophone les talents de narrateur de Coben. Restait une question fondamentale : comment fait-il pour nous glacer le sang à ce point ? Cette fois, on sait…

Avez-vous tout le scénario en tête, quand vous commencez à écrire ?

Pas du tout. Je connais le début et la fin. Entre les deux, c’est un périple que je vais accomplir devant mon ordinateur. Bien sûr, je connais certaines étapes du scénario, mais je ne rédige pas de fiche, ni de biographie.

Respectez-vous l’ordre des chapitres ?

Je les écris les uns après les autres, je n’en saute aucun. Mon esprit connaît certains faits, mais j’avance au même rythme que le lecteur, ce qui ne m’empêche pas d’élaborer différentes stratégies pour parvenir à la chute. Dans tous les cas, j’évite de trop me documenter. Je ne cherche pas à étaler mon savoir dans les livres. Je ne suis pas un enseignant (rires). Bien sûr, si mon héros est un soldat en Afghanistan, je fais des recherches géographiques, politiques, etc. Mais ce n’est pas ma tasse de thé, j’écris sur des gens comme vous et moi, qui suscitent notre curiosité et nous touchent.

Comme Maya, l’héroïne de votre dernier roman ?

Parfaitement. Je fabrique son caractère au fil de l’écriture, j’avance sur l’enquête à la même vitesse que vous qui tournez les pages. Vous savez, je ne connais pas mes personnages avant de me lancer. Si je les cerne trop à l’avance, je me retrouve coincé. Ma seule contrainte est que leurs actions restent plausibles. Pour cela, je vis la vie de chacun d’eux afin de comprendre leur point de vue et leur motivation. Je n’ai pas besoin de revenir en arrière pour vérifier si j’ai déjà mentionné leur enfance ou si je les ai habillés deux fois avec la même tenue. Car dans la vie, on peut porter deux fois le même vêtement.

Distillez-vous les indices au fil des pages de façon consciente ?

Les personnages doivent prendre vie avec le moins d’indices possibles. Je ne me dis jamais : Page 7 je vais dévoiler tel élément, page 35 je dois introduire le doute. Je fonctionne instinctivement. Je m’arrange pour que le lecteur découvre les personnages au travers de leurs actions et qu’il se soucie de leurs vies et de leurs sentiments.

Qu’est ce qui amène le suspens ?

À chaque paragraphe, chaque phrase, je me demande si l’information est essentielle à l’histoire. Je coupe toutes les parties que le lecteur serait tenté de sauter. Je fais l’économie des descriptions superflues, même s’il me faut censurer une belle tournure. Le lecteur ne doit pas s’arrêter ou perdre le fil de l’histoire, son impatience à tourner la page est ma vraie motivation.

Vous écrivez à heures régulières ?

Pas toujours, mais j’écris quotidiennement parce que cela participe à mon bien-être. Chaque jour, je relis ce que j’ai écrit la vieille pour mieux relancer l’histoire. Parfois je réécris. Et toutes les 75 pages, je m’arrête pour faire un point. À l’exception des dernières semaines, où je tape tout d’une traite.

Vous ne vous arrêtez pas entre deux livres ?

Je suis obligé. Pour les signatures, la promotion et parfois, parce que je n’ai pas d’idées (rires). Quand j’achève un livre, ma tête est vide. Je me dis souvent : Mon gars, c’est fini, la boîte à idées est épuisée. Tu as pu en profiter, maintenant il est temps de faire face à la réalité. Et ça dure jusqu’à ce que l’inspiration revienne !

Et si vous n’aviez pas été écrivain ?

Je ne sais rien faire d’autre (il rit) : je suis désorganisé, distrait, paresseux. Écrivain est le seul métier pour lequel j’avais les trois qualités requises : inspiration, transpiration et désespoir !

Chaque polar doit-il avoir son policier ?

La logique le voudrait. Mais on peut écrire un bon thriller sans flic. Il m’est moi-même arrivé de faire des choses proscrites comme écrire le début du livre à la première personne et les deux tiers restant à la troisième personne. Et ça a marché. Peu importe la méthode, ce qui prime c’est l’histoire.

Certains personnages portent le nom de bienfaiteurs qui ont versé de l’argent à des œuvres humanitaires de votre choix. Expliquez-nous…

Voici la règle : les personnes intéressées mettent leur nom sur une liste. Si certains d’entre elles collent avec mes personnages secondaires, je les utilise, pour incarner un criminel, un justicier ou une prostituée ; c’est moi qui décide. En échange, ils effectuent une donation à une œuvre de charité. La première année, j’ai réussi à lever 50 000 dollars pour une association qui aide les enfants !