Lisbonne, l'autre terre du design

Sous ses pavés dits mélancoliques, la reine du Tage a de la secousse dans le sang et de l’énergie à revendre. De l’Alfama au Bairro Alto en passant par Belém, immersion dans les quartiers les plus créatifs, où la jeune garde locale réinvente le sens et le goût de la vida portuguesa.

PAR DORIAN PECK. PHOTOS D.R. DAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Sous un soleil d’été, Lisbonne émerge d’un long sommeil. Ses yeux murés s’ouvrent sur un siècle nouveau. Des immeubles lézardés reprennent vie, des façades tapissées d’azulejos retrouvent leur fierté. En une petite décennie, Lisbonne est devenue une ville ultra-animée, avec son lot de restaurants intéressants, de bars à vins sympas, tout en restant profondément dans son jus. Les charmants bouis-bouis familiaux et les cafés d’antan coexistent désormais avec des adresses qui n’ont rien à envier à l’internationale de la branchitude.

Au fil des années, la ville aux sept collines a aussi ouvert grand les bras aux stars de l’équerre : Norman Foster, Renzo Piano, Jean Nouvel et Frank Gehry... Avec néanmoins d’autres atouts que Berlin, Londres ou Milan. Ici, le parfum d’authenticité n’est pas qu’un slogan commercial. La douceur de vivre émane du spectacle de ses ruelles enchevêtrées, de ses tramways brinquebalants, de ses jardins aux plantations exotiques. Et en plus d’être gais, les Portugais sont gentils. Les serveurs revêches ou le restaurateur qui a le melon parce qu’il a mis des chaises en fer et du street art dans sa déco, ça n’existe tout simplement pas.

Sans doute parce qu’à Lisbonne, art et design ne sont pas une option. Ils font partie du décor et s’imposent presque à chaque coin de rue. Dans cette cité atlantique où l’esthétique high-tech côtoie l’esprit de village, l’élan créatif et festif n’a jamais été aussi fertile qu’aujourd’hui. La ville, qui possède l’une des plus belles collections de design au monde, est en passe de déclasser les traditionnelles ambassadrices de ce rayon.

Symbole du design portugais : la chaise Gonçalo, du nom de son créateur Gonçalo Rodrigues Santos. Fabriquée par la marque Arcalo, elle fit sa première apparition à Lisbonne sur l’Avenida da Liberdade, dans les années 1940. Depuis, elle est sur toutes les terrasses des cafés lisboètes et apparaît – plus que jamais – comme une revendication : si le “made in Portugal” a longtemps été plus réputé que le design portugais en tant que tel, c’est la création locale qui rayonne désormais, comme le prouve notre immersion dans six quartiers aussi différents qu’inspirants. 

L’EMBAIXADA, PALAIS DU “MADE IN” 

Il y a mille façons de se perdre loin de la foule, entre ruelles escarpées pleines de vie locale et échappées discrètes vers les secrets les mieux gardés de la ville. La journée commence par la découverte de Principe Real, la “septième colline” de la ville. Un quartier devenu en quelques années le repaire des créateurs et des artistes. Après un café et un pastel de nata dans le jardin plein de charme de Principe Real, entre les arbres centenaires, on flâne juste en face dans l’Embaixada, ancien palais mauresque transformé en concept store. Boutiques de vêtements, de maroquinerie ou de mobilier “made in Portugal”... Rarement grand magasin aura été aussi majestueux.

Embaixada, 26 Praça do Príncipe Real, www.embaixadalx.pt

LX FACTORY, LE RENOUVEAU DE LISBONNE 

Cap à l’ouest, maintenant, et vers le Tage. Vous pensez être à Brooklyn ou à Dumbo (comme “Down Under the Manhattan Bridge Overpass”, le nouveau quartier bobo-chic de New York) ? La ressemblance est troublante. Et pourtant... LX factory, c’est une Lisbonne inattendue. Un incroyable complexe créatif mêlant ateliers d’artistes, sièges de start- up, cantines branchées, brocantes arty et commerces design dans une friche industrielle. Les vieilles usines de briquettes rouges reconverties en boutiques et restaurants de la LX Factory sont ancrées dans le quartier de l’Alcantara. Le Tage remplace l’East River. Et le Ponte 25 de Abril, le Manhattan Bridge.

LX Factory, 103 rua Rodrigues de Faria. www.lxfactory.com 

LE MAAT DE BELÉM 

Début octobre 2016, Lisbonne inaugurait tout près d’ici son paquebot, même s’il n’en a pas totalement l’apparence : la nouvelle aile du Musée de l’art, de l’architecture et de la technologie (MAAT). Organique et fluide comme une dune, blanc comme l’écume et design comme il se doit, il a été construit par la Britannique Amanda Levete (agence AL_A) dans le quartier de Belém, au bord du Tage, et domine le fleuve telle une proue.

Sa particularité ? À l’instar de l’Opéra d’Oslo dessiné par l’agence Snohetta, qui ressemble à un morceau de banquise posé dans le fjord et sur lequel on bronze en été, le public peut marcher sur son toit. Dans cette structure en céramique (clin d’œil au savoir-faire local), on ambitionne d’explorer la façon dont l’art très contemporain s’empare des problématiques actuelles. À la manière d’un Guggenheim ou d’un Centre Pompidou.

D’ailleurs, le directeur, Pedro Gadanho, vient du MoMA de New York. Ultime particularité de ce bâtiment au pied très marin : les marches menant au fleuve sont recouvertes à marée haute, créant un environnement en perpétuelle métamorphose. Résultat : on a l’impression d’avoir devant soi un navire dont la coque sombre se transforme, de nuit, en lanterne.

MAAT, av. Brasília, Central Tejo. www.maat.pt 

LES LUXES DU BAIRRO ALTO 

Plus petite que Berlin, moins assaillie que Barcelone, Lisbonne est aussi une ville électrique et il suffit de grimper dans le Bairro Alto pour s’en rendre compte. Dans ce “quartier haut”, territoire du tatouage, du piercing et du design vintage, une faune hétéroclite trinque à même le pavé, signe qu’à Lisbonne les nuits sont aussi belles que les jours. 

Son grand atout : elle permet de cumuler culture, plage et fête. Et le beau monde s’y presse. John Malkovich est ainsi l’un des propriétaires du restaurant de la jet-set, le Bica do Sapato (“La pointe de la chaussure , ndlr), situé sur cette partie chic du port maritime, au pied d’Alfama, qui réunit la crème de la “branchitude”. À quelques pas de là, la boutique la Loja da Atalaia s’affirme comme la plus pointue du secteur. La preuve : le maître des lieux, Manuel Reis – grand mécène et propriétaire du Lux, LA boîte de nuit de Lisbonne – sélectionne lui-même des pièces iconiques du design portugais des années 1950 à 1970.

La Loja da Atalaia, Loja 1 av. Infante D. Henrique, Armazém B, www.lojadatalaia.com

SIMPLE. MUDE. BASIQUE 

L’air salé de l’Atlantique vous décoiffe ? Abritez-vous au Museu do Design e da Moda (MUDE), qui a ouvert en 2009. En plein cœur de Lisbonne, l’ancienne banque nationale d’outre-mer a été choisie pour présenter les 2 500 pièces de la collection de Francisco Capelo, le Vasco de Gama du mobilier aux lignes épurées. Les architectes se sont contentés de gratter les murs et faux plafonds pour laisser le béton brut comme seul écrin aux robes, mobiliers et peintures exposés.

Et la banque, symbole de la puissance passée de l’empire colonial qu’était le Portugal, est restée dans son jus. “Luxe, pop et cool” est la devise du lieu, qui offre le meilleur d’Ettore Sottsass ou des frères Campana, sans oublier la chaise Wim Wenders de Starck, hommage
au réalisateur de Lisbonne Story.

Museu do Design e da Moda (Mude), 24 rua Augusta, www.mude.pt 

PARC DES NATIONS

Un séjour dans la Métropole du design, c’est forcément au Parc des Nations que ça se termine, dans la nouvelle ville construite pour l’Expo universelle de 1998 en hommage aux voyages de Vasco de Gama. Pas étonnant que les tours y soient coiffés de voiles, les jeux d’eaux abondants, que le pont dessiné par Calatrava s’incurve comme une vague au-dessus du Tage, et que l’Océanorium, véritable navire- aquarium, en constitue le point d’orgue.

Une idée pour finir ? Prendre le ferry à Cais do Sodré, traverser le Tage, pour débarquer en dix minutes à Cacilhas, de l’autre côté de la rive. Marcher le long des entrepôts désaffectés et aller dans le crépuscule décadent jusqu’au bar Pun2to Final. Y déguster une Sagres bien fraîche, et surtout la plus belle vue sur Lisbonne. Punto final. Le reste vous appartient.