Longchamp : 70 ans en 5 dates clés

La marque de maroquinerie française célèbre sept décennies. Sophie Delafontaine, directrice artistique et membre de la troisième génération de la famille Cassegrain, celle qui créa la marque, revient sur les épisodes majeurs de cette success story.

PAR MARIE HONNAY. PHOTOS D.R. |

1948 : Naissance d'une griffe

Jean Cassegrain, un fabricant de pipes en cuir, installé boulevard Poissonnière dans le second arrondissement de Paris, un quartier très populaire de l’époque, décide de délaisser l’univers des pipes pour se consacrer entièrement à la maroquinerie (portefeuilles, pochettes...). Le succès étant au rendez-vous, il se lance dans le bagage dans les années 60 et ouvre une première boutique au cœur de l’aéroport d’Orly. Septante ans plus tard, la maison Longchamp est toujours dirigée par un Cassegrain, également prénommé Jean, le frère de Sophie Delafontaine (née Cassegrain, ndlr).

Elle compte 300 boutiques réparties dans 20 pays — sans compter les 1 500 points de vente multimarques — et emploie 3 200 personnes. Visionnaire et collectionneuse d’art, la famille Cassegrain habille nombre de ses magasins d’œuvres contemporaines. En avril dernier, pendant les travaux de sa nouvelle boutique new-yorkaise, la marque a ainsi recouvert la façade de l’immeuble d’une peinture signée par l’artiste français Remed. Sophie Delafontaine nous confie que cet héritage et cette longue tradition n’ont jamais été un poids. Plutôt une bénédiction.

"Il me semble toujours plus facile de raconter une belle histoire sur des bases solides et sur un savoir-faire unique..., nous dit-elle. Chaque maison qui dure possède le sien. Mon père et mon grand-père ont compris l’importance de faire du design, pas de l’art. Lorsque je planche sur des collections mode, je n’oublie jamais que ce que je dessine (sacs, souliers, accessoires, vêtements...) doit pouvoir être porté au quotidien. Mon credo, c’est la modularité, la légèreté et le côté pratique. L’art pour nous est une inspiration, une dimension supplémentaire qui cadre avec notre approche et que nous aimons partager avec nos clients au travers de nos différents projets."

1993 : Le pliage

Philippe Cassegrain (fils de Jean, qui reprit la marque au décès de ce dernier en 1972, ndlr) lance un concept révolutionnaire : le Pliage, un sac pliable en nylon et cuir esprit origami décliné en une infinité de couleurs. Tantôt petit, tantôt maxi, il a été adopté par des millions de femmes et d’hommes qui l’utilisent à l’école, au bureau, pour faire les courses ou voyager.

Sophie Delafontaine : "Le Pliage, c’est plus qu’un sac. Je l’envisage davantage comme un concept dans le sens où il s’agit d’un produit intemporel qui traverse des générations. J’ai presque envie de parler de philosophie. Quand je réfléchis à de nouvelles versions ou à des partenariats (Le Pliage est fréquemment revisité par des artistes et designers comme Jeremy Scott, collaborateur régulier depuis plus de dix ans, ndlr), je garde en tête cette philosophie. Si l’idée de mon père est à ce point brillante, c’est parce qu’il a su créer un accessoire identitaire tout en restant dans l’épure totale. Le réinventer consiste à partir d’une page blanche. Je ne suis face à aucune limite. Tout est possible. Le Pliage est comme un parfum qui traverse le temps. Il suffit de changer un mini- ingrédient pour le moderniser. Dans cette idée, nous venons de lancer le Pliage Club qui se définit par l’intégration d’un cheval brodé, de bords teints et d’un jeu de pressions. En 2003, bien avant les autres marques, nous avons donné la possibilité à nos clients de personnaliser leur sac en ligne. Nous planchons d’ailleurs sur une nouvelle version, encore plus interactive, de ce service."

2006 : Des sacs aux vêtements 

Sophie Delafontaine développe une collection de prêt-à-porter totalement en phase avec les codes Longchamp. Sa marque de fabrique est une élégance intemporelle, jamais bling bling et des collections qui s’adressent à la femme active, moderne et urbaine. "Nous venons d’organiser notre premier défilé à New York, douze ans après la sortie de notre toute première collection... Il a fallu du temps pour que Longchamp se fasse connaître dans ce créneau, mais ce qui m’a toujours semblé important, c’est de respecter tant les clients que le produit. Si nous nous sommes lancés dans le vêtement de manière discrète, c’est parce que je n’ambitionnais pas de révolutionner le secteur du prêt-à-porter. Je me suis donc demandé ce que je pouvais raconter de plus. Notre ADN, c’est le cuir. J’ai donc cherché à dépasser les clichés du perfecto, de la jupe en cuir... J’ai eu envie de traiter cette matière avec légèreté, d’oublier les doublures, les coupes trop raides. J’envisage mes vêtements comme un pull en cachemire qu’on aurait envie de porter à même la peau."

2011 : La transmission

Longchamp lance un projet d’ateliers-écoles destiné à former les maroquiniers de demain. Au travers de six implantations localisées majoritairement dans la région des Pays de Loire (là où est située une partie des ateliers de la Maison), Longchamp forme des femmes peu diplômées ou en réorientation professionnelle. La stratégie de Jean Cassegrain est claire : maîtriser la totalité des processus de fabrication, ainsi que tout le volet logistique lié à la marque. De l’aveu de sa sœur Sophie Delafontaine, ce projet n’a pas été facile à mener à bien. Mais ils savaient que s’ils ne faisaient rien pour perpétuer le métier, il allait finir par se perdre.

Les ouvrières — chez Longchamp, ils ne travaillent presque exclusivement qu’avec des femmes — partaient à la retraite, et ils sentaient très peu d’engouement pour le métier chez la nouvelle génération. L’autre problème, c’est que pour des raisons familiales, les femmes sont moins enclines à déménager que les hommes. Il y a sept ans, ils ont donc décidé de créer une première classe, où ces femmes ont pu apprendre à couper les peaux, coudre et monter les sacs. Leur programme de recrutement est basé sur la motivation, car qu’il faut plusieurs années d’apprentissage avant de détenir les bons gestes. Leurs artisans ont aussi dû apprendre à transmettre leur savoir-faire. Ce qui, à la base, n’est pas évident.

2018 : Nouvelle égérie

Après Kate Moss ou Alexa Chung, Longchamp a choisi Kendall Jenner comme nouveau visage de la marque. Photographié par David Sims, le mannequin américain incarne l’amazone moderne dans la campagne publicitaire de l’automne/hiver 2018, présentant ainsi l’univers complet de Longchamp : maroquinerie, accessoires, prêt-à-porter. Une manière de souligner l’esprit libre de la marque française, mais aussi ses ambitions globales et sa volonté de s’exporter encore davantage outre-Atlantique.

Sophie Delafontaine : "Nous sommes une marque internationale. Mon grand-père, un grand voyageur, a toujours eu cette vision. À mon sens, Kendall Jenner représente parfaitement cette vision globale. Elle incarne les besoins et les envies de la nouvelle génération. Mais quand je parle de génération, je ne fais pas référence à l’âge. Car pour moi, il ne veut rien dire. Il s’agit plutôt d’un mode de vie. Celui adopté par des femmes — elle, vous, moi — hyperconnectées. Aujourd’hui que vous soyez pharmacienne en Corée ou journaliste en Belgique, il n’y a plus aucune différence. Nous exerçons toutes plusieurs métiers de front. Kendall reflète parfaitement cette énergie."

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