Ne jetez pas vos sneakers

Chaussure la plus vendue au monde, la basket déchaîne les passions. Buzz aidant, certaines se changent en pièces de collection. Et valent des milliers.

Par Dorian Peck. Photos : Reporters sauf mention contraire. |

On les porte en toutes circonstances, sans jamais s’en lasser. Depuis 50 ans, les sneakers allient confort et style, et suivent leurs propriétaires partout. Mais les amoureux des baskets savent-ils quel héritage ils traînent sur les pavés ? Après l’énorme succès des Stan Smith (basket la plus vendue de l’Histoire, avec plus de 70 millions de paires écoulées), de nombreuses marques suivent les pas d’Adidas et relancent leurs modèles iconiques. 

Dernier en date : le rival Nike. L’équipementier a remis au goût du jour sa Cortez, créée en 1972 par Bill Bowerman, en imaginant une campagne rétro avec la it-girl Bella Hadid.

Une tendance du streetwear poussée par la nostalgie ou une chaussure devenue aussi classique qu’un jean ? Pour les passionnés, un peu des deux… Mais une autre raison prend le dessus. Porter des baskets, ce n’est pas suivre une tendance, c’est faire partie d’une culture, lance Max Limol, auteur de Culture Sneakers : 100 baskets mythiques. Max est l’un de ces mordus de la basket, possédant plus de 450 paires et un site Web sur cet univers : sneakers-culture.com. Ses Jordan Converse de 1987, copie de la toute première chaussure du basketteur mythique, ne quitteront jamais leur blister. Le collector cote au fil des ans. Pareil pour la Jordan 4, élevée au rang de chaussure bijou dans Do The Right Thing, film culte de Spike Lee.

C’est que désormais, les vieilles baskets font recette. La sneaker de collection en deviendrait presque la meilleure façon de placer. Elle peut s’arracher pour quelque 20 000 dollars auprès des amateurs avertis. Cette mode a commencé dans les années 80 avec le lancement par Nike de ses Airmax 1 et par Adidas de ses Superstar. Les baskets cultes, comme Air Jordan ou Converse Chuck Taylor, étaient alors très recherchées, explique Max. Progressivement, un marché valant plusieurs milliards de dollars s’est développé, tiré par Nike, Adidas, Reebok et Puma, mais aussi par de nouveaux venus comme Clae, Creative Recreation, Gourmet NFN, New Balance ou Radii.

20 000 $ la paire

Dépassant sa raison d’être sportive, la paire de baskets s’est imposée sur les podiums de mode, dans les dressings et fait courir de plus en plus de passionnés. On les appelle
les “sneakerheads” ou “sneakeraddicts”. Et du côté des marques, on les bichonne beaucoup : pas une semaine ne passe sans que celles-ci, Nike et Adidas en tête, lancent, à coups de stratégies marketing bien rodées, des séries ultralimitées. Pour augmenter leurs ventes, les marques annoncent, à l’avance, la mise sur le marché de baskets en édition limitée signées par un rappeur. Certains sont prêts à faire la file pendant trois jours pour les acheter !, confie Max Limol. La rareté, l’envie et le buzz aidant, la godasse se change en pièce de collection. Sa cote grimpe, son prix à la revente aussi.

Un phénomène amplifié par Instagram, où les collectionneurs posent avec leurs trophées. Une Bourse est même dédiée à ces produits. Créé par un ex-cador de la NBA, StockX se présente comme une véritable place de marché financier, sauf qu’au lieu du Bel 20, du CAC 40 ou du Dow Jones, figurent l’indice Jordan, Nike ou Adidas. Sur cette plateforme, les articles en édition limitée mais aussi les classiques se négocient et se revendent…à prix d’or !

Mort pour Jordan

Le must ultime : la Nike Air MAG Back To The Future caracole à 28 000 $, et affiche un bond de 32 %, suivie de la Jordan 4 Retro Eminem Carhartt (12 500 $).

Une des valeurs sûres: la Yeezy, sneaker lancée en février 2015 par le rappeur Kanye West et Adidas. À peine sortie, elle a fait valser son étiquette de 200 € dans le réseau classique pour une cote de 14 000 € sur le marché “gris”. 

Plus récemment, la collaboration entre la marque Jordan et l’artiste new-yorkais Kaws – baptisée Air Jordan 4 X Kaws – a multiplié son prix par cinq en atterrissant sur le site spécialisé Flight Club. 

Un paradis pour les spéculateurs, dont le marché est estimé à près de 2 milliards de dollars aux États-Unis. Mais gare aux retours de manivelles. Souvent, la hype ne dure qu’un instant. Lorsque la Jordan 5 est sortie, dans les années 1990, j’étais à San Francisco, c’était incroyable ! raconte Max Limol. Il y avait des bousculades dans les magasins et aux abords, les gens se faisaient racketter leurs paires, d’autres ont carrément été abattus. Le plus grand magazine américain de sport, Sports Illustrated, avait même fait sa Une avec une Jordan 5 et un revolver, Aujourd’hui, la même paire de godasses se vend à moins de 120 €… 

Le saviez-vous ?

  • La sneaker désigne une chaussure conçue pour le sport mais portée à la ville. De l’anglais “to sneak” : se faufiler, se glisser, en référence aux graffeurs et autres fuyards potentiels qui appréciaient l’adhérence de cette chaussure.
  • En 1868, la société Candde Manufacturing, dans le Massachusetts, innove avec la première basket sur une semelle en caoutchouc vulcanisé, un procédé mis au point par le fabricant de pneus Charles Goodyear. C’est l’arrière-arrière-arrière grand-mère de la sneaker, qui naît véritablement en 1917, avec la création des Converse All Stars.
  • L’homme par qui la culture sneakers est arrivée ? Michael Jordan (photo), le meilleur basketteur de tous les temps. En 1984, Nike développe une basket à son nom, rouge et noire, comme le maillot de son équipe. Interdite par la NBA au motif qu’elle ne respecte pas les codes de couleurs, la Jordan devient un symbole de transgression. La même année, Run DMC, le groupe de hip-hop le plus influent de l’époque, fait un carton avec le titre My Adidas, qui vante le modèle Superstar. La marque aux trois bandes se transforme en symbole de la street culture.