Quand l'Afrique inspire la mode

Buzz autour de ses mannequins, marques européennes qui s’en inspirent, nouveaux labels qui lui sont liés : l’Afrique fascine, et poursuit sa conquête de la scène fashion.

PAR MARIE HONNAY. PHOTO D.R. |

Campagnes Miu Miu, Gucci et Tiffany & Co traduisant l’énergie du continent africain et la beauté sculpturale des tops à la peau d’ébène. Fondation Cartier qui a rendu hommage au travail photographique de l’artiste malien Malick Sidibe. Casting du nouveau calendrier Pirelli 100 % black. Mannequin britannique d’origine ghanéenne Adwoa Aboah, qui a décroché le titre de top-modèle de l’année lors des derniers British Fashion Awards... Mode, luxe, art, tendances... C’est clair : l’année 2017 était déjà fortement marquée du sceau de la planète Afrique. Mais 2018 s’annonce plus inspiré encore.

La collection printemps/été de l’Américain Marc Jacobs célèbre par exemple les tissus africains dans ce qu’ils ont de plus colorés et chatoyants. On trouve aussi des références à ce continent chez la créatrice Anna Sui. Quant à la Française Aurélie Bidermann, elle s’inspire des couleurs et de la richesse des bijoux africains. Le sautoir Ana en or, turquoise et corail, le collier serpent, le pendentif scarabée en tsavorites ou le bracelet Diana en or et bakélite ivoire en sont de sublimes preuves. Et pour sa précollection de cette année, le label italien Just Cavalli propose lui un safari, en mode mixte, mêlant exotisme africain et vibrations contemporaines...

Coïncidence ou véritable nouvelle tendance de fond de la sphère fashion ? Claudia Pita Gros est d’origine angolaise ; Andrianina Sidibe, Malgache. Les deux fondatrices de la marque MeyNö voient dans cette Africamania une suite logique d’un engouement qui touche le monde de l’art et de la musique depuis plusieurs décennies : le tissu africain, le wax, a incontestablement trouvé sa place sur les défilés des grandes maisons. Et plus d’un créateur de premier plan puisent son inspiration dans ce continent : Stella McCartney, Isabel Marant, Dries Van Noten... Mais la vraie nouveauté, c’est le côté plus “mainstream” de cette culture, sa plus grande accessibilité via de grandes enseignes de retail telles H & M, Mango ou Zara. 

En Belgique aussi

Chez nous, l’Afrique est également à l’origine de plusieurs projets mode à suivre. Depuis quelques années, le grand public connaît Mosaert, la marque développée par Stromae et son épouse autour d’imprimés inspirés du wax. Ce projet leur a d’ailleurs valu de collaborer avec le label français Repetto. Ce tissu magique, c’est aussi celui qu’a choisi Odile Jacobs. 

Sa jeune marque, qu’elle décrit comme le fruit d’un cheminement personnel, cette infirmière originaire du Congo et passionnée de mode l’a créée en hommage à sa mère, aujourd’hui décédée, qui distribuait ce tissu. J’ai passé toute ma vie en Belgique mais, à 48 ans, je me suis dit qu’il était temps d’assumer mes origines. Après m’être coupé les cheveux — un pas vers l’acceptation de ma nouvelle coupe afro —, j’ai dessiné un modèle de robe sur base de tissus ghanéens. D’esprit boho chic, il a été pensé pour s’adresser à toutes les femmes, européennes comme africaines. J’avais envie de sublimer ce tissu qui, à mon sens, permet de créer une vraie différenciation. Sa palette de couleurs est tellement large et vive qu’on se sent forcément unique.

Cette inspiration africaine peut en effet donner lieu à des créations très différentes les unes des autres. Dans le cas de MeyNö, c’est à nouveau le wax qui sert de fil rouge aux collections d’accessoires du label.  

Claudia Pita Gros : Les possibilités infinies qu’offre cette étoffe sont tout aussi fascinantes que son procédé d’impression. Il ne s’agit pas simplement de choisir des couleurs vives et pétillantes et de les superposer au hasard. Chaque dessin est étudié pour pouvoir se décliner dans des combinaisons de couleurs qui donnent automatiquement l’impression qu’il s’agit d’un motif différent. Le wax est également bien plus qu’un tissu. Il représente des symboles, des imprimés, des motifs qui ont une signification précise et très codifiée.

Libres influences

À l’inverse, la Belge Yéba Olayé a décidé, pour le label d’accessoires qu’elle a créé l’an dernier, de ne pas faire directement référence à ses origines africaines, ni même au wax. Née au Bénin, où elle n’a vécu que quelques années, c’est dans un style résolument cosmopolite qu’elle a conçu sa ligne de sacs.  

"Mon objectif, lorsque j’ai créé cette ligne, c’était de dépasser les clichés. J’ai voulu lui donner une allure contemporaine. Utiliser le wax m’aurait fait tomber dans un piège trop facile. D’autant que ce tissu est une invention mi-anglaise, ni-hollandaise importée en Afrique. Cela dit, lorsque Yeba aura trouvé ses marques, je n’exclus pas du tout d’oser davantage de clins d’œil à mes origines. Avec, pourquoi pas, l’utilisation du bois d’ébène ou du cuivre ? La création africaine contemporaine, c’est aussi des jeux de contrastes chromatiques. Sans oublier son côté vernaculaire: les histoires et les symboles sont très importants dans l’art africain. J’aimerais d’ailleurs beaucoup, par le biais d’une collaboration, créer des carrés de soie qui raconteraient l’histoire de la reine Yeba. Je ressens clairement le besoin d’explorer, tôt ou tard, le côté légendaire lié à mes origines. Mais pas n’importe comment. Cela doit faire sens.”

Un sens qui n’est pourtant pas tout. D’autres marques belges sans lien direct avec le continent africain semblent en effet avoir elles aussi succombé ne serait-ce qu’au charme de son imagerie. C’est le cas de la maroquinerie Delvaux. Pour la collection printemps/été 2018, Cristina Zeller, sa directrice artistique, s’est inspirée des couleurs et des tribus africaines.  

Les grands classiques de la maison comme le Tempête ou le Brillant ont ainsi été revisités en version ébène et ivoire. D’autres sont ornés de piqûres esprit tribal. Et tout récemment, un nouveau label belge baptisé V. I.A (pour Very Important Animals) a décidé d’explorer, lui aussi, la thématique de l’Afrique. 

Le crédo de Charlotte et Anneleen Kegels, ses fondatrices : soutenir, au travers de la vente d’une ligne de sweaters affichant des motifs d’animaux sauvages, une association de protection en Afrique du Sud: National Park Rescue.

Symbolique universelle

Enfin, dans le cas du fondateur de la marque belge AKaso, l’Afrique s’apparente à un véritable changement de vie. Ex-directeur de collection pour Kipling et papa de deux filles nées en Ethiopie, Philippe Vertriest a été fasciné par le travail de deux photographes qui ont, pendant trois décennies, parcouru le continent africain pour illustrer des corps peints. Convaincu que cet art, à l’origine du maquillage occidental et du tatouage, nous parle à tous, il a contacté les membres de la tribu des Kara dont les dessins l’intéressaient particulièrement. Il leur a alors proposé un projet un peu fou : collaborer sur une collection mêlant leurs œuvres avec des pièces en maille, coton ou soie, destinées à une clientèle cosmopolite. Cette collection, qu’il qualifie de premier chapitre dans l’histoire de la marque, est basée sur des dessins commandés à six jeunes artistes — hommes et femmes — de cette tribu.  

Les thèmes abordés : les animaux, mais aussi des sujets plus symboliques comme l’amour et l’amitié. Philippe Vertriest : au fil des commandes, les artistes nous ont fait de plus en plus confiance. Leurs dessins ont gagné en force. Ils sont devenus plus abstraits, plus engagés. Mais mon but n’est pas forcément de les expliquer aux clients qui passent la porte de notre boutique. Chacun doit y trouver ce qu’il souhaite en fonction de sa sensibilité, de son ressenti. Cette approche nous permet de dépasser les clichés, de ne pas tomber dans les éternels symboles et références liés à l’Afrique. D’autant qu’il s’agit souvent de raccourcis, voire d’inventions européennes ou de restes de l’époque coloniale. Il suffit de jeter un œil à l’art contemporain africain pour se rendre compte que les œuvres des jeunes plasticiens peuvent facilement se confondre avec celles d’artistes originaires de New York ou Paris. 

www.odilejacobs.be, www.yeba-essentials.com, www.akaso.eu, www.delvaux.com, www.veryimportantanimals.com 

Inspiration ou appropriation ?

L’Afrique reine des catwalks et des covers n’empêche pas son lot de petites vexations. Ces derniers mois, plusieurs personnalités d’origine africaines (Solange Knowles, notamment ou encore Lupita Ngoyo, nouvelle égérie Lancôme) ont par exemple accusé certains magazines d’avoir retouché leurs cheveux pour en minimiser le volume ou leur donner un look moins crépu. L’Afrique, d’accord. Mais point trop n’en faut...

Créatrice de RITUEL, un institut spécialisé dans les soins inspirés de l’Afrique, la Liégeoise d’origine congolaise Julie Lombe explique. Il est normal de voir les créateurs s’inspirer de l’Afrique. Cela dit, cette tendance va de pair avec de grosses polémiques dans les milieux afros qui parlent d’appropriation culturelle. Même si c’est en train de changer doucement, il est en effet rare que des mannequins noires soient choisies pour les défilés soit disant hommages à l’Afrique. On se souvient de la campagne Valentino printemps/ été 2016.  

Pour mettre en image cette collection inspirée de l’Afrique, la maison italienne avait choisi des mannequins à la peau blanche posant lascivement au milieu de membres d’une tribu africaine vêtus de costumes traditionnels. Difficile, parfois, de ne pas tomber dans les clichés. Une problématique qui ne touche pas forcément le secteur des cosmétiques.

En ce moment, un mot revient souvent : inclusivité explique Julie Lombe. De nombreuses marques occidentales confient leur image à des égéries noires ou intègrent des actifs africains à leurs formules (néré, marula, argan, karité chez Sothys, Gingembre bleu de Madagascar chez Chanel, huile de ximenia chez Body Shop).

Les marques généralistes offrent enfin un spectre large de fonds de teint pour satisfaire les peaux foncées. Mais des marques afro s’ouvrent aussi aux clientes caucasiennes avec, par exemple, les soins capillaires She Moisture (d’ailleurs rachetés par Dove ce mois-ci, ndlr). C’est exactement ce que je fais chez Rituel : proposer des solutions aux problématiques des peaux claires et foncées avec des marques occidentales de pointe intégrant aussi des actifs africains voire des marques 100 % africaines et des techniques inspirées de l’Afrique. Le meilleur des deux mondes, en somme.

www.rituelconceptspa.com