Rencontre avec Pierre Vanherck, confectionneur de cannes d'exception

Pierre Vanherck fut informaticien avant de se découvrir un talent pour l’ébénisterie. Un savoir-faire de luxe et de précision inné qu’il met aujourd’hui au service de la confection de cannes d’exception.

PAR ISABELLE PLUMHANS. PHOTOS LYDIE NESVADBA. |

On rencontre Pierre Vanherck chez lui, dans sa maison du Brabant Wallon, au sous-sol de laquelle il a aménagé son atelier. L’homme s’excuse presque quand il se raconte : on pourrait croire mon histoire romancée, mais tout ce que je vais vous dire m’est exactement arrivé. Et c’est vrai que l’aventure de cet informaticien électromécanicien de formation a tout du conte de fées, sortilèges en moins. Pierre Vanherck travaillait autrefois au codage de données traitant du degré de coefficient de dilatation des matériaux. Oui, ce job existe! En 1991, lors des fortes tempêtes dans sa région, il aide à bûcheronner les arbres décimés par les vents. Au départ, il utilise le bois récolté pour se chauffer. Puis décide de le transformer en meubles modestes. Mes amis m’en ont ensuite commandé, j’ai donc continué à en produire, de plus en plus gros. 

Du codage des données à un savoir-faire de niche pour dandys stylés.

En 2003, l’artisan en devenir franchit le cap. Il rachète un stock de bois et une machine-outil à un ébéniste qui se retire des affaires, crée son atelier, et quitte l’entreprise qui l’employait. Il se procure ensuite un tour à bois, la seule machine sur laquelle le bois est en mouvement, rendant son utilisation particulièrement méticuleuse. Ça a été une révélation. Dès la première fois que j’ai tourné, je n’ai plus voulu m’arrêter souligne, passionné, Pierre Vanherck.

Le secret d’une canne réussie : la maîtrise du tour à bois. 

Le Brabançon est alors admis à l’Office des Métiers d’Art, groupement qui promeut le travail artisanal, et se voit offrir la possibilité d’exposer au salon Artisan’art, à Namur. En préparation à l’événement, il songe à réaliser des stylos à bille. Le stock racheté au vieil ébéniste compte en effet de nombreux carrelets (pièce de bois de 90 cm de long sur une section de 3 cm, ndlr), matériau idéal pour confectionner ce type d’objet. Mais au moment où j’ai posé un de ces carrelets sur ma machine pour la débiter, une petite voix m’a dit que j’étais en train de faire une bêtise, que j’allais détruire des pièces qui méritaient mieux que cela, explique-t-il aujourd’hui. 

Du carrelet original à sa destination finale. 

Pour en avoir le cœur net, Pierre Vanherck téléphone alors à l’homme qui lui a vendu ces longues tiges de bois. Lequel confirme que le stock qu’il a acquis date de la fin du XIXe siècle et était au départ destiné à réaliser des cannes de prestige. Nouveau déclic, sous forme de challenge cette fois. Pour réaliser une canne, il faut une maîtrise parfaite du tour à bois, parce que c’est un objet long et courbe, nous explique Pierre Vanherck. Difficile à manipuler donc. En outre, sur le tour, la canne qu’on travaille vibre très fort. Il faut avoir le geste précis, sûr, pour neutraliser au maximum cette vibration. Une gestuelle que maîtrise justement Pierre Vanherck. Quand j’ai réalisé ma première canne, j’ai compris que c’était ça que je devais faire. 

Résultat, sur le stand d’Artisan’Art, à côté des bics, trône une première canne. Celle-ci est achetée par un visiteur de la foire, gentleman tiré à quatre épingles, mais pour une somme inférieure à sa valeur réelle. Je n’avais aucune idée du prix d’un tel objet, raconte l’artisan. Je lui ai donc demandé l’équivalent du coût de location de mon stand, soit 300 €. Ce monsieur est revenu plus tard pour me dire qu’il avait des remords. Selon lui, une telle canne valait en effet autour de 2000 €. Au retour de Namur, Pierre s’enferme alors dans son atelier, convaincu de la direction que doit prendre son art. Pour ce faire, il s’astreint à une discipline de fer. Certes, j’étais décidé à créer des cannes, mais je voulais des objets qui seraient plus que des cannes. 

Méthode unique

Pour atteindre son objectif, l’artisan transcende son savoir, améliore sans cesse sa technique de travail, déploie son imaginaire pour penser des modèles toujours plus originaux et uniques. La spécificité de Pierre ? Son expérience d’informaticien électromécanicien... Grâce à sa connaissance des propriétés de dilatation des matériaux, il réussit en effet un jour à mettre au point un processus d’alliage parfait entre métal et bois. Sur ses cannes, là où l’un est incrusté à l’autre, le raccord est indétectable. Aujourd’hui encore, je suis le seul à procéder de la sorte. Quand je suis copié, mes concurrents se bornent à coller le métal sur le bois, ou le bois sur le métal. Pas moi !  

C’est cette exception, combinée à sa technique parfaite de travail du bois, qui donne sa qualité aux objets – cannes mais aussi bijoux – que crée désormais l’artisan. Une qualité qui, aujourd’hui, fait sa renommée : parmi ses clients, le baron de Rotschild ou le pape Benoît XVI – lequel possède une canne simple d’ébène depuis 2009. Le rappeur Damso a également craqué pour une canne Made in Belgium, qu’on pourra apercevoir sur écran géant lors de ses concerts à venir.

Pour chacun de ces exemplaires, entre 30 et 200 heures de travail. 

Mais concrètement, comment travaille Pierre ? Le bois est un matériau très complexe. Dès qu’on y touche, il change de forme, et prend davantage de place. Voilà pourquoi les billes de bois précieux qu’il achète en gros commencent toujours par reposer à l’atelier, afin qu’elles s’acclimatent à la température et à l’humidité locales, et se stabilisent. Vient ensuite le passage sur le tour, où les billes sont débitées en carrelets. Un deuxième temps de repos est ensuite nécessaire, d’environ deux ans celui-là, afin que le bois usiné libère sa tension. Une double période de “vacances” qui complique les affaires de l’artisan : pas toujours aisé de savoir exactement quelle quantité de bois commander deux à trois ans avant son usinage.  

Au-delà de la technique, c’est effectivement une des difficultés du métier souligne l’ébéniste. Mais avec le temps, tout s’apprend. Puis vient le travail en lui-même, avec des instruments bien spécifiques, qu’il nous tend. Ce sont des gouges. J’élabore et construit les plus spécifiques moi- même, en fonction de l’effet final souhaité. 

D’une noix de Banksia à un pommeau fini.

Vingt couches de finition

Laisser poser le bois. Construire ses instruments... L’artisanat est ici histoire de temps, long, avant et après. Pour une canne simple, il faut compter au moins trente heures de travail. Pour les plus complexes, un peu moins de 200. Et de dévotion, et de précision. Quand on a commencé à travailler un fût (partie centrale et principale de la canne, qui réclame trois heures de travail, ndlr), on ne peut pas s’arrêter. Si c’était le cas, le fût libérerait sa tension, changerait de forme et on ne pourrait plus le reprendre.  

Après ce passage sur tour, reste encore le travail de finalisation. Dont l’huilage. Quinze couches d’huiles posées à chaud, puis cinq à froid. La recette de l’enduit ? Un autre des nombreux secrets de fabrication de ces cannes de prestige... Après l’élaboration du pommeau, vient l’ultime manœuvre, la réalisation de la bague en argent ou en or, lien entre fût et pommeau, gravée Pierre Vanherck. Pour cet exercice, comme pour une série d’actes techniques spécifiques, je collabore avec d’autres artisans dont c’est la spécialité. 

L’astuce luxe : un pommeau creux, dissimulant un stylo plume. 

Mais la réussite d’une canne serait impossible sans la relation, tout aussi unique, avec les clients. La plupart se déplace à l’atelier pour la choisir et la personnaliser. Ceci étant, même pour les autres, certaines données doivent absolument être connues. La mesure de la jambe entre le sol et le bas de la ceinture par exemple, ou divers desiderata : forme du pommeau, bois utilisé ou petits gadgets à glisser dans le fût. 

Comme une fiole de whisky, une dague ou un simple stylo à plume... À Pierre Vanherck ensuite de confectionner sur mesure l’objet qui répondra aux envies dandys les plus stylées, voire parfois un peu loufoques, de clients à l’origine très variée. Maître de cannes : un art manufacturé, sublimé, dimensionné, que seul un informaticien électromécanicien pouvait appréhender à ce point. 

www.pierre-vanherck.com. Les cannes sont aussi en vente sur le site de Griffe by Art Square (lagrifffebyas.com) qui présente les travaux d’artisans de luxe.