Rencontre avec Yann Arthus-Bertrand : "Je fais des films de photographe "

Survol de 40 ans de carrière à travers des tirages accompagnés exceptionnellement de leur Polaroid de travail. L’occasion était belle pour parler avec l’artiste, de photo, d’écologie et d’humanisme.

TEXTE GILDA BENJAMIN. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Il n’aime pas trop analyser le chemin parcouru... Et pourtant, quel chemin ! L’homme qui se voyait plutôt dans la peau d’un scientifique, partit au Kenya à 30 ans pour y étudier le comportement des lions. Son cœur et sa caméra feront le reste. Perfectionniste, il poussera plus loin la photographie aérienne, allant jusqu’à devenir pilote de montgolfière. En 1994, son livre La Terre vue du ciel enthousiasme la planète entière. Suivront quantité d’autres, mais aussi des expos et des films, questionnant sans cesse sur le devenir de la Terre, la sauvegarde des espèces et de la nature et la solidarité des peuples. Yann Arthus-Bertrand a le cœur et la tête débordants d’images. Malgré ses désillusions amères (d’après lui, même en arrêtant d’émettre du CO2, la Terre continuera à se réchauffer pendant cinquante ans), il poursuit sa quête.

    Le Polaroid a-t-il toujours ete une ebauche de travail ou une oeuvre artistique a part entiere pour vous ?

    " Je n'ai jamais ete fou du Pola : c'est complique a tirer, on en gache beaucoup, le flash vous empeche d'apprecier ce que vous faites... Mais j'en avais un a vitesse manuelle qui me permettait de preparer toutes mes photos en studio. Ces cliches, je ne les ai jamais consideres comme interessants artistiquement jusqu'a cette exposition, organisee par mon neveu Arthur Schildge. Elle montre les Polas que j'ai realises il y a quarante ans, a mes debuts, alors que je n'etais meme pas encore photographe professionnel. Comme je ne numerote pas mes photos, les accompagner du Pola original preparatoire pouvait representer un plus pour les collectionneurs et le public. Tout d'un coup, je me suis rendu compte que j'y etais attache. Et quand le Pola de Jean-Paul Gaultier pris en Guyane a ete vendu, j'ai eu un pincement au coeur, car il s'agit d'une piece unique qui raconte, en quelque sorte, une histoire de ma vie. "

    On assiste a un certain retour au Pola, certains appareils sont a nouveau au gout du jour. Mode vintage ou vague de nostalgie ?

    " Je compare la demarche a celle des gens qui continuent a travailler en noir et blanc ou en argentique avec ce petit gout d'antan. Je ne suis, pour ma part, pas du tout nostalgique. Quand on voit la qualite des photos que vous pouvez tirer avec votre iPhone, je suis admiratif et je n'hesite, d'ailleurs pas, a le faire."

      Vous n'avez donc jamais ete refractaire aux avancees technologiques ?

      "Au contraire, le numerique nous permet tellement de choses. Je me souviens avoir travaille avec des pellicules 50 ASA. On devait arreter des qu'il pleuvait car il n'y avait pas assez de lumiere. Aujourd'hui, je peux travailler en 2000 ASA avec la meme qualite, et je peux retravailler le tout sur ordinateur... Cependant, je retouche tres peu mes photos, je les recadre juste. J'avoue, je ne suis pas un pro car la technique m'a toujours ennuye. Certes, la mise au point automatique et la stabilisation ont, il est vrai, facilite mon travail. Je ne fais plus de photos floues ! Mais cette technologie avance tellement vite qu'on devrait changer d'appareil tous les ans. Heureusement, j'ai la chance d'etre ambassadeur Canon pour qui je teste nombre de modeles. "

      Le grand public vous connait surtout pour vos photos et pour vos films sur la nature et la faune. Or, c'est l'humain qui est au centre de toute votre demarche...

      " Il est vrai que je m'interesse aux animaux depuis mes 20 ans et assister a la disparition des especes me desole. Le WWF estime qu'on a perdu en quarante ans, 70 % du vivant sur la Terre. Mais j'aime les gens, je vais facilement vers eux, je suis curieux. Quand j'ai commence la photo en Afrique, j'ai passe plusieurs jours dans un village, les habitants m'ont raconte leur vie. J'ai realise que nous avions les memes sentiments : la peur de la mort, le desir d'une vie meilleure pour nos enfants... D'ou cette idee de partir a travers le monde, poser les memes questions. Mais je vivais alors le succes de La Terre vue du ciel qui m'accaparait beaucoup.

      J'ai demande a 6 personnes de partir a la rencontre de ces gens, avec juste une petite camera. Ce qui a donne 6 Milliards d'Autres. Cette demarche m'interesse peut-etre encore plus que la photo, grace a l'emotion procuree par la parole. Cette emotion me transperce le coeur, bien plus que celle generee par une photo. C'est pour cette raison que j'ai tourne Human, quand la beaute du monde rejoint les mots. C'est le film dont je suis le plus fier. Je me considere aussi comme humaniste. On ne peut pas etre ecologiste sans aimer les gens et j'essaye de le demontrer via ma fondation GoodPlanet.

        La beaute d'une photo peut-elle faire bouger les choses ?

        "J'aimerais bien l'idee, mais je n'y crois pas. Le public me parle, en general, de mes beaux paysages mais sans vraiment reflechir au message que je tente de faire passer. En fait, les gens ne veulent pas trop y penser, par peur ou par culpabilite parfois. Moi-meme, je me sens tout le temps partage. Je suis parti recemment dix jours a Tahiti pour y filmer les baleines. Une experience formidable... Mais qui a genere une depense de milliers de litres de fuel. Ai-je le droit de faire ca en tant qu'ecologiste activiste ?"

        Vous considerez-vous, aujourd'hui, comme un photographe ou un realisateur ?
        " Je fais des films de photographe. Je pense avoir le sens de la lumiere et du cadrage, je suis un homme d'images, mais la photo reste ma fonction premiere. Au cinema, j'aime travailler en equipe, participer au montage, a la musique... En photo, on est tout seul.

          Qu'est ce qui est le plus difficile dans la photo contemporaine ?
          " D'en vivre ! Quand j'ai commence dans les annees 80, a mon retour du Kenya, nous etions tres peu de photographes. Aujourd'hui, des milliers de jeunes revent de faire ce metier qui reste le plus beau du monde. La photographie permet de vivre sa passion : la mode, les voyages, la cuisine, le sport... Et elle m'a permis de m'accomplir a travers ma passion initiale pour la nature et les animaux."

          Yann Arthus-Bertrand, Retrospective--40 years of photography. Jusqu'au 22/12/18. www.lmsgallery.be www.yannarthusbertrand.org/fr