Serrurerie d’art, métier de luxe

La maison Vervloet, c’est la quincaillerie grand luxe. De la serrurerie d’art vendue depuis plus de cent ans,un rayonnement international, Moyen Orient en tête, et une ouverture au design... Visite d’une entreprise qui, d’hier, prend le plus beau, pour l’emmener activement vers demain.

PAR Isabelle Plumhans. Photos Lydie Nesvadba sauf mention contraire. |

C'est une ancienne imprimerie, dans une rue pavée à sens unique, derrière le canal de Bruxelles. On y entre par une allée fleurie. Sa large porte franchie, on emprunte un escalier en colimaçon qui emmène à un majestueux showroom.

Ici, plus de 45 000 poignées de porte se montrent dans les hautes vitrines, pièces de bronze ou de laiton, comme autant de traces de l’histoire de l’architecture belge. C’est que la maison est spécialiste de cet objet depuis 1905. Joseph Vervloet, arrière-grand-père de l’actuelle directrice, Isabelle Hamburger, démarre l’affaire. Et ce, en rachetant au fur et à mesure des collections de poignées, neuf en tout, à des sociétés qui ferment boutique.

La maison Vervloet est alors sise chaussée de Wavre. Une maison superbe, qui respirait l’histoire de l’entreprise, nous glisse Isabelle Hamburger, alors qu’elle nous guide des vitrines à l’arrière showroom, caverne d’Ali-Baba de poignées supplémentaires. Mais, au fur et à mesure que la société s’agrandit, rachetant les maisons alentour, la mobilité dans les ateliers se fait difficile, le passage entre les différents lieux peu commode, mal adapté aux pièces parfois imposantes qui sont y créées. Le père d’Isabelle, qui a hérité de la maison familiale, décide alors, début des années 90, de déménager. Pour le confort des artisans, souligne Isabelle. Le déclic ? 

La commande de cages d’ascenseur, qu’il était quasi impossible de déplacer dans les anciens locaux. Désormais, l’entreprise se trouve donc à Molenbeek. Quand on y est arrivé, ce lieu était une poubelle à ciel ouvert, souligne Isabelle. Les architectes en ont tiré le maximum. On s’en rend bien compte quand on le parcourt, du rutilant showroom à l’étage aux vastes ateliers en rez-de-chaussée. Ateliers dans lesquels s’activent avec précision quelque vingt artisans orfèvres. Ils ont de l’or dans les mains, déclare, étoiles dans les yeux, celle qui règne sur ce petit monde.

Esthète du savoir-faire

Et on se surprend à penser qu’elle, c’est dans la tête, dans le sang, qu’elle a de l’or. Elle qui a cette énergie raffinée et intelligente des constructeurs de beau. Elle qui a réussi à insuffler une seconde vie à une entreprise familiale et centenaire, la propulsant dans l’avenir sans se dédire. Sans doute parce que cette entreprise, elle l’a dans les tripes. Elle qui, émerveillée, admirait son voyageur de père, lui qui ouvrit la Maison à l’international. Son père dont elle dit qu’à une époque où internet n’existait pas, c’était lui, notre internet. Son père qui lui fait côtoyer le beau, de musées en expositions, mais aussi en jeux, de ces poignées inventées lors de sortie dans les bois, ou lors d’après-midi récréatives à la maison. Poignées ludiques qui se retrouvaient souvent réalisées et vendues, d’ailleurs.

Son père, pourtant, émettra cette réserve. Comment sa fille, une femme, pourrait se faire à ce monde d’hommes ? Il pense alors notamment au Moyen Orient, client d’avenir. Cette réserve, Isabelle la prend comme un challenge ; aujourd’hui, elle est en charge de l’exportation pour cette partie du monde. Entre autres. Car depuis tout petite, elle sait qu’elle veut reprendre l’entreprise familiale. C’est dans cette optique d’ailleurs qu’elle complète sa formation d’architecture intérieure à Saint-Luc par des cours du soir à l’ICHEC. La préparant ainsi au monde des affaires autant qu’à l’univers du beau. Aujourd’hui, c’est une formation continue en management qu’elle suit. Pour toujours affiner au plus sa gestion des équipes et des projets. Et ancrer  “sa“ Maison dans demain, au plus efficace et intelligent.

Un bébé qui pèse lourd

Il ne faudrait cependant pas croire que les choses furent évidentes, toujours, pour cette héritière de Maison. J’étais une femme dans un monde d’hommes. J’avais moins de trente ans, certains artisans étaient là depuis des dizaines d’années, connaissaient le métier bien mieux que moi. Et ce n’est pas évident d’être la fille de l’ancien patron. Vous devez prouver plus qu’un ou une autre que vous êtes légitime. Alors, elle observe. Passe par tous les services, pour comprendre de l’intérieur comment les choses fonctionnent. Comprendre pour identifier, puis pour dépoussiérer, enfin pour avancer. 

Car le bébé dont elle hérite pèse lourd. Son histoire, ce sont des pièces Art Nouveau et Art Déco qui marquent l’architecture belge, des commandes prestigieuses telles le Residence Palace ou les Palais Royaux. Inscription historique dans le panorama des Beaux-Arts belges qui se prolonge par des collaborations avec des architectes de renoms, dans les années 60, Wabbes, Viérin, Blomme, Keutter. Fin des seventies, c’est enfin l’ouverture à l’international. Mais c’est aussi, aux alentours de 2008, la crise, les commandes qui chutent. Or, voilà à peine trois ans qu’Isabelle est à la tête de la maison. Il m’arrivait d’appeler moi-même notre ligne, pour vérifier qu’elle n’était pas en dérangement, souligne-t-elle, avec le sourire serein de ceux qui sont passés à autre chose. 

Plus classe que classique

Parce qu'au final, ce patrimoine dont elle hérite, l’actuelle directrice a réussi à en explorer, à en exploser les possibles. Ouvrant toujours plus la Maison à l’international, découvrant de nouvelles clientèles – le marché du yachting ou des jets privés sont de celles-là, proposant des collaborations actuelles avec des designers, sur des collections qui se veulent, désormais, lifestyle.

Patères, suspensions, bougeoirs ou plateaux complètent donc aujourd’hui le catalogue. Signés Jean-François D’Or, India Madhavi ou encore Quentin de Coster. En lien avec l’agence Base Design, Isabelle Hamburger a également revu l’identité graphique de la maison, lui offrant un nouveau logo, date de fondation barrée d’un trait stylisé, plus en phase avec l’épure esthétique actuelle que l’ancien dessin de lourd heurtoir.

Mais, dans cette maison d’histoire et de qualité, malgré les évolutions nombreuses, les ouvertures multiples, une chose, une seule ne changera jamais : le savoir-faire unique des artisans qui travaillent dans les ateliers. Et qui, eux seuls, sont responsables de la qualité précieuse des produits délivrés par une Maison plus classe que classique.. 

La petite histoire de l’Histoire

Durant la Seconde Guerre mondiale, pour contourner la réquisition d’acier et afin de préserver la bibliothèque des collections de poignées Vervloet, le grand-père d’Isabelle fait couler les différents modèles dans du béton. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il est possible de recommander à l’identique des poignées dessinées aux débuts de l’entreprise. Dessinées souvent par les ancêtres d’Isabelle, qui a elle-même dû dessiner certains modèles à ses débuts.