Trois créatrices en art textile à connaître

Broderie, parurerie florale... Les techniques d’ornementation ont de l’avenir et ces trois talents participent à leur renouveau.

PAR AGNÈS ZAMBONI. PHOTOS D.R./ @CÉLESTE MOGADOR /@STUDIO JYLSC /@ LAETITIA PAILLE |

Céleste Mogador, brode en mode rock

Sous ce patronyme loufoque se cache Brigitte Nivet Bernetière, une Bretonne résidant à Nantes. Elle a choisi le nom de scène d’une danseuse parisienne qui a lancé le french cancan à La Belle Époque pour donner un grand coup de pied à la tradition. Brodés main, les bijoux de Céleste Mogador, entre grigri et porte-bonheur, puisent leur inspiration dans la culture pop rock anglaise, des Sex Pistols à Vivienne Westwood. Créations graphiques très visuelles, elles sont aussi un clin d’œil au style fantasque et surréaliste d’Elsa Schiaparelli.

"J’ai commencé à broder pour calmer mes angoisses, lorsque j’ai dû stopper ma marque de papeterie et d’accessoires de décoration La Marelle. La broderie a été pour moi comme une thérapie pour canaliser le négatif et le transformer en énergie positive et créative. En montrant mes petites créations à mon entourage et sur les réseaux sociaux, j’ai senti un vrai intérêt et les premières commandes sont arrivées."

En 2016, avec son mari Fabrice, gestionnaire, qui s’occupe désormais de la partie commerciale, logistique et du site internet, elle rebondit et lance sa nouvelle marque de bijoux. Autodidacte et “bidouilleuse” dans l’âme, Brigitte se définit comme une “brodeuse compulsive”. Elle a simplement appris la broderie de façon empirique, en la pratiquant, guidée par son envie, son intuition, sa sensibilité.

"Je ne peux pas parler de ma technique qui mixte perles de verre, d’or japonais et fils de soie, et je ne connais pas les noms des points. Je brode de façon totalement libre et spontanée. Je fais, je défais, je refais pour m’améliorer sans cesse."

Côté style, les couleurs vibrantes et chatoyantes ne sont pas sans rappeler les broderies bretonnes comme la broderie Glazig ou Bigouden. Et Brigitte aime cultiver les collaborations avec d’autres créateurs. Le styliste David Hart lui a notamment commandé une série de broches Hippocampes pour sa collection printemps-été 2019 et quelques pièces de sa collection emblématique sur les yeux. Entre pièces uniques, des heures et des heures de travail, et créations éditées en petites séries, cette touche-à-tout, outre les broches, réalise des sacs, des tapis, des pochettes, des chaussures brodées et même des carreaux ciment...en ciment.

Actuellement, elle termine une pièce unique, une veste de travail façon bleu de chauffe enluminée et rebrodée de motifs de coraux. Le contraste moderne et inédit de la toile authentique et des décors ornementaux luxueux est une pure merveille de créativité !

    À Bruxelles, les créations de Céleste Mogador sont présentées en exclusivité chez Cachemire Coton Soie. (www.cachemirecotonsoie.com et www.celeste-mogador.com)

    Aurélie Lanoiselée défie les techniques et les matières

    Formée à l’École Duperré de Paris, Aurélie Lanoiselée bouleverse les codes de la broderie avec audace et poésie. Lauréate du prestigieux “Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main®” de la fondation Bettencourt Schueller en 2009, cette créatrice d’art textile spécialisée en broderie intervient sur différents types de supports, vêtements ou objets et réadapte les techniques anciennes avec l’apport de nouveaux matériaux.

    C’est avec sa pièce l’Or Bleu, revisitant le bleu de travail version XXL (140 x 65 cm) qu’elle a sacralisé la tenue de l’ouvrier à l’aide de broderies et d’applications et feuilles d’or. "Avec cette création, j’ai souhaité redonner à la couleur bleue son sens originel qui la rapprochait du divin", explique Aurélie Lanoiselée qui a aussi reçu le Grand Prix de la Création de la Ville de Paris, en 2011.

    Dans ses compositions aux matières riches et luxuriantes, elle mélange organza, dentelle, tubes de verre ou de plastique et fait feu de tous les matériaux pour une explosion créative. Interagissant avec des matériaux que l’on n’attend pas, créant également ses propres matériaux, son travail est proche de celui d’une plasticienne ; il surprend et offre une idée inédite de la broderie.

    "Cristaux, perles, raphia, latex, cire... Tout est percé au fil et à l’aiguille sur la même échelle. Il n’y a pas pour moi de matériau plus noble qu’un autre."

    Elle innove aussi dans l’échange avec d’autres artistes. Sa participation à l’œuvre de Clément Cogitore, La Chambre de la Mélancolie, exposée au Palais de Tokyo à Paris, en 2018, dans la création d’un luminaire à base de broderies de crochet et de jouets rebrodés montre sa volonté d’élever la broderie au niveau de l’Art avec un grand A !

    Ses sculptures déclinent toutes les points de broderie et ses collaborations avec la Haute Couture française sont légion. Et ce sont sa participation à un jury et l’organisation des workshops pour les étudiants de la professeure de dentelle et tapisserie Yole Devaux de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, qui lui ont donné envie de tenter une nouvelle aventure en Belgique, après une courte pause pour élever ses deux enfants.

    Alors qu’elle vient de s’installer à Bruxelles et d’intégrer les ateliers de Zaventem créés sous l’impulsion du designer Lionel Jadot, elle souhaite démarrer de nouvelles collaborations avec des créateurs belges. Une affaire à suivre...

    Parures et Objets d’art à porter, jusqu’au 27 octobre 2019 à la Manufacture de Roubaix. Nouvelle saison du Palais de Tokyo à Paris, du 15 octobre au 10 novembre 2019. aurelielanoiselee@gmail.com

    Dorothée Catry réveille l'art délicat de la parurerie florale

    En 2011, Dorothée expose à Bruxelles sa première série de fleurs, Une fleur en soi, une édition numérotée de cent fleurs en soie répertoriée des prénoms de ses acquéreurs. Ses études artistiques de sérigraphie à l’ENSAV de La Cambre et le travail de la couleur l’avaient d’abord entraînée dans l’atelier de costume du théâtre royal de La Monnaie, où elle avait croisé le costumier Jorge Jara qu’elle allait assister dans plusieurs maisons d’opéra internationales pendant plus de dix-neuf ans.

    Plus tard, ce sont sa rencontre déterminante avec la modiste bruxelloise Mireille van den Borne et le rachat de ses outils, reçus tel un héritage, associés à de solides formations, qui lui permettront d’exercer un métier en voie de disparition. Depuis, elle ne cesse d’apprendre avec des maîtres et artisans tels que le parurier et plumassier Dominique Pillard, un des derniers professeurs à enseigner l’art de la parurerie florale au lycée parisien Octave Feuillet, puis avec le spécialiste français de la teinture naturelle Michel Garcia qui l’a initiée à cet art de l’aléatoire et de la chimie appliquée.

    Elle l’expérimente désormais pour recréer les nuances uniques des fleurs. "Avec la teinture naturelle, on rentre dans le domaine du vivant, de la chimie, de l’aventure infinie de la couleur. Rien n’est systématique, on apprend tout le temps. Afin de communiquer la couleur avec mes clientes, et pour préserver le caractère unique des variations de teintes de chaque fleur, je ne pouvais pas utiliser un nuancier classique. Il me fallait donc créer mon propre système de couleurs... ce que j’ai pu faire grâce à l’aide et la complicité de mon autoproclamé “jardinier”, Félix A. D’Haeseleer (ancien professeur titulaire du cours de couleur à La Cambre), et à nos déambulations dans les ouvrages de référence de sa bibliothèque tels que le magnifique Répertoire de couleurs des Fleurs, des Feuillages et des Fruits de la société française des Chrysanthémistes, ou le nuancier du professeur Saccardo. À l’heure actuelle, il a trois jardins : “nuptial“ pour les blancs et blancs colorés, “caché“ pour les tons sombres et “d’agrément“ pour toutes les autres teintes, un système non exhaustif car des fleurs, peut-être plus sauvages, pousseront toujours hors de ces parterres !"

    Telle une œuvre expressionniste, les dégradés subtils des jardins de Dorothée, à travers sa technique personnelle de teinture, révèlent la quintessence de la couleur. Tandis que les noms en latin des couleurs forment des parterres : prasinus, marenostrum, niger, lacteus... corallinus. Dans son atelier au cœur de Bruxelles, à la manière du graveur Piranèse qui signait Piranesi la fatto, sa griffe baptisée Dorothée l’a fait exprime tout le sens du mot savoir-faire. Car Dorothée fait tout de A à Z. Elle teint les soies, les apprête avec de la gélatine, découpe à l’emporte- pièce les pétales, les gaufre avec des fers spéciaux, et les assemble pour former des bijoux, des broches, des peignes, des couronnes, des ornements de coiffure... À sa fleur du moment entre pivoine, chrysanthème et dahlia, il ne manque que le parfum.

    Parures et Objets d’art à porter, jusqu’au 27 octobre 2019 à la Manufacture de Roubaix. Exposition Substance du collectif belge Ateliers Gabriel, dans le show-room de Johanne Riss, les 19, 20 et 21 septembre, rue de la Grosse Tour, Bruxelles.Une installation de ses fleurs en teinture naturelle est aussi prévue, en septembre 2019, dans la boutique Vetro, rue de Flandre, à Bruxelles. www.dorotheelafait.com

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