Un petit bol de sauterelles à la place des chips ?

Voilà déjà quelques années que les grillons, criquets et autres insectes tentent de bondir des pelouses vers nos assiettes, au grand bonheur des défenseurs de la planète. Mais pas de tous les consommateurs, qui rechignent à se laisser séduire par ce genre de petites bêtes. Même en pâte à tartiner ?

par Justine Rossius. Photos DR sauf mention contraire. |

En 2050, nous serons neuf milliards d’êtres humains sur Terre. Et nous avalerons chaque année 36 milliards d’animaux d’élevage, du moins si nous restons alignés sur les chiffres actuels de consommation de viande. Soit, en Belgique, en 2014, pas moins de 57,8 kilos par an et par habitant. Un véritable problème environnemental, quand on sait que produire un kilo de steak de bœuf nécessite pas moins de 15 500 litres d’eau et énormément de place. Les ressources naturelles en viennent à manquer. D’autant que la production mondiale de viande a quintuplé ces cinquante dernières années. Pire, selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’élevage serait responsable de 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Vous l’aurez compris : la viande ne s’inscrit pas dans une alimentation durable. Et d’après la FAO, les insectes comestibles seraient son meilleur substitut. Petit à petit, l’insecte fait son nid Pour produire la même quantité de protéines, le grillon nécessite 300 fois moins d’eau et produit 60 fois moins de gaz à effet de serre que le bœuf, explique Raphaël Dupriez, bio ingénieur et cofondateur de Little Food, la première entreprise belge d’élevage de grillons à destination de l’alimentation humaine. Qui plus est, cette production nécessite beaucoup moins d’espace puisque les grillons sont élevés dans des cages posées à la verticale.

Et puis, ce type d’insecte se consomme dans son intégralité, contrairement au bœuf dont seulement 55 % sont dégustés. D’un point de vue nutritionnel, le grillon fait également mouche, puisqu’il contient trois fois plus de protéines que le bœuf et est bourré de vitamine B, de fer, de fibres et de calcium, poursuit Raphaël Dupriez. Les insectes restent un produit marginal – encore très discrets dans les rayons des supermarchés –, mais les chiffres de Little Food progressent, preuve d’une timide percée du secteur. L’évolution est lente, mais perceptible. Depuis août 2015, nous augmentons nos ventes de grillons séchés de 20 % chaque trimestre confirme le jeune entrepreneur. “ Deux tiers de la planète dégustent déjà des insectes au quotidien. ”

Dans la plupart des pays européens, l’élevage et la commercialisation d’insectes à destination humaine ne sont pas autorisés. En Belgique, l’AFSCA, l’agence pour la sécurité alimentaire, tolère les insectes à destination de l’alimentation humaine explique Damien Huysmans, cofondateur de la société belge Green Kow. L’agence a établi une liste de dix insectes dont l’élevage est autorisé, parmi lesquels on trouve le grillon, le criquet, la sauterelle et le ver de farine, qui sont les plus consommés. La transformation est quant à elle soumise aux mêmes règles d’hygiène imposées aux produits agro-alimentaires.

Aux Pays-Bas et en Angleterre, les insectes à destination de l’alimentation humaine sont autorisés, mais il n’y existe pas de législation en la matière. Dans des pays comme la France ou l’Italie, qui possèdent une culture gastronomique très forte, il existe un réel protectionnisme contre les insectes.

Cachez ces pattes…

Reste que nombreux sont les Belges à toujours sursauter rien qu’à l’idée de croquer dans ce genre de bestiole. Pour le moment, l’insecte n’est pas encore lié au plaisir en Occident, même si deux tiers de la planète en dégustent déjà quotidiennement, reconnaît le chef Sang Hoon Degeimbre. L’homme à la tête du restaurant doublement étoilé L’Air du Temps, à Eghezée, collabore notamment avec la marque Green Kow pour créer de nouvelles préparations. Certes, je ne suis pas encore prêt à franchir le pas dans mes menus gastronomiques, mais l’insecte possède un réel intérêt gustatif. Pour un atelier Culinaria, j’avais créé un plat baptisé ’Curry d’agneau… ou pas’, qui goûtait l’agneau sans contenir un gramme de viande, puisqu’il était composé de ténébrions (des coléoptères, NDLR). Ceux qui ont testé étaient bluffés !

Pour cuisiner les insectes chez soi sans avoir l’impression de passer une épreuve de Koh-Lanta, le chef préconise donc de les mixer. La ganache au chocolat est très simple à préparer : mélangez 370 g de crème à 40 % et 150 g de ténébrions torréfiés à la poêle. Incorporez ensuite cette crème à 450 g de chocolat fondu légèrement amer. Créez l’émulsion avec une spatule. Vous avez là une pâte à tartiner au goût praliné !

Les insectes ont en effet un goût qui rappelle celui des fruits secs, ce qui permet de les cuisiner tant en version sucrée que salée. En pesto, c’est super aussi, s’exclame le chef. Remplacez simplement les pignons de pin par des ténébrions torréfiés.

Vous avez encore du mal, malgré ces conseils, à accueillir un insecte dans votre assiette ? Rappelez-vous qu’il y a quelques années encore, consommer du poisson cru repoussait la moitié des Européens.

Aujourd’hui, tout a changé. Plus un centre urbain sans son bar à sushis, plus un supermarché sans ses produits frais japonais. Preuve que l’insecte a effectivement tous du steak du futur, et pas uniquement dans les fourneaux et les cuisines de bobos intrépides. 

Des chiffres et des ailes

• Les insectes font partie de l’alimentation régulière de plus de 2 milliards d’êtres humains à travers le monde.

• Il existe plus de 2 000 espèces comestibles.

• 100 g de grillons contiennent 63 g de protéines, contre 25 g dans le poulet.

• Le grillon contient 2 fois plus de fer que les épinards.

• Les insectes produisent 99 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins que le bœuf.

• Nous en consommons 500 g par an, sans le savoir, dans nos jus, nos fruits et nos gâteaux.

(Sources : www.fao.org, 2014)