Visite au coeur d'un atelier de moulage

L’atelier de moulage, c’est peut-être le secret le mieux gardé – et le plus émouvant – des Musées Royaux d’Art et d’Histoire. Un lieu à l’atmosphère hors du temps, où l’on recrée des œuvres d’art quotidiennement. La meilleure idée cadeau du moment ?

PAR ISABELLE PLUMHANS. PHOTOS LYDIE NESVADBA. |

Il faut d’abord contourner l’imposant bâtiment principal du Musée, situé au milieu du parc du Cinquantenaire. Arrivé sur le parking du personnel, on aperçoit une porte surmontée d’une petite pancarte : “Atelier de moulage“. Si on n’était pas venu spécialement pour le visiter, pas sûr qu’on l’aurait repéré. Dès l’entrée, on est plongé dans une atmosphère hors du temps. Dans une première salle, plusieurs répliques de statues connues exposées. On pénètre ensuite dans l’atelier proprement dit. L’espace est saturé de poussière blanche et là, un David de Michel- Ange nous toise de ses quatre mètres de haut, alors que quelques personnes aux mains blanchies par le plâtre s’affairent.

L’atelier de moulage des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, ce sont deux salariés travaillant sous la direction d’une directrice des collections, rejoints deux jours par semaine par une dizaine de bénévoles. L’un d’entre eux, passionné et prolixe, nous guide dans notre découverte du lieu et de ses réserves. 

Tout a commencé au XIXe siècle, nous apprend-il pendant que nous circulons dans les couloirs aux étagères remplies du sol au plafond de moules poussiéreux. Le petit musée des plâtres était alors abrité dans l’actuel Palais des Académies à Bruxelles. Un musée né lors de l’Exposition universelle de Paris en 1867, quand quelques grandes institutions muséales européennes décidèrent conjointement de s’envoyer des copies de certaines de leurs œuvres. 

À l’époque, les voyages étant peu évidents, c’était la meilleure manière de faire connaître ces œuvres à un public élargi. C’est ainsi qu’une copie des fonts baptismaux de la collégiale Saint-Barthélemy de Liège a trouvé une place au prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres, par exemple. 

La pièce la plus ancienne copiée ? La Vénus de Willendorf, datant du paléolithique, dont l’original est à Vienne. Le musée des plâtres de Bruxelles a ensuite déménagé dans l’actuel Musée de l’Armée. Pour la petite histoire, ce sont les détenus des prisons de Saint Gilles et de Forest qui y ont transporté les pièces, poursuit notre guide. Le musée en lui-même a fermé dans les années 30, notamment à cause de la démocratisation des voyages et l’augmentation du tourisme. Mais aussi parce que copier des œuvres diminuait leur valeur intrinsèque. Mais en marge de ce musée, l’atelier, lui, a survécu. C’est là qu’on y produisait les copies, à partir d’un moule. Entre 15 et 20 000 parties de ces moules sont aujourd’hui conservés dans les réserves ; ils permettent de reproduire aujourd’hui environ 4000 œuvres. 

Moules et gypse

Sur les étagères, trois types de moules : en gélatine, à pièces, ou en silicone. Celui en gélatine s’élabore à partir d’une chape, copie creuse “en positif” de l’œuvre. Dans cette chape, on perce un trou par lequel on verse la gélatine qui prendra la forme du négatif de l’œuvre, en version souple. Bémol de cette technique: la gélatine est délicate et très sensible à la chaleur. Elle ne peut servir que pour deux ou trois reproductions puisqu’au
fil des utilisations, la précision des détails s’émousse. Le moule à pièces est quant à lui un négatif de l’œuvre constitué de plusieurs pièces qui s’emboîtent, construit sur la copie reçue.  

Le démoulage reste toujours une opération très délicate, nous confie notre guide. Avec cette structure morcelée, il est plus aisé, on ne risque pas de casser le plâtre formé. Mais cette technique a aussi son désavantage : elle produit un plâtre qui présente des coutures, un léger renflement, aux jonctions des différentes pièces. Le travail des bénévoles, qui soignent la finition, est notamment de polir ces coutures. Pas toujours, cependant : dans certains cas, elles sont volontairement conservées, parce qu’elles donnent un certain cachet à la copie. Rodin, par exemple, interdisait qu’on les enlève de ses œuvres copiées. La dernière technique, celle du moule en silicone, est la plus récente. Elle est utilisée pour les copies les plus demandées comme, à Bruxelles, celle du Manneken Pis.

Mais quel que soit le moule, la technique de création est toujours la même. Dans un premier temps, on dilue la poudre de plâtre dans de l’eau. Le plâtre est issu du gypse, une roche qu’on trouve notamment aux environs de Paris. Elle est déshydratée pendant trois heures puis broyée. Avant de travailler le plâtre, on pose une couche protectrice de vaseline sur le moule.

Ensuite, la poudre réhydratée est badigeonnée en une première couche mince, au pinceau, puis recouverte directement d’une toile de jute trempée également dans du plâtre. Cette toile de jute constitue le soutien structurel de la copie. Pour les parties les plus fragiles, comme les doigts ou les accessoires longilignes, on introduit aussi une tige de métal, afin de les renforcer. Une seconde couche de plâtre est enfin enduite par-dessus cette structure. On laisse alors le plâtre prendre – le terme exact est “cristalliser”. 

Une demi-heure à trois quarts d’heure suffisent. Ensuite, on démoule, par morceaux dans le cas du moule à pièces, en décollant avec minutie la gélatine ou le silicone pour les deux autres. L’œuvre est alors exposée dans une pièce réchauffée par un simple radiateur poussé au maximum.

Enfin, reste la question du coloris. Soit on décide de laisser la pièce telle quelle, blanche, ou de la travailler pour reproduire l’aspect initial de la sculpture, pierre ou marbre. Une étape confiée à deux spécialistes qui ont étudié la patine à l’institut supérieur de peintures Van Der Kelen Logelain, à Bruxelles. Bluffant. Mais il peut s’agir aussi d’un rendu plus coloré.

C’est le cas des petites statues océaniennes reproduites dans le cadre de l’actuelle exposition du Musée. Si elles sont disponibles au MuseumShop dans leur couleur d’origine, on peut également y trouver des exemplaires rose pop ou turquoise flashy. Au commanditaire de décider. 

A (re)commander

Parce que la raison d’exister de ces ateliers est double. Commerciale d’abord : ils fournissent le shop du Musée et reçoivent de nombreuses commandes de particuliers désireux de posséder chez eux une copie d’œuvre connue. Des commandes qui constituent 80 pour cent du travail, nous apprend notre guide. Un catalogue des copies possibles existe : certaines sont déjà réalisées, d’autres – souvent plus majestueuses – seulement sur demande. C’est le cas par exemple de la tête du David de Michel-Ange que nous avons pu découvrir en finition dans les ateliers. Il a été commandé par un artiste qui souhaitait l’exposer dans son loft et produit exprès pour lui.  

Le prix de ces envies originales ? Plusieurs milliers d’euros, mais certaines reproductions débutent autour de 100 (voir encadré). Mais l’objectif des ateliers est aussi patrimonial. Parce que l’original de ces milliers de moules a parfois disparu, comme sur le site de Palmyre, en Syrie. Le travail sur ces copies conserve également vive la mémoire d’un savoir-faire ancestral.

Seul le maître mouleur a la connaissance précise du travail à effectuer, sur la technique à adopter pour le démoulage, par exemple. D’autant que certaines pièces sont particulièrement délicates, notamment la série de copies de végétaux présente au Musée – dont les moules originaux étaient réalisés directement sur les fleurs et feuilles. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet art est en effet ultraprécis et technique.

Et puis élaborer une copie, c’est parcourir de la main et de l’outil le travail d’un génie artistique nous glisse notre bénévole, charmé. C’est très émouvant. On se rend vraiment compte de la finesse de leur œuvre. Quand on pense qu’ils ont donné naissance à ces splendeurs à partir d’un bloc de pierre alors que nous, on a déjà parfois du mal à seulement réaliser une copie... 

L'art à la maison

Offrir une copie d’œuvre : une idée à creuser à l’approche des fêtes ! Celles réalisées à l’atelier sont en vente partir de 95 € – voire moins pour les productions disponibles au Museum Shop. Beaucoup sont de stock, mais les plus importantes (bustes, reliefs, statues en pied...) seulement sur commande.

Catalogue disponible à l’atelier, qui se visite par ailleurs gratuitement, et avec un guide les mardis et jeudis.

Atelier de moulage. T. 02 741 72 94, www.kmkg-mrah.be/fr/atelier-de-moulage. Ouvert du mardi au vendredi, de 9h à 12h et de 13h30 à 16h.