4 univers à copier

Ils sont architectes, promoteurs, designers… De Bruxelles à Liège, ces génies de l’espace transforment les lieux communs en mines d’or, capables de nous faire sentir ailleurs comme à la maison. Rencontre avec quatre as de la déco qui ont accepté de nous livrer quelques secrets de fabrication.

Par Justine Rossius et Lauranne Lahaye. Photos DR. |

Diego Carrion, le créateur de tubes

Dans le book de Diego Carrion - à la tête du studio de design intérieur Disorder (créé avec Cécile Grosjean)-, on trouve certains des lieux les plus convoités de la capitale, dont Kamo, un restaurant japonais haute voltige, Privejoke, magasin de fringues hype, ou le Jalousy, bar à cocktail privé du Sablon. Très peu de points communs entre les trois décors, car — et c’est d’une logique implacable pour l’architecte de 46 ans, formé à Saint-Luc — ce sont les lieux et les clients qui créent le projet, qui inspirent une idée du style.

S’il existe un style Diego Carrion ? Pas vraiment, non, il n’y a pas de codes que j’appliquerais invariablement dans mes réalisations. Spécialiste en design d’intérieur, ce Bruxellois d’adoption est aussi un fou de nourriture qui, pour faire de deux passions l’une, a créé King Kong en 2014, une cantine péruvienne qui fait honneur à son pays d’origine. Probablement ma réalisation la plus humble et la moins coûteuse, mais qui hérite du plus beau rendu par rapport aux moyens investis.

S’il a le chic pour transformer des lieux anonymes en bestsellers — le Colonel, antre du bon bœuf est une autre de ses places-to-be — c’est parce qu’il ne cesse jamais de s’inspirer, de ses voyages majoritairement, et qu’il s’inscrit dans une démarche d’ouverture constante. Je n’ai pas de réponse préétablie à un problème. Je regarde chaque projet avec un regard neuf, pour trouver la solution la plus adaptée.

3 clés pour l’imiter

Oubliez le copier-coller. Ce qui prime, c’est le contexte. Il faut considérer le lieu en tant que tel, son agencement, ses points de lumière, et déterminer ce qu’on veut y faire. C’est le point de départ du projet. Mieux que de reproduire une maison Pinterest, inspirez-vous d’abord de ce que l’endroit vous offre.

Mélangez les genres. L’architecte ne met pas de véto sur les marques de déco mainstream — Zara Home, La Redoute et consœurs — pour autant que les objets qu’on y glane apportent une réelle valeur ajoutée à la décoration générale et s’intègrent dans un ensemble cohérent.

Ne lésinez pas sur le confort. Parce que le confort, c’est le vrai luxe ! Faut-il dépenser des fortunes pour réaliser quelque chose de beau ? Pas forcément, dit le pro, mais pour faire du confortable et du durable, il faudra forcément miser sur des matériaux de qualité.

Les 2 objets à s’offrir

Table MÖRBYLÅNGA en bois avec couche supérieure en bois massif, Ikea, 599 €.
Canapé Tactile en cuir, Baxter, prix sur demande.

Kevin Bona, l’étoile montante du paysage liégeois

Depuis cinq ans, Liège frétille au rythme de l’ouverture de petits commerces indépendants et trendy, qui viennent dynamiser des artères délaissées comme la rue Charles Magnette ou celle de la Casquette. Derrière cette métamorphose s’épanouit Label5.9, un studio créatif offrant un service allant de l’architecture d’intérieur au design mobilier. À seulement 28 ans, son créateur, Kevin Bona, a déjà tout d’un grand.

Après des études à L’École Supérieure des Arts de la Ville de Liège, le jeune prodige met le cap sur New York pour faire ses armes dans plusieurs cabinets d’architecture et se nourrir du feu créatif de la city, qu’il insufflera par la suite dans la Cité ardente. Liège avait un train de retard en matière d’architecture et manquait encore d’endroits décalés, relève-t-il avec l’engouement, l’énergie et l’audace d’un artiste en début de carrière. Tout reste encore à faire et c’est terriblement grisant !

En quelques années, Kevin Bona s’est déjà fait un nom dans le paysage du design, enchaînant projet sur projet ; il est l’homme derrière l’élégante Madame Boverie, sandwicherie du Musée du même nom, la conviviale Brasserie C et le cosy bar à yaourts Frozen. Des lieux résolument cool.

3 clés pour l’imiter

Mêlez mobilier moderne et chiné pour gagner en authenticité. Visitez les brocantes — le designer adore celles de Maastricht et de Saint-Pholien — pour dénicher des éléments qui racontent une histoire. L’erreur est souvent d’acquérir une imitation d’une pièce design. Mieux vaut patienter plutôt que de se ruer sur la première copie qui se présente sur votre chemin.

Misez sur le vert. La signature de Kevin Bona se dessine aussi à coup de plantes grasses, éléments vivants qui se glissent aux quatre coins de ses réalisations, selon une réflexion consciencieuse sur leur emplacement et leur soif de lumière. Le jeune architecte affectionne les ficus, mais aussi les monsteras, ces plantes aux feuilles éléphantesques.

Multipliez les points de lumière, en évitant de baser toute la luminosité de la pièce sur des spots encastrés. Favorisez plutôt les sources indirectes en associant plusieurs luminaires d’intensité différente.

Les 2 objets à s'offrir

Applique 265 en noir, FLOS, à partir de 705 €.
Afternoon Chair en cognac, Menu, à partir de 235 €.

Frédéric Nicolay, le roi de l’horeca bruxellois

Tout Bruxellois qui se respecte a déjà posé les pieds dans un établissement imaginé par Frédéric Nicolay, cet électron libre, père de famille, qui n’aime pas les étiquettes, mais qui, à la limite, veut bien se définir comme créateur de lieux où l’on se sent bien. Celui qui repère mieux que quiconque les endroits à haut potentiel détient à son actif une liste aussi longue qu’un soir d’été, passé à la terrasse d’un de ses cafés : notamment le célèbre Belga, place Flagey, le Roi des Belges du quartier Saint-Géry, ou le Bar du Matin à Forest. Des places-to-be mêlant une population cosmopolite, où l’on se restaure à la bonne franquette et où l’on refait le monde, bière à la main.

Ce self-made-man aménage des endroits aux quatre coins de la ville, dans des zones oubliées surtout, comme aux abords du Canal ou de la Porte de Hal, là où le prix au mètre carré reste raisonnable. Son dernier royaume ? Le Grand Central, un espace majestueux de 600 m2 sis au bas de la rue Belliard, pour que ce ne soit plus le public du quartier européen qui se déplace à Flagey, mais l’inverse. Car c’est bien là que réside sa singularité : Frédéric Nicolay secoue les quartiers comme un mixologiste urbain, étire son centre par tous les côtés.

J’aime créer des phares, confie-t-il. Des points de chute, comme le Flamingo, bar branché planté au milieu d’un quartier assombri par la prostitution. Et pour trouver l’inspiration, il parcourt le monde : m’extirper du train-train quotidien m’aide à porter un regard neuf sur ce qui m’entoure. En voyage, c’est comme si mes yeux fonctionnaient à nouveau.

3 clés pour l’imiter

Osez l’industriel. Si toutes ses réalisations ont un style propre, Frédéric Nicolay témoigne d’un attrait pour le style industriel, percevable notamment dans les escaliers métalliques steampunk du Grand Central. Un style qui n’est pas uniquement réservé aux lofts citadins, l’ambiance pouvant être instaurée chez soi en privilégiant le métal et le bois, les lignes strictes et les coloris neutres.

Ne suivez pas les modes. Le créateur est catégorique, les tendances nuisent à la décoration. À trop vouloir suivre les modes, nous finissons par perdre notre propre style. Votre intérieur sera donc un melting-pot d’objets de tous les genres, qui vous ressemblent réellement.

Faites dans le sentiment. Chez Nicolay, la décoration est intimement liée aux émotions, l’important étant d’entretenir un rapport d’affection avec les meubles et les bibelots qui habillent notre intérieur. Ma femme a acheté un lit chez Ikea pour notre fils. Au début, je me suis dit que ça allait être très vilain, avant de comprendre que ce qui comptait, c’était que notre fils en ait envie !

L' objet à s’offrir

Table basse industrielle en bois et acier, Pure Wood Design, à partir de 395 €.

Lionel Jadot, le maître de la récup'

Connu pour son travail d’exception au Jam Hotel ou la réalisation du glacier artisanal Gaston, à Bruxelles, Lionel Jadot est un passionné, un instinctif, tombé dans le chaudron de la décoration à sa naissance. L’architecte a fait ses premiers pas dans l’atelier familial de garnissage et de fabrication de sièges, et conçoit, à l’âge de 6 ans déjà, son premier tabouret et des châteaux-forts à base de chutes de bois.

Depuis, il n’a jamais cessé de créer, conservant ce besoin de jouer avec les objets, de triturer la matière, de patiner les matériaux. Je n’aime pas les décors préfabriqués. J’ai besoin d’enlever les couches pour retrouver l’essence même d’un lieu, confie-t-il, tout en revendiquant son attrait pour la récupération. Je conserve tout, même ce que j’abîme, pour l’intégrer plus tard à des réalisations. Mais où cet homme, qui coule des morceaux de moto dans du béton en guise de comptoir, puise-t-il son inspiration ?

Partout, sauf dans les catalogues de déco. Mon cerveau est un gigantesque cocktail à idées. J’ai une mémoire visuelle très forte, je glane des éléments et les conserve dans un coin de ma tête. Des éléments d’époques diverses qu’il conjugue et enchâsse à l’infini, quitte à créer des accidents visuels. J’ai conçu les luminaires du restaurant du Jam Hôtel en partant d’une image que j’avais vue il y a quelques années, mettant en scène des paysans qui transportaient des cactus d’Arizona en les entourant de matelas et de cordes. De nouveaux codes non formatés, mais aussi de nouvelles histoires car c’est là son interrogation permanente : que devient le lieu que nous habitons ?

3 clés pour l’imiter

Jouez avec les matériaux, pour révéler plus de profondeur et attirer la lumière. Ne craignez pas d’abîmer un marbre ou un bois trop lisse et brillant. Assemblez des matériaux bruts à d’autres plus lisses, pour qu’ils se mettent l’un l’autre en valeur.

Personnalisez du vieux mobilier. Prenez le temps de rentrer dans des boutiques de bricolage, achetez des bombes de peinture pour relooker une vieille table récupérée dans un vide-grenier. Faites-vous confiance et osez créer des accidents, conseille le prince de la récup ‘.

Jouez sur les perspectives, en ouvrant les espaces, notamment en installant des portes vitrées, en créant des ouvertures dans les murs pour récupérer de la lumière. Vous pouvez également tricher sur la perspective en composant un mur de miroirs.

Les 2 objets à s’offrir

Lampe de table en marbre et plaqué or, Bloomingville, 199 €.
Miroir en bois, Zuiver, à partir de 79 €.