Ce que le confinement a appris aux designers

La maison et tous nos lieux de vie et de travail sont devenus un enjeu majeur pour réorganiser les activités privées ou professionnelles. Trois créateurs d’espace nous confient leur vision sur le design et l’architecte de demain. 

Propos recueillis par Agnès Zamboni, photos DR |

Caroline Notté, architecte d’intérieur 

« A la maison comme au bureau, les fonctions sont les mêmes et s’entrecroisent. »
 

Qu’avez-vous fait pendant le confinement ?
Au début de la crise de la COVID 19, je suis restée chez moi. J’ai mis mes dossiers professionnels de côté, et j’ai soigné mon espace intérieur. Pendant le confinement, j’ai continué mon métier en offrant gratuitement des conseils sur internet, dans le cadre de newsletters. J’ai échangé avec des personnes très intéressantes et j’ai enrichi ma réflexion. J’ai répondu à des interviews dans la presse et à la radio pour aider les gens à redéfinir un espace et y trouver le calme. Il y a des astuces simples pour s’isoler et absorber le bruit, se barricader avec des livres, suspendre un tapis, installer des photos, utiliser des huiles essentielles… et surtout s’entourer d’objets rassurants qui font du bien. 

Ce repli sur soi a-t-il changé votre vision de l’architecture et du design ? 
Depuis un certain temps, mes activités dans le secteur du résidentiel ont glissé vers celui du bureau. Et j’ai constaté qu’il y a peu de différences entre un lieu de vie privé et un espace de travail. Un bureau doit être confortable et agréable pour être performant. Pour cela, je travaille sur les 5 sens. Au travail comme dans un espace domestique, on est assis, debout ou couché. Beaucoup d’entreprises et d’espaces de coworking proposent des cours de yoga, des séances de méditation, des espaces pour des micro-siestes. Pendant cette crise, on a beaucoup parlé du télétravail, mais je crois qu’il faudrait idéalement conjuguer télétravail et bureau à l’extérieur, pour ne pas perdre le contact avec les autres. 

Cette parenthèse va-t-elle influencer l’univers de la maison ?  
Désormais, je refuse le gaspillage de matériaux mais aussi la perte de temps ; je m’intéresse de plus en plus à l’upcycling et au détournement d’objets. Je privilégie le retour aux sources avec des artisans locaux, plutôt que d’aller chercher des fournitures et matières premières au bout du monde. En réapprenant à savourer l’instant, à écouter les autres, on comprend que la vie est la chose la plus importante. Lâcher prise et ne pas prendre tout au sérieux, faire confiance à la vie, laisser parler son cœur… toutes ces réflexions vont nourrir mes relations futures avec mes clients qui parfois passent trop de temps à choisir une simple chaise. La nature nous montre l’exemple. Et si on n’a pas de jardin, on peut s’offrir une plante. J’ai aussi réfléchi sur des idées dans le domaine de la table car le temps des repas a repris une place de premier choix dans notre existence (carolinenotte.com). 

Lionel Jadot, designer

« Nous sommes arrivés à un moment passionnant où les certitudes tombent ».  

Qu'avez-vous fait pendant le confinement ? 
Cette période d’arrêt a été très prolifique d’un point de vue créatif, j’ai pu me recentrer, prendre du recul et aller au bout de mes idées. J’ai travaillé pour préparer deux expositions qui étaient déjà prévues de longue date : Enthrone Déthrone 02, à la galerie anversoise Everyday et Les Ignorants à la galerie bruxelloise Spazio Nobile. Les autres projets (hôtels, restaurants…) ont pris du retard et ont dû évolué. L ‘aménagement d’une salle de boxe a été stoppé. Les ateliers en sous-traitance, avec lesquels je travaille habituellement étant fermés, j’ai du fabriquer beaucoup de choses moi-même.

Ce repli sur soi a-t-il changé votre vision du design et de l'architecture ? 
Nous sommes tous dans l’incertitude. Les Ignorants, c’est le nom de l’exposition actuelle que j’ai imaginé avec d’autres artistes et le photographe Serge Leblon. L’arte povera, le recyclage, le surcyclage et le ready-made s’y rencontrent avec des éléments modulables … Je me suis déjà engagé dans un projet d’hôtel, où, à l’utilisation de matériaux recyclés, va s’ajouter la réutilisation des déchets produits, lors de ce nouveau chantier, dans de futures réalisations. Même si on n’y arrive pas à 100 %, il faut bien s’y mettre… Nous allons imaginer des architectures comme des puzzles avec des éléments qui se démontent et se remontent, des jeux d’assemblage.  

Cette parenthèse va-t-elle influencer favorablement l'univers de la maison ?
Nous nous dirigeons vers une mutation des espaces et des aménagements d’une plus grande flexibilité. Les lieux n’auront plus une fonction fixée et déterminée mais il faudra leur inventer plusieurs vies. Les hôtels qui sont actuellement occupés à seulement 25 % de leur capacité recherchent de nouvelles options pour sortir du mono usage. Le mobilier doit être repliable pour laisser la place à d’autres activités. Par exemple, les chambres peuvent se transformer en salons d’acupuncture ou de soins, en salles de restaurants pour dîner avec ses amis et rester dans une bulle sociale sans cotoyer des inconnus. L’architecture devient un couteau suisse.

Les grands investisseurs ont pris déjà conscience de construire de façon plus durable et avec intelligence, c’est-à-dire de dépenser plus en amont pour créer des projets qui ont du sens et qui peuvent s’adapter à d’autres situations et éventuelles pandémies. 
Exposition Les Ignorants, Lionel Jadot & Serge Leblon, à la galerie Spazio Nobile de Bruxelles, jusqu’au 8 novembre 2020 (spazionobile.com, lioneljadot.com)  

Charly Wittock architecte de l’agence AWAA

« L’architecture doit être évolutive et se baser sur des échanges profonds ». 

Qu'avez-vous fait pendant le confinement ?  
Pendant ces deux mois de confinement, notre bureau, AWAA architects, a décidé de mettre à profit cette « parenthèse » pour explorer des pistes conceptuelles afin de répondre aux nouvelles conditions de vie bousculées par le confinement et les pandémies à venir. Pour ce faire, nous avons travaillé sur un de nos projets en cours qui a été mis en « standby » : un nouveau bâtiment qui abritera les espaces communs, les «sociale ruimtes», de la Brasserie Duvel Moortgat à Puurs en Belgique. De cet exercice est ressortie une table qui questionne la distanciation sociale.

Ce repli sur soi a-t-il changé votre vision du design et de l'architecture ? 
Notre table baptisée C-19 est le produit d’une réflexion plus générale sur notre environnement et notre manière de le vivre. A travers le design, nous avons trouvé des solutions pour redéfinir l’architecture de demain. Cette architecture devra permettre aux utilisateurs de gérer le temps et l’espace différemment. Le temps devra être organisé de manière plus rigoureuse, l’espace devra permettre plus d’adaptabilité pour donner l’occasion d’interagir en expérimentant tant la convivialité que la distanciation sociale.

Cette parenthèse va-t-elle influencer favorablement l'univers de la maison ?
Indéniablement, la maison doit pouvoir également s’adapter à différents types d’utilisations. Elle restera le lieu de réunion pour la famille mais devra également offrir un lieu d’isolement pour pouvoir travailler de chez soi en toute tranquillité. La maison de demain sera créée pour pouvoir être utilisée de différentes manières pour répondre aux différentes situations de proximité ou d’éloignement.  Cette question de la distanciation amène naturellement la question du rapprochement. Une table doit permettre d’être plus proche par instant en offrant des espaces concaves dans lesquels on pénètre.

La maison aussi où l’on parle tant de connectivité électronique nous ramène aux valeurs de partage et d’attention avec nos proches. On peut déjà constater que le rapport à la « propriété » change chez les jeunes.  Le co-voiturage, co-working, le co-housing deviennent de plus en plus populaires. L’architecture privée va muter également dans ce sens. Le recyclage est présent partout et doit évoluer également dans la construction. Beaucoup de bâtiments vont changer de vocation. Et par conséquent, les législations vont devoir évoluer, s’assouplir pour permettre de telles métamorphoses (awaa.biz, shop-ernest.com)

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