Dans les coulisses de l'hôpital des faucons d'Abu Dhabi

C’est le plus grand hôpital pour faucons au monde. On y soigne, on y opère 24 heures sur 24 des rapaces venus de tout le Golfe arabique dans un incroyable confort. Car aux Émirats arabes unis, cet animal est un véritable membre de la famille.

Par Yetty Hagendorf. Photos D.R. |

Une large salle d’attente… À nos côtés, un faucon. Sagement posé, pas attaché, il est le premier patient de la journée. Son maître, debout au guichet, à quelques mètres de là, explique à l’infirmier les symptômes dont souffre son volatile. Nous sommes à 50 kilomètres du centre-ville d’Abu Dhabi, le plus riche, le plus grand et le plus peuplé des sept Émirats arabes unis. Il y a 60 ans, le paysage n’était que sable, peuplé de Bédouins qui survivaient dans le désert avec cet animal pour seul allié. Le faucon avait en effet la lourde de tâche de chasser pour nourrir tous les membres de la famille.

À la différence de l’Europe, où le rapace a longtemps été l’apanage de la noblesse ou de la royauté, le faucon fait partie de la vie quotidienne aux Émirats. Il possède son fauteuil dans la voiture, son espace dans la maison, son nid dans la chambre parentale. C’est le seul animal autorisé à voyager en avion sans être emprisonné dans une cage. Le seul aussi à disposer d’un passeport, identique à ceux des hommes, avec sa race, son sexe, son pays d’origine, son niveau de protection et les tampons des pays visités. Un document indispensable pour les fauconniers qui voyagent avec leurs protégés dans les déserts du Pakistan, du Maroc, du Kazakhstan ou de l’Ouzbékistan pour leur permettre de chasser. Cette activité est en effet interdite aux Émirats arabes unis, qui ont ratifié la convention sur le commerce international des espèces de faune. Il n’est donc pas rare de prendre un vol Abu Dhabi-Islamabad avec un faucon comme voisin de siège !

Dangereux pour ses semblables 

À l’hôpital des faucons d’Abu Dhabi, on en croise des dizaines en liberté. Le plus souvent, la tête couverte d’un petit chapeau de couleur qui leur dissimule les yeux, afin d’éviter les accidents. Car le faucon peut se révéler très dangereux pour ses semblables. S’il n’a pas fait leur connaissance au préalable, il est capable de les dévorer tout entier ! C’est d’ailleurs le seul oiseau qui ne tue qu’avec le bec, jamais avec les pattes. Et s’il ne dépasse pas les deux kilos, il peut s’attaquer à des proies six fois plus imposantes que lui. 

Quelques 11500 patients ailés se pressent chaque année dans les couloirs de cette institution médicale, propriété du gouvernement. Ils sont reçus avec égard et simplicité dans un confort digne de nos meilleurs hôpitaux. Même en pleine nuit : le bloc opératoire fonctionne sans répit. Heureusement, depuis que le Dr Margit Gabriele Muller propose un examen de routine deux fois par an, les urgences se raréfient. Petit bout de femme tout en énergie, cette vétérinaire de nationalité allemande est arrivée aux Émirats en 2001 pour ce qui devait n’être qu’un contrat d’un an. 

Les débuts n’ont pas été faciles : être une femme, convaincre que j’applique les bons traitements, acquérir la confiance, tout cela a été très long témoigne la directrice. Plus d’une fois, elle a pensé abandonner. À présent, elle en rit. Car les Émiratis ne jurent plus que par ses soins. Le Sheikh Mohamed Bin Zayed Al Nahyane, prince héritier d’Abu Dhabi, lui a remis en 2008 la médaille de l’Émirat pour son travail et ses recherches au sein de l’hôpital. Celui-ci comptait à son arrivée 20 employés contre 114 aujourd’hui, de seize nationalités, de différentes cultures et religions.

Dans les couloirs, vêtus d’un tablier bleu, les vétérinaires s’affairent en silence. L’un d’eux glisse un masque transparent sur la tête du faucon, puis le gaz anesthésiant agit en quelques secondes, l’animal ne bouge plus. Couché sur le dos, ailes écartées, il est prêt pour l’examen. On lui prélève du sang à l’aide d’une aiguille plantée dans le creux d’une aile. Puis on lui égalise les ongles à l’aide d’un petit limeur électrique. Enfin, on pratique une endoscopie. L’ouïe, la vue, le nez, l’intérieur du bec sont vérifiés… 

Ces contrôles permettent de détecter une anémie, une infection, une bactérie… Mais surtout de faire de la prévention. Grâce à eux, l’espérance de vie des faucons, qui était de 12 à 15 ans, est passée à 18-20 ans explique le Dr Margit dans un français parfait. Coût du check-up : 150 €. Fervente partisane de la phytothérapie et de l’homéopathie, comme de nombreux Allemands, elle a convaincu les plus sceptiques des fauconniers de la laisser user de cette approche pour traiter les maladies du rein, du foie, etc. Avec les faucons, l’effet placebo n’existe pas ! En trois semaines, on voit les résultats.

Entre 5 000 et 70 000 € par spécimen

Étendu sur un vaste périmètre, planté d’une jolie végétation artificiellement arrosée, l’hôpital se charge aussi d’héberger les volatiles pendant la mue. Pour un peu moins de 1000 € et sur une période qui, tous les ans, couvre près de six mois, les faucons sont logés dans de luxueuses et larges volières, entraînés sous d’imposants chapiteaux, traités comme des rois. La mue est un moment délicat, explique le Dr Margit, quand la nouvelle plume commence à pousser, elle est fortement irriguée et si, par malheur, elle se brise, l’hémorragie peut être fatale.

Parce qu’ils sont en voie de disparition, les faucons émiratis sont tous des animaux d’élevage provenant pour la plupart de fermes européennes (France, Allemagne, Angleterre, Espagne…), même si des centres de reproduction locaux émergent ici et là. Trois races sont particulièrement appréciées : le pèlerin, le plus léger mais aussi le plus rapide (il peut atteindre 300 km/h), le faucon sacre, emblème des Émirats et capable de tuer une gazelle, et le gerfaut, le plus grand, le plus fort, originaire de Sibérie. Les fauconniers achètent surtout les femelles, plus grandes, plus fortes et meilleures chasseuses.

Leur prix? Il varie et 5 000 à 70000 €, selon le pedigree de l’animal. Un parent robuste ou un croisement pèlerin-gerfaut, qui allierait donc vitesse et force, peut faire flamber le cours. Mais le plus étonnant reste la relation entre l’homme et l’animal. Ce dernier reconnaît son maître entre mille, d’autant mieux qu’il peut voir à plusieurs kilomètres. Il réclame des caresses, saute de joie et pas seulement quand il est bien nourri. Il peut vraiment être affectueux, note le Dr Margit, mais comme chez les humains, il y a les généreux, les râleurs et les jaloux !

Une visite à l'hôpital

Afin de sensibiliser le public à la cause des faucons, l’hôpital organise des visites en petits groupes, d’une durée de 2 ou 3 heures. Extraordinaire occasion de découvrir une des cliniques vétérinaires parmi les plus étranges du monde. Du dimanche au jeudi, à partir de 40 € par adulte et 14 € par enfant.

www.falconhospital.com

Comment s’y rendre ?

Emirates propose deux vols quotidiens vers Dubai, depuis Bruxelles en trois classes : économie, business et première. Ces deux dernières bénéficient d’un service limousine pour l’aéroport au départ comme à l’arrivée. De Dubai vers Abu Dhabi, deux possibilités : taxi (75 €) ou bus (5 €). Le trajet est d’environ une heure trente.

www.emirates.be

Où loger ?

Hotel Dusit Thani Abu Dhabi. Chambres spacieuses (42m²) et confortables pour deux personnes avec petits-déjeuners à partir de 98 €.