Dans les coulisses du Bocuse d'or

Le Bocuse d’or, c’est ce concours culinaire international, compétition à la fois sportive, intellectuelle, artisanale et artistique, qui se prépare des mois à l’avance. On a assisté à l’entraînement du candidat belge à Harelbeke, qui représentera la Belgique lors de la finale européenne du Bocuse d'Or à Turin lundi et mardi prochains.

PAR CARLO DE PASCALE. PHOTOS D.R. |

Entre sélections et finales par zones géographiques (à l’échelle de la planète), la compétition du Bocuse d’or, concours culinaire international imaginé par le regretté Paul Bocuse, se déroule sur deux ans. L’exercice est le même à tous les étages du concours : chaque chef candidat et son commis doivent en 5h35 et sans préparation préalable, réaliser une entrée dressée à l’assiette et un plat présenté, d’abord sur plateau avec ses garnitures, et ensuite à l’assiette. 5h35 ? Ça a l’air facile, sauf que le niveau de sophistication exigé dépasse tout ce que l’on connaît habituellement, même dans les restaurants les plus étoilés.

En novembre 2017, la Belgique choisissait son représentant : Lode De Roover, 34 ans, chef propriétaire du restaurant Fleur de Lin à Zele, qui espère bien faire partie des 24 jeunes chefs du monde entier qui s’affronteront à Lyon en janvier 2019. Mais avant cela, il faudra passer l’épreuve de la sélection européenne, ce 11 juin à Turin, et pour laquelle Lode s’entraîne comme un forçat de la découpe, de la cuisson, de la gestion du timing, du dressage et, on allait l’oublier, du goût ! 

Cette compétition, c’est une véritable course en duo (chef et commis, ici le jeune Piet Van de Casteele), un sprint d’endurance. Le chef nous confiera qu’il faut partir très vite sur la première heure, pour atteindre une vitesse de croisière constante et élevée pendant le reste de la mise en place. Comprenons-nous bien: le Bocuse d’Or, ce n’est pas juste un chef qui proposerait son meilleur plat en dégustation à un jury d’experts, c’est une compétition avec ses propres règles, parfois bien éloignées du simple plaisir gustatif du mangeur. C’est, à chaque niveau de la compétition, une vraie performance sportive et intellectuelle. 

Nous voilà à Harelbeke, le camp d’entraînement du candidat belge, invités privilégiés par Nespresso, un des sponsors du concours. Nous sommes vendredi 1er juin, et Lode et son commis sont exactement dans les mêmes conditions que celles qu’ils rencontreront à Turin. Leur espace de travail, le bruit, une musique qui fracasse les oreilles et envahit l’espace et, nécessaire contrepoint de ce tableau anxiogène, la présence bienveillante du coach Jo Nellissen, qui veille sur le chef et...sur une batterie de trente minuteries.

On se croirait dans un film, entre Die Hard et Brazil. Quand nous arrivons, le chronomètre indique qu’il reste deux heures avant l’envoi de la première assiette. Nous trouvons un Lode De Roover tendu, concentré, nous n’aurons rien de plus qu’un bref Goeienavond, car chaque dixième de seconde compte. 

Castelmagno et Fassone

Le menu est secret, il ne sera dévoilé officiellement que lundi 11 juin, mais les thèmes sont connus. L’entrée doit mettre en scène au moins le castelmagno (sublime fromage à pâte dure piémontais), de l’œuf et un produit de terroir belge. Ce sera l’asperge. Contrainte supplémentaire, l’entrée doit compter au moins 50 % de légumes. Le plat, lui, doit – entre autres diktats – reprendre une race de taurillon piémontais, le fassone et le riz de la plaine du Pô.

Le décor est campé, il ne nous reste plus qu’à regarder Lode et Piet s’activer, sans jamais ni courir ni s’énerver. Pourtant, on sent leurs muscles tendus, leurs neurones mobilisés à 120 %. J’arrive à distraire quelques instants Jo Nelissen, le coach; dans le civil, professeur d’école hôtelière et actuellement consultant pour Horeca Vlaanderen. 

Il me confie que La Région flamande a mis le paquet pour que cette participation soit un succès. Car, pour briller à cette compétition où les places d’honneur sont trustées depuis quelques années par les pays du nord de l’Europe, il faut du temps, et le temps, on sait, c’est de l’argent. De la part du chef, Lode, c’est aussi un investissement énorme. Depuis janvier, il a confié les rênes de la cuisine de son restaurant à son second et il s’entraîne bien plus qu’à temps plein.

Cette véritable machine de guerre n’est clairement pas là pour faire de la figuration, et on ne serait pas étonné si Lode De Roover devait marcher sur les traces de Roland Debuyst, chef multitalents et dernier Belge à avoir remporté un Bocuse d’argent... en 1997. Mais on n’en est pas là, nous sommes toujours à Harelbeke, et Lode commence le dressage. L’exercice impose de dresser 15 assiettes, et il y a bien plus de dix interventions par assiette, la tension monte encore d’un cran. 

Vient le moment de la dégustation. Il y embargo sur les plats jusqu’au 11 juin, ce qui explique que nous ne vous donnons pas de détails, mais l’entrée est en plein dans la thématique, même si quelques imperfections subsistent. En inspecteur des travaux finis, nous nous enhardissons à en faire part à Jo, qui reconnaît volontiers qu’il reste encore un peu de travail pour perfectionner une croquette ambitieuse dont nous tairons la composition. 

C’est reparti. Lode et Piet disposent maintenant d’une heure pour mettre en scène un plateau. Ce véritable exercice de style implique par essence un peu de “kitscherie”, mais le travail est impressionnant. À peine le temps de le présenter, que Lode repart pour le démonter et dresser les assiettes. Là, ça tiraille un peu, Lode donne des instructions, change d’avis, déplace la pièce de viande, se ravise, recommence une assiette, respire, décide et, finalement, donne le signal de l’envoi.

En bouche ? Il faut bien le dire, il y a une sophistication technique extrême, qui forcément enlève de la spontanéité au plat, mais il y a aussi des pépites de saveurs intenses dans la mosaïque de préparations qui composent l’assiette. Une expérience totale, visuelle ET gustative! 

Pas stressé, juste concentré

Lode souffle enfin. Nous le retrouvons avec Piet en train de goûter l’air frais d’Harelbeke après six heures de sprint, et le voyons sourire pour la première fois. Il se confie : J’ai toujours apprécié les concours culinaires, j’ai gagné le Prosper Montagné (championnat de Belgique de la cuisine, ndlr) en 2016, j’ai ensuite coaché mon successeur à la même compétition. J’aime cet exercice, certes loin du quotidien de mon restaurant, mais qui m’apporte beaucoup, et me fait progresser dans le niveau de cuisine que je peux offrir à mes clients. Sur la tension pendant la performance, Lode tempère : Je ne suis pas stressé quand je suis dans l’action, juste très concentré. Je sais que je le fais pour moi, mais aussi pour le retour que ça peut donner en termes de notoriété pour notre travail à tous...

Dank U Lode voor het gesprek, en beste wensen voor u volgende challenge in Torino !

www.bocusedor.com, www.bocusedor.be