Dans les coulisses d’un atelier d’horlogerie

Une montre est bien davantage qu’un accessoire de mode, car l’horlogerie est un savoir-faire, et un travail de précision qui nécessite un talent particulier. Incursion au cœur d’un atelier d’horlogerie bruxellois. 

Par Ingrid Van Langhendonck. Photos D.R. |

Une passion née de l’enfance

Gilles Clavareau est né à Bruxelles et il est passionné d’horlogerie depuis qu’il a douze ans. « Comme plein de gosses, j’étais un passionné de train électrique, qui est aussi une discipline de précision, où la mécanique et l’esthétique sont d’égale importance. Or, mon train était monté chez ma grand-mère, dans une maison remplie d’objets et de souvenirs de toutes sortes. Petit, j’avais le droit d’ouvrir tous les tiroirs et de jouer avec tout, sauf avec les montres et les pendules. Quoi de plus efficace qu’une interdiction pour éveiller la curiosité d’un enfant et fait naître une vocation… J’ai commencé en collectionnant des réveils, chinés en brocante, et de fil en aiguille, ce monde s’est imposé à moi comme une évidence... Je savais ce que je voulais faire. » 

Une formation sur le terrain

A l'âge de 16 ans, Gilles part suivre une formation dans une école d'horlogerie en France. Pourquoi la France ? Gilles Clavareau : « Les écoles les plus prestigieuses, vous vous ne doutez, sont en suisse, mais ce sont des écoles privées, donc impayables, et le milieu modeste dont je suis issu ne me le permettait pas. J’ai cherché parmi toutes les formations abordables et j’ai atterri en France. J’ai choisi cette formation parce qu’elle m’offrait la possibilité de suivre la plus grande partie de la formation en apprentissage, en entreprise. Sur quatre semaines de cours, nous en passions trois en stage, plus les congés scolaires. Les écoles en France fonctionnent souvent sur le modèle du compagnonnage, c’est formidable parce que vous vous retrouvez tout de suite dans le bain, au contact de clients, de leurs problèmes et leurs questions, c’est tout à fait concret, et c’est ce que j’aimais. Aujourd’hui quand j’accueille des stagiaires, je constate que les écoles en Belgique ne fonctionnent pas comme cela, et trop souvent ils doivent apprendre à maîtriser toute une série d’étapes parce qu’on les a habitués à cloisonner le métier aux seuls gestes techniques. »

Le parcours d’une PME

Quelles sont les perspectives pour un jeune horloger ? « Une fois rentré, j’ai cherché un job, et je me suis fait engager en bijouterie. Avec tout ce que je gagnais et les petits salaires économisés durant mes années d’études, j’ai pu petit à petit acheter de l’outillage d’occasion, j’avais donc déjà de quoi pouvoir monter mon tout petit atelier dans ma chambre chez mes parents, et me lancer dans les petits réparations pour les amis, puis les amis des amis …

Mais au final, je n’étais pas heureux en bijouterie classique, à changer des piles et remplacer des bracelets en cuir. J’ai fini par me faire licencier… Je suis viré et je suis ravi (il rit), parce qu’un C4, c’est une mini-prime de départ, qui m’a donné l’impulsion nécessaire pour démarrer en tant qu’indépendant, avec un petit coup de pouce de ma banque, je me suis lancé et les premières années, je réinvestissais tout en outillage ou en matériel: très vite des professionnels, des marchands de montres anciennes et des antiquaires m’ont fait confiance et m’ont confié de belles pièces. Quelques années plus tard, j’ai pu ouvrir la boutique avec l’atelier attenant et faire grossir l’équipe. »

Se différencier

Loin du service aseptisé des grandes maisons, on soigne ici les mécanismes les plus sophistiqués avec le cœur. « Je suis encore chaque jour étonné de la qualité des pièces qui circulent ici à Bruxelles. Les gens arrivent avec des montres incroyables, une Omega héritée d’un aïeul qui est en fait rarissime… Ce n’est pas si rare que de tels trésors me soient confiés et, le plus fou, c’est que parfois les propriétaires ne savent même pas combien cette montre a de la valeur. Notre point fort, c’est de parvenir parfois à réparer des montres que la marque n’a pas su remettre à l’heure ou parce qu’elle n’a pas voulu travailler trop longtemps sur une panne. Nous, on cherche jusqu’à ce qu’on trouve. Nous travaillons aujourd’hui avec sept horlogers confirmés et tous ont été engagés parce qu’ils ne sont pas formatés par les marques : c’est une expérience unique pour un horloger de bosser chez Rolex, ce sont des montres incroyables, les salaires et les conditions de travail font rêver, mais cela formate un horloger.

Chez nous, il faut diversifier son travail et aborder toutes les options. Cela oblige aussi à avoir un vrai esprit mécanique, écouter le client correctement, car c’est lui qui vous donne les meilleures indications de départ sur la panne. Parfois on se met à plusieurs autour d’une montre pour trouver ensemble quand on ne trouve pas seul ce qui cloche. Puis, certains sont plus doués pour refaire une roue, d’autres pour calibrer les aiguilles ou polir les mini-griffes, nous sommes tous complémentaires. Aujourd’hui je suis moins au contact avec l’établi, car nous avons bien évolué, mais cela reste mon plus grand plaisir de toucher les montres, mon premier métier… » 

Un marché en recherche de confiance

A côté des réparations, Gilles s’est aussi lancé dans le commerce de montres d’occasion, mais c’est une activité qui demande d’importants fond de roulement, il a donc l’idée d’un service sur mesure : « No Waiting List ». « Aujourd’hui, de nombreuses marques travaillent avec des listes d’attentes parfois très longues, qui ne sont pas en phase avec la démarche d’un client qui investit dans une montre de luxe. Ce besoin de créer l’exclusivité est une stratégie développée par les marques de luxe, et elle est compréhensible ; mais elle a pour conséquence que la cote d’occasion de ces objets est très élevée.

De par notre position, nous savons comment nous les procurer au meilleur prix du marché d’occasion, tout en étant sûrs de l’authenticité des montres. C’est presque aujourd’hui une bourse, les prix fluctuent tellement vite, il faut surfer et être sur la balle. Sur demande d’un client à la recherche d’un modèle bien précis : nous trouvons la montre et l’achetons, ensuite nous la contrôlons et la livrons avec une garantie. Les marges ne sont pas énormes, mais c’est un service qui sécurise l’acheteur et qui fidélise notre clientèle. Et puis c’est une sorte de chasse au trésor que nous aimons mener… »

L’artisan du temps, 758 chaussée de Waterloo, 1180 Bruxelles. artisandutemps.com

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