En cuisine avec Pascal Devalkeneer et Pierre Marcolini

Ils sont tous les deux ambassadeurs pour la marque horlogère IWC, qui nous a offert l’opportunité de les rassembler le temps d’un dîner à quatre mains et d’échanger sur les étoiles, le luxe, les ingrédients rares, les beaux objets et l’expérience gastronomique...

PAR INGRID VAN LANGHENDONCK. PHOTOS THIBAUT DE SCHEPPER. |

Esthètes, ambassadeurs d’excellence et amis dans la vie, le chef doublement étoilé Pascal Devalkeneer et le chocolatier Pierre Marcolini nous ont invités dans la cuisine privée du premier. Sur initiative d’IWC, la maison horlogère, qui entend nous faire sentir le lien entre la Haute Cuisine et la Haute Horlogerie, nous nous rendons donc un soir d’octobre dans une maison discrète cachée au fond d’une rue calme d’Uccle.

Pascal nous ouvre les portes et nous sert d’emblée une flûte de son meilleur champagne, l’ambiance est détendue...Les deux chefs sont complices et les chicons frétillent déjà dans une poêle. On se sent à la fois chez soi et singulièrement privilégié. Les deux chefs palabrent sur la mode du chocolat cru, sur la fermentation ascétique, sur la cuisson sous vide et sur les premiers Languedoc. Pierre étale du caviar osciètre sur une demi-pomme de terre et la tend aux convives, sans chichis. On rit, on se ressert deux fois de cocos de Paimpol au bœuf Wagyu, tomates confites, basilic et parmesan, et on se retient de lécher son assiette de caramel à la fleur de sel et sa mousse au chocolat chaud en émulsion...

    Les mutations d'un metier 

    Les deux hommes sont des artistes, des chefs reconnus, mais aussi des passionnes, toujours avides de decouvertes. On les sent pris dans le tourbillon de la modernite, et soucieux de faire comprendre leur demarche...

    Pierre : "Parfois le changement ne vient pas de la ou on l'attendrait. Avec l'ete que l'on a eu et la canicule, j'ai ete amene a revoir jusqu'aux bases meme de mon metier. Le chocolat est percu comme un produit d'hiver, il est donc pour moi indispensable de developper de nouveaux produits, comme les esquimaux, mais aussi de revisiter nos boutiques. On remarque tres clairement que les impulsions qui amenent les clients vers notre produit ont change. En tant que marque, nous communiquons differemment avec nos clients, hyperconnectes, et nous sommes amenes a "gerer des communautes ".

    Pascal : " Je me rejouis de la progression d'Internet et des reseaux sociaux, ils nous permettent de nous faire connaitre et de montrer les coulisses de nos metiers, mais ils ont aussi parfois des effets inattendus. Aujourd'hui, nous avons de plus en plus de mal a creer de l'emotion. Un client n'est plus surpris quand il entre chez nous. Internet lui a montre l'endroit, la salle, le potager, les plats, la carte des vins, comment encore le surprendre ? Par le plat evidemment, mais aussi par l'experience. Alors on se concentre sur le ceremonial, la mise en scene, c'est une prise en charge qui doit etre globale. Et puis, parfois, on se heurte a des incomprehensions. J'ai recu il y a quelque temps le mail d'un client insatisfait, qui estimait avoir recu moins d'amuse-bouche que lors de sa precedente visite, il en concluait que nous avions revu nos portions a la baisse. C'est tres difficile a argumenter. Mais il faut savoir que nous travaillons avec des produits d'exception, c'est a nous de lui expliquer que l'unique langoustine servie est un produit rare. Il y a en a deja pour 19 EU de matiere premiere, il n'en est evidemment pas conscient. Je ne dis pas que nous ne commettons pas d'erreur, evidemment, mais c'est assez interpellant et paradoxal de constater que les gens sont d'une part mieux informes que jamais, et d'autre part encore sans reelle connaissance de nos exigences et nos contraintes."

      Pierre : "Pascal met le doigt sur un phenomene important. Comme il le dit :  tout est accessible, l'information est partout, mais les gens ne se rendent pas compte que la Haute Cuisine est un veritable metier de funambule. Tout est sur le fil. Peut-etre davantage encore dans l'exercice de Pascal, qui est en direct. Les ingredients sont la base, mais ils ne sont jamais garantis quand on veut pratiquer l'excellence. Quand on compose un menu le lundi, le bar livre est magnifique, mais il ne sera pas forcement le meme si on l'achete le vendredi, il faut s'adapter. J'ai le meme probleme avec le cacao. Imaginez : quand un ouragan s'abat sur Cuba, j'ai deux tonnes de cacao en moins pour produire mon chocolat. Mais apres cela, quand un client se presente et que sa tablette preferee pure origine Cuba est epuisee ; qu'il s'attend a venir en rechercher dans une semaine... Je dois lui expliquer que ce sera plutot dans un an, a la prochaine recolte, si tout va bien.

      C'est fou, mais cela etonne les gens. Les elements naturels, les cycles de la nature nous dominent et le client ne le comprend pas toujours. Pourtant, nous vivons dans un pays ou la culture du chocolat est tres presente. Saviez-vous que la Belgique est le seul pays ou la tablette de chocolat fait partie du panier pris en compte dans le calcul de l'indice a la consommation ? Avant, les gens connaissaient des marques, aujourd'hui ils rentrent dans nos boutiques et se sont renseignes sur les differents types de feves. Ils ont compris le rapport au vegetal et nombreux sont ceux qui ont fait le lien avec des disciplines comme l'oenologie ; cela n'etait pas le cas il y vingt ans. La nouvelle generation est bien davantage consciente de cela, on n'est plus dans la friandise, on est dans une vraie degustation. Au-dela de la madeleine de Proust des sucreries de notre enfance, les gens prennent le temps de decouvrir toute la palette aromatique des cacaos, et c'est une victoire. Surtout que desormais, le planteur n'est plus l'acteur dans l'ombre, il est un artisan dont le role est central. Les valeurs sont differentes, et je predis que le chocolat devra etre equitable dans l'avenir !"

      Le rapport au temps 

        Ainsi, les artisans du bon seraient-ils constamment en equilibre entre tradition et modernite ? Un lien serre avec temps, qu'ils explorent sans le craindre, et qu'ils exploitent pour nourrir leur mission.

        Pierre : " La modernite technique que vous verrez aujourd'hui dans nos ateliers nous enrichit, mais elle est en contraste avec les fondements de nos metiers : a savoir une methode ancestrale, un lien avec une certaine culture, avec la nature elle-meme. On ne veut surtout pas perdre le savoir-faire qui est le notre. C'est un geste. Je suis de plus en plus dans la transmission de ce geste. C'est pour cela, je pense, que de nombreuses grandes maisons sont des affaires de famille. Il y a une empreinte de l'Histoire, la transmission d'un art. On le sent dans toutes les maisons de luxe, pas seulement dans les metiers de bouche..."

        Pascal : " C'est aussi pour cela que nous sommes seduits par la demarche d'IWC. Ils ont compris notre rapport au temps, evidemment, car nos metiers sont strictement minutes. En cuisine, tout est axe sur le temps, mais on retrouve aussi dans ces montres une philosophie assez poetique. Je suis particulierement sensible a cette transmission par le biais quelque chose de beau, de bien fait, j'aime les beaux objets, les belles matieres... C'est un savoir-faire dont je me sens proche, inevitablement."

        Pierre : " Ce qui fera la difference, ce qui nous transporte dans le luxe, c'est toujours le temps. Un cacao qui a pousse sur un tout jeune arbre aura une saveur differente de celui produit par un cacaotier de dix ans."

          Pascal : " C'est la meme chose avec tous les elements de la cuisine. Prenez le cochon, par exemple, c'est la viande la plus fragile qui soit. Le Rubia Gallega de Galice que l'on cuisine au restaurant est rouge vif, c'est une viande exceptionnelle, on la mangerait a la petite cuiller. Mais si vous prenez un porc d'elevage et un cochon qui a vecu en plein air, qui a ete bien alimente, bien soigne, avec une jolie petite vie de cochon, il vous donnera une tout autre viande : vous aurez deux carres de porc totalement differents. C'est une experience qu'il faut faire une fois dans sa vie : posez-les ensemble dans une chambre de maturation et au bout de quatre jours, le porc d'elevage sera poisseux. La graisse est superficielle, car elle n'a pas eu le temps d'impregner toute la viande, il est fichu.

          L'autre carre commence a peine a etre bon apres quatre semaines, toutes les fibres de sa chair sont impregnees de graisse, parce qu'il a mange une alimentation adaptee, equilibree, en evitant certains aliments qui peuvent provoquer une fermentation... Mais c'est bien entendu plus cher et plus long d'obtenir une viande pareille. C'est evident ! Il y a cinquante ans, on a commence a transformer les produits et depuis, c'est une derive considerable. Dans les grandes surfaces, vous avez des produits hypertransformes, sans aucune valeur nutritive. Quand on se tourne vers les petits producteurs qui ont des valeurs, qui veillent a delivrer le produit reel avec un gout et un souci de bien faire les choses, non seulement vous vivrez une autre experience gustative, mais au-dela de ca, vous aurez en cuisine un produit que vous n'aurez meme pas envie de le transformer, on va le travailler, certes, mais uniquement dans le but de le sublimer, pas le transformer..."

          Une affaire de passionnes 

            Si on les sent bavards quand on parle de ce qui se passe en cuisine, tous les deux sont conscients du facteur humain et de l'importance d'une experience globale...

            Pierre : " Quand on parle de gastronomie, l'ensemble de la prestation est un moment d'emotion. Tout doit etre raccord. J'ai l'habitude de dire que l'experience Marcolini commence a la porte de la boutique et tout mon personnel est sensible a cela. Mais, dans un restaurant, il y a le facteur direct. On travaille a la minute."

            Pascal : " Et que se passe-t-il quand un membre du personnel est malade ? Quand l'un d'entre nous a de gros problemes personnels ? Evidemment, cela a des repercussions sur toute la chaine et donc sur ces petits details qui font le raffinement d'une experience gastronomique. Si je suis fatigue, enerve, deprime, mais que j'ai deux heures pour delivrer une prestation, deux fois par jour, c'est un defi d'y arriver sans aucun faux pas. Nous vivons un metier dont toutes les composantes sont variables. Or elles sont complementaires les unes des autres pour delivrer une belle experience a nos clients. Et ces derniers attendent de nous de leur faire vivre des emotions... C'est a la fois passionnant et terriblement exigeant. Le dessert acheve, avant de prendre conge, nous voulions juste les entendre nous tuyauter sur un restaurant qui les aurait emus recemment..."

            Pierre ( en montrant Pascal) : " Chez lui (rires). J'y suis retourne deux fois pour sa dorade avec des coques, du jasmin, du lait de coco, une petite tapenade d'algues et de la poutargue, un bel equilibre... C'etait juste majestueux !"

            Pascal : " Il y en a plusieurs, mais disons que j'ai vraiment un souvenir intense ma soiree chez Michel Troisgros a Roanne. C'est l'hotellerie francaise dans toute sa splendeur, ou l'on percoit toute la belle energie de cette dynastie de passionnes. Et puis, ce sont des tenors de la cuisine !"

            On quitte la maison uccloise avec une envie de venir plus souvent manger chez ces deux amis rieurs et passionnes, tous deux bourres de talent et dont les yeux s'eclairent comme ceux des enfants quand ils parlent des plaisirs de la table...