Entrez dans les coulisses de la comédie musicale Cats

Nous nous sommes glissés dans les coulisses de la comédie musicale la plus mythique de tous les temps. Atelier perruque, échauffement des danseurs, anecdotes et petites histoires internes : l’envers du décor, comme si vous y étiez.

TEXTE ET PHOTOS BACKSTAGE : MARIE HONNAY |

Une forte odeur de lessive : c’est la première sensation que l’on perçoit lorsqu’on se glisse dans les coulisses du Louxor de Rotterdam, l’un des points de chute de la compagnie qui assure la tournée de Cats, le musical culte d’Andrew Lloyd Webber. Après Amsterdam et avant Bruxelles, la troupe de danseurs, chanteurs et acrobates s’est donc posée pour deux semaines dans la ville hollandaise.

Au bout d’un couloir où s’alignent de grandes malles acheminées par huit camions qui suivent la production d’un théâtre à l’autre, nous arrivons dans la loge dédiée aux costumes. Dans la première partie de la pièce, trois machines à laver tournent à plein régime. Cinq séchoirs et deux grandes hotboxes (des séchoirs verticaux qui ressemblent à des frigos géants) complètent cette buanderie
mobile. Il est un peu plus de 15 h. Célesta, une Hollandaise venue en renfort des trois habilleuses de la troupe, nous explique quelques-uns des rituels quotidiens du pole costume de la production. "Tous les costumes sont lavés après chaque spectacle", raconte-t-elle. Le lycra des combis de chats supporte mal la sueur des corps mis à l’épreuve de ces deux heures de show.

Cats, une comédie musicale créée en 1981 et dont le succès ne s’est jamais démenti, est une machine bien huilée. Moins de 24 heures après l’arrivée de la compagnie dans un théâtre, le set est installé. Cinquante personnes au total assurent le montage des décors et du backstage. Comme nous l’explique Veerle Hoppenbrouwers, productrice de la tournée belgo-néerlandaise de Cats, "trouver des théâtres suffisamment grands pour accueillir ce spectacle n’a rien d’une évidence. Les productions du West End sont connues pour leur professionnalisme", poursuit-elle. Célesta n’a, par exemple, eu que deux heures, pas une de plus, pour apprendre les bases du job : l’entretien des justaucorps en lycra (différents pour chacun des vingt chats de la production), des jambières et des chaussons peints à la main qu’il faut retoucher très régulièrement au pinceau. Sans parler des réparations très fréquentes au niveau des genoux. Malgré les jambières, le lycra trinque pas mal, précise Célesta qui nous assure que tout est tellement cadré qu’il n’y a de toute façon pas de place pour l’improvisation.

Auto-maquillage 

Dans la salle vosine, un jeune Gallois au look néopunk se lance dans la mise en beauté des perruques. Il est un peu plus de 16 h. Comme pour les habits de chat, les perruques en poils de yak sont réalisées sur mesure. Les artistes sont donc priées de demander la permission si elles veulent couper leur crinière (la vraie) en cours de production. Les coiffes sont lavées une fois par jour avant de subir un petit brushing d’usage. Chaque crinière est ensuite posée sur un socle où est inscrit le nom du personnage auquel elle correspond : Alonzo, Jemina, Munkustrap ou encore Demeter, un chat sexy interprété par la charmante Ella Nonini, qui nous offre une petite démo maquillage.

Chaque chanteur, danseur ou acrobate est responsable de son propre grimage. Ella dit mettre environ vingt minutes pour se transformer totalement. Certains garçons moins habiles, quarante de plus. "Lorsqu’on intègre la troupe, la responsable du make-up coache chaque artiste : elle réalise un demi-visage. À nous de terminer le travail. Le plus difficile, c’est évidemment de respecter la symétrie", précise Ella.

L'importance du "swing"

Dane Quixall nous retrouve sur la scène encore vide. Il est pratiquement 16 h 30. Dans quelques minutes, il fera le point sur le show du soir programmé à 20 h précises. En tant que Resident Director, il est en charge du bon déroulement de chaque spectacle : huit par semaine sans compter la répétition hebdomadaire. Son rôle est de remplacer d’éventuels artistes malades ou blessés (l’hiver en Europe, les grippes et blessures sont nombreuses), mais aussi veiller à la qualité constante du show.

"Je regarde l’intégralité du spectacle tous les soirs, histoire de déceler les faiblesses ou les manquements. Le jour suivant, je passe dans les loges et je débriefe les artistes." Pour assurer dans ce job exigent – qui requiert un maximum de diplomatie –, Dane Quixall capitalise sur son expérience de dix ans en tant qu’artiste dans la troupe : "Il m’arrive encore, quand c’est nécessaire, ou que j’en ressens l’envie, de monter sur scène."

Dane en profite pour nous expliquer l’importance des “Swings”, ces artistes polyvalents (ils sont six dans la troupe) capables de jouer n’importe quel rôle. "Lorsqu’aucun artiste manque à l’appel, le swing chante en coulisses pour donner plus de puissance au chœur des chats. Chaque personnage est secondé par deux doublures qui disposent, elles aussi, d’un set de costumes sur mesure. En cas de problème, ces understudies ont à peine vingt minutes pour monter sur scène." Leur cachette est située backstage, à côté de l’orchestre. Un orchestre planqué, lui aussi. À sa tête, Mathieu Serradell, un Français qui a participé à l’adaptation française de Cats donnée, il y a quelques années. Un rôle clé qu’il assure en restant dans l’ombre.

"Andrew Lloyd Webber et les concepteurs de la production originale n’ont pas voulu créer de séparation entre les chats et le public. L’orchestre (huit musiciens) opère donc depuis les coulisses. Quant à moi, je ne viens saluer que dans certains pays, en Allemagne et aux Pays-Bas, notamment, là où les producteurs savent que le public le demande. Ce sera aussi le cas en Belgique."

Sauts de chat

Bien qu’ultraprécis, le livret de Webber demande, performance liveoblige, une concentration de tous les instants. "Pendant le spectacle, mon rôle consiste, par exemple, à anticiper certaines faiblesses ou, au contraire, à percevoir l’envie d’un artiste de sublimer son numéro. À la fin de l’acte un, le Jellikelbal dure 8 minutes. Dans l’univers des comédies musicales, en termes de longueur, cette chorégraphie fait exception. Si je sens qu’un danseur est fatigué, je peux ralentir le tempo pour faciliter une arabesque ou, au contraire, accélérer le rythme pour sublimer un saut. Au départ, je n’y connaissais rien au monde de la danse. J’ai dû apprendre petit à petit." Le chef avoue se remettre en question en permanence : "La comédie musicale anglo- saxonne est très exigeante. Tout comme cette partition. En cours de spectacle, si je sens que ça ne groove pas comme ça devrait, je m’enferme dans ma loge et je fais en sorte de corriger le tir. En France, nous n’avons pas cette culture des musicals. Beaucoup d’artistes rechignent à répéter le même air ou les mêmes pas pendant plusieurs années. On m’a engagé pour livrer un produit dans lequel le public se retrouve, quoi qu’il arrive, et pour respecter une tradition longue de plusieurs décennies. C’est du show-business, il ne faut pas l’oublier !"

18 h 30. Les artistes terminent de dîner. La plupart mange avant le spectacle, histoire de tenir la distance pendant les deux heures de show. Pourtant filiforme dans son petit justaucorps tigré, Ella Nononi avoue que cette production, c’est du sport. "D’où l’importance d’adopter une bonne hygiène de vie : manger sainement, mais suffisamment, boire
en suffisance, se reposer."

Quant au démaquillage, qu’on imagine très fastidieux, il ne lui prend qu’une petite vingtaine de minutes. Voire moins les veilles de congé ou lorsque la production a prévu une fête après le show. La plupart des artistes sont très jeunes. On imagine donc aisément que malgré la rigueur requise par ce rythme quasi militaire, l’esprit de clan favorise la bonne entente au sein de la troupe.

Le ténor australien John Ellis nous confirme qu’en dépit du caractère répétitif de ce type de production, chaque jour est différent. "Le manteau que je porte sur scène – et dont je préfère ignorer le poids (il rit) –, me semble beaucoup plus lourd le dimanche que le mardi." Très cool, le maestro nous raconte ses premiers jours au sein de la troupe : "Les débuts sont un peu étranges. Ramper sur une scène en clonant les attitudes et les mimiques des chats a quelque chose d’assez déstabilisant. Heureusement, j’ai très vite perçu la dimension plus engagée du spectacle. Cette adaptation des poèmes de TS Eliot offre plusieurs lectures. Chacun y voit ce qu’il veut, mais en ce qui me concerne, j’ai l’impression de véhiculer un message d’ouverture, de tolérance."

Contrairement à certaines comédies musicales où le business prend le pas sur le showCats permet aux artistes de s’approprier pleinement leur rôle : "C’est un show très organique. Il n’y a pas de réelle hiérarchie. Les personnages interagissent en permanence. Je suis chanteur, mais le fait de côtoyer des danseurs au quotidien est une source d’émulation", ajoute-t-il. "Le monde de la comédie musicale est très éprouvant", poursuit Dane Quixall. "Beaucoup de jeunes chanteurs ou danseurs rêvent de faire partie de l’aventure Cats, mais certains ne tiennent pas le choc. Physiquement, c’est une épreuve. Le jour qui suit l’arrivée dans un nouveau théâtre, la troupe répète entre 15 et 16 heures d’affilée. Le jour suivant, c’est déjà la première. On ne s’arrête jamais."

Répétitions marathon

Choisie pour incarner Grizabella (c’est elle qui interprète Memory, le tube de Cats repris par Barbara Streisand), Jenna Lee-James n’a rejoint la production que depuis six semaines. Dans le petit monde des musicals du West End, ce rôle est une sorte de pépite, un super-booster de C.V. Avant d’entamer la tournée, la chanteuse a répété cinq semaines à Londres : "On nous donnait des devoirs, comme observer nos chats à la maison et regarder des vidéos, histoire de saisir leur manière de bouger, de fixer les choses... Mais ma pire crainte, c’était de me retrouver devant 2 000 personnes dans un body en lycra", précise-t-elle. L’angoisse du maillot de bain, en pire, pourrait-on dire ! En la voyant s’éloigner, ultra-sexy dans sa tenue de ville, on se met à imaginer à quoi peut ressembler une vie de femme-chat longue de plusieurs mois. Sa démarche féminine, presque féline, finit de brouiller les pistes. Femme ? Chat ? Un peu des deux. Une voix sortant d’un haut-parleur rappelle aux artistes que le warmup est sur le point de commencer.

Dans la cantine, quelques danseurs terminent leur repas. D’autres s’étirent dans les couloirs, face à leur loge. Dane Quixall s’apprête à rejoindre son repaire. Il ne doit rater aucune seconde du show.

Le jour suivant, la troupe enchaînera deux spectacles en 24 h. Mathieu Serradell n’aura donc pas le temps de donner une petite leçon de français à ses collègues artistes. "C’est eux qui me l’ont demandé. Ils veulent pouvoir se débrouiller pendant les deux semaines qu’ils passeront à Bruxelles en mars", explique-t-il avant de filer en coulisses.

Une fois habillés en chats, les artistes n’ont plus le droit de parler aux journalistes. Ils deviennent Macavity, Mistoffelees ou Mungojerrie. Pendant deux heures en tout cas. Ici à Rotterdam, puis à Bruxelles dans un mois. Jusqu’à ce que leur vie de chat s’arrête et qu’ils décrochent, pourquoi pas, un rôle dans Jésus-Christ Superstar ou Le Fantôme de l’Opéra, deux autres pièces cultes d’Andrew Lloyd Webber, encore à l’affiche, elles aussi.

Cats by Andrew Lloyd Webber, du 19 au 24 mars 2019 au Palais 12 (Heysel) à Bruxelles. Tickets à partir de 24,95 €. www.catsmusical.be

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