Interview : Benjamin Biolay, la vie à cent à l’heure

Avec « Grand Prix », il a signé un des albums phare de l’été – et assurément, de 2020. Une année marquée également par différents passages au cinema. Autant d’occasions d’aborder avec lui ses multiples facettes.

Par Sigrid Descamps, photos DR |

Sorti au début de l’été, votre dernier album « Grand Prix » a pour fil rouge la Formule Un, comme métaphore de la vie. Une discipline qui vous fascine ?
Oui. Les courses, la vie des pilotes… Cela me passionne depuis toujours. Quand j’étais petit, je regardais les voitures tourner un rond et je ne comprenais pas pourquoi j’aimais ça. J’ai compris en grandissant. La Formule Un, c’est une passion complètement sacrificielle, tant pour le pilote que pour sa famille. Souvent, celle-ci y laisse des plumes, toutes ses économies… Je n’y vois pas que du sport. C’est une métaphore de la vie et de l’amour.

En amour, comme en Formule un, ça s’emballe, ça s’amplifie, ça s’enflamme et puis, tout d’un coup, il n’y a plus rien… Ca peut être merveilleux comme la pire des tragédies. C’est également un des seuls sports qui ressemble un peu à l’art. Quand vous regardez un match de tennis et que le score en est à 6-0, 6-0, vous vous doutez bien de la fin de la rencontre. Un match de foot idem : quand le score est de 5-0 à la mi-temps, on se doute bien aussi de l’issue. Mais en Formule Un, tant que le drapeau à damier n’est pas levé, rien n’est joué. Le moteur peut exploser, tout est possible. Un grand prix se regarde du premier tour à la fin. 
 

Etes-vous déjà monté à bord d’un de ces bolides ?
Je n’ai pas pris le volant moi-même, mais je suis déjà monté à bord d’une voiture de Formule Un à deux places, sur le circuit Paul Ricard au Castellet en France ; j’ai eu la chance de monter dans un de ces engins et de sentir les conditions de courses réelles, la vitesse… C’est un peu comme monter à bord du Space mountain fois trois milliards. C’est indescriptible comme sensation, il faut l’avoir fait pour pouvoir la comprendre. On sort de là ravi mais lessivé. Je suis à l’aise dans tous les moyens de transport, donc je n’étais pas malade en sortant du véhicule - ce qui arrive régulièrement -, mais j’avais l’impression d’avoir fait cela durant cinq heures alors que ça n’avait duré que quelques minutes.

J’aimerais réitérer l’expérience de temps en temps, mais il faut se montrer prudent. Et puis, je ne me lancerais pas sur un circuit seul. C’est quelque chose qu’il faut commencer tôt, un peu comme la musique d’ailleurs. Prenez par exemple le champion Max Verststappen, qui est à moitié belge : il a eu son premier kart à deux ans. Et il a gagné son premier grand prix à 17 ans. Il y a une logique. C’est même dangereux de commencer tard, il faut grandir avec la puissance des véhicules. S’asseoir au volant d’un bolide quand on n’a jamais fait ça, c’est comme s’emparer d’une bombe !

C’est aussi une discipline riche en imagerie, qui vous inspire, si l’on se réfère aux visuels de votre album…
C’est un sport qui existe depuis moins d’un siècle, rempli de repères temporels et intemporels pour moi. J’aime son imagerie éternelle. Et puis, tout le monde connaît l’univers de la Formule Un, même si on prétend ne pas s’y intéresser.

On connaît tous le Grand Prix de Monaco, on sait tous ce qu’est une Ferrari. Il suffit aussi de voir le nombre de gens qui vous disent n’en avoir rien à foutre de la F1 mais qui avouent avoir été tristes à la mort d’Ayrton Senna. Il y a quand même là quelque chosequi fait partie de notre vie, pour beaucoup de gens, c’est le rendez-vous du dimanche après-midi. Et puis, je suis de la génération Michel Vaillant aussi.

Vous évoquiez Ayrton Senna, l’une de vos idoles ?
Juan Manuel Fangio, Jack Brabham, Jim Clark, Bruce McLaren, Alain Prost, Ayrton Senna, Nicki Lauda, Keke Rosberg… Je les connais tous, je les aime tous, même ceux qui ne sont pas mes contemporains. J’ai regardé tout ce qu’on a pu voir de leurs courses. Ayrton Senna, c’est un cas à part aussi de par sa mort, en direct à la télévision. Je conseille d’ailleurs à tout le monde de voir le documentaire d’Asif Kapadia, Senna. C’est bouleversant. On voit à tout moment de ce jour fatidique que Senna n’est pas hyper en confiance, qu’il ne le sent pas… Et quand on connaît l’issue, c’est encore plus dramatique. Sinon, comme je vis une partie de ma vie en Argentine, je connais bien la vie de Fangio aussi ; là-bas, c’est presque un dieu, il y a des statues de lui partout (rires).

L’Argentine, où vous rêvez de vous envolez…
Oui. C’est mon pays de cœur, j’y vis en général toute une partie de l’année. Avec la pandémie, ce n’est pas possible actuellement. J’y ai enregistré deux albums et j’y ai travaillé pour d’autres artistes. J’y ai tourné un film aussi : Mariage à Mendoza. J’aime ce pasy car il a un  côté bordélique, chaotique qui me ressemble pas mal. Ce n’est pas un pays de lignes droites, il faut apprendre à se démerder.

Entre ses ambitions, ses richesses et sa politique économique, il y a deux mondes. C’était la cinquième puissance mondiale il y a quelques années de cela, c’est devenu un pays pauvre, qui enchaine les tragédies, mais qui a pourtant toujours tendance à se relever. Et puis, on ne va pas se mentir : j’en aime le climat aussi. J’ai grandi à Lyon et j’allais en vacances à Sète. Quand je suis venu m’installer à Paris, je me suis dit « Ok, professionnellement, je n’ai pas trop le choix, mais p… je vais devoir vivre dans le Nord, sous la grisaille, quoi (rires). Enfin, vous voyez de quoi je parle en vivant à Bruxelles. Ceci étant, j’adore les étés à Bruxelles ! 

Outre la Formule Un, vous êtes aussi un fana de basket !
Oui, de basket américain plus précisément. Je suis les matches de la NBA depuis 1988 exactement. C’est une passion qui m’est venue tardivement par rapport à la musique, à la Formule Un et au football, mais à l’époque, ça m’a rendu fou. Il  y a eu un gros engouement pour la NBA à cette époque (avec pour point d’orgue les Jeux olympiques de 1992, avec la Dream Team, NDLR.). C’est retombé après le départ à la retraite de Michael Jordan. On était moins nombreux à suivre ce qu’il se passait sur les terrains outre-Atlantique. Et c’est dommage car après Jordan, on a vu éclore plein de talents extraordinaires, comme Allen Iverson par exemple. Comme en Formule Un, il y a là aussi des histoires d’hommes fascinantes. C’est un monde de working class heroes, avec des tas de  mecs sortis des ghettos, qui étaient condamnés à passer une partie de leur vie en prison et qui, grâce au basket, sont devenus des héros américains, applaudis par des blancs, c’est très symbolique. Un mec comme Lebron James, théologue et hyper structuré, est devenu un vrai leader d’opinion.

Vous suivez encore la compétition avec assiduité ?
Il m’arrive encore souvent de me lever la nuit pour regarder les matchs en direct. Pas durant toute l’année, mais certainement lors des players; physiquement et artistiquement, on y voit des choses sorties de nulle part. Il m’est arrivé aussi de commenter des matches.

L’engouement pour la NBA est un peu revenu ces derniers mois, entre autres avec la diffusion du documentaire The Last Dance…
C’est vrai, mais une fois encore, cela tournait autour de Michael Jordan, qui reste une légende vivante. Il est le premier athlète noir a être devenu milliardaire, il a eu des baskets à son nom, il a même joué avec Bugs Bunny dans Space Jam (rires). 

Vous êtes fan de Formule Un, de basket, de foot… Mais quel sport pratiquez-vous ?
(Sourires) Eh bien, j’ai fait pas mal de natation durant ma jeunesse. Je suis issu d’une famille de nageurs de haut niveau. Du coup, comme tout le monde, j’ai été jeté à l’eau très tôt. J’étais même assez bon, mais en réalité, je détestais ça (rires). Par contre, j’ai adoré joué au foot. Là aussi, je me débrouillais pas mal, mais la musique a pris le dessus. 

Elle reste votre premier amour ?
Si je suis en vie, c’est grâce à elle. Je lui dois tout et je lui rends tout. Evidemment, il y a un prix à payer, je n’ai pas une vie personnelle des plus simples. Mais j’ai la chance de faire de belles rencontres artistiques, de voyager, de pouvoir régénérer tout ce truc, car c’est compliqué de ne pas trop se paraphraser en permanence.

Et cela donne ses fruits si l’on en juge encore le succès critique et public de votre dernier album…
J’ai consacré deux ans de ma vie à cet album, deux années qui n’ont pas été faciles, j’ai bossé à fond. L’album a été super bien accueilli, c’était inattendu. Et une chance, surtout dans un moment aussi compliqué pour l’humanité, où tout devient un peu morne… Sortir un album qui plaît aux gens dans ces conditions, ça fait du bien. Depuis que je suis tout petit, je ne fais que ça, de la musique. Et quand un album plaît, c’est toujours un moment merveilleux. C’est boostant, je touche du bois pour que cela dure.

Un autre domaine où vous gagnez aussi des galons, c’est le cinéma. Parce que les propositions sont plus belles ou parce que vous vous y sentez plus à l’aise ?
Les deux. Je reçois plus de propositions de gens extraordinaires comme Christophe Honoré, Marc Fitoussi, Damiezn Chazelle… et en parallèle, j’aime de plus en plus jouer. C’est un art très dur. Je cerne de mieux en mieux la façon de le faire et surtout, de bien le faire. Cela me sert aussi en tant qu’interprète sur scène. Ca me fait grandir aussi en tant que chanteur. Je choisis des rôles qui ne me ressemblent pas, qui me dépaysent ; On m’a souvent offert des rôles de chanteurs ténébreux, où j’ai envoyé les gens se faire foutre. Mais gentiment hein (rires).

C’est vrai que vous véhiculez une image de romantique torturé, alors que lors d’interviews ou de longs passages en télé, au Burger Quiz notamment, on vous découvre plein d’humour…

Quand on est chanteur, il y a toujours cette espèce de storytelling obligatoire qui vous transforme en un écorché séducteur, ça vous dépasse complètement, et ça peut même être nuisible, mais on n’a pas beaucoup de prise la-dessus. Je déteste me rendre sur des plateaux télé où j’ai juste deux minutes trente pour défendre l’album. Qu’est-ce qu’on peut vraiment dire de soi en si peu de temps ? On n’a juste le temps d’être un peu libéré du trac. Je me sens alors toujours comme un vendeur de tapis ou un putaillon de province. Je ne peux tout de même pas arriver sur le plateau et raconter une blague, ça tomberait à plat (rires). A contrario, j’adore tourner dans des comédies ou participer au Burger Quiz.

C’est vraiment une réunion de potes qui s’amusent. Alain Chabat n’invite que des gens qu’il aime, on vient pour rigoler. Vous n’imaginez pas le nombre de conneries invraisemblables que l’on peut y sortir. Ce que l’on voit à la télé n’est qu’un extrait. Il y a une ambiance de dingue, on se prend à partie, on se lâche… c’est un espace de liberté folle ! 

Dommage que l’aventure soit finie…
Eh bien, vous allez être contente d’avoir fait cette interview car j’ai une bonne nouvelle pour vous : ça va sans doute revenir ! (Rires)

Benjamin Biolay, Grand Prix, Universal. En concert le 8 décembre à la Madeleine, le 9 décembre au Cirque royal. 

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