La vie en Bellerose

Elles ne sont plus si nombreuses, les marques de mode belges qui restent des histoires de famille et qui peuvent afficher trente années d’existence. Petit retour sur cette success story avec le créateur de la marque, Patrick van Heurck.

Texte et photo Ingrid Otto. |

Nous avons ouvert notre tout premier magasin Bellerose à Knokke voici un peu moins de trente ans, se souvient son fondateur et directeur artistique Patrick Van Heurck. Et avec le recul, on peut dire que c’était un des premiers concept stores.

On trouvait tout et n’importe quoi : des vêtements bien sûr, mais aussi des boîtes aux lettres, des vélos, des livres, des couteaux Leatherman… De la marchandise qu’on ne trouvait pas ici et qu’on allait chercher aux États-Unis. C’était amusant. Puis au fur et à mesure, les collections se sont agrandies et on a diminué les à-côtés.

Mixer les genres

Aujourd’hui installé en périphérie bruxelloise, à Grand-Bigard, le quartier général Bellerose est à son image : il en impose dans le paysage, tout en évitant le bling-bling au profit d’une discrétion bien affirmée. Au cœur de ces quelque 3 000 m² de bureaux et d’ateliers dédiés aux créations Bellerose, ce ne sont pas moins de quarante personnes qui œuvrent quotidiennement au service de la mode. Nous sommes des créateurs de lifestyle, explique Patrick Van Heurck. Notre moteur, c’est le mélange des genres : le masculin, le féminin, le classique, le chic, le vintage, une femme en pantalon ouvrier avec un petit haut délicat ou en robe avec des baskets… Le tout étant découpé dans des matières essentiellement naturelles, coton, lin, laine, suède.

On évite au maximum le tissu synthétique, poursuit Laetitia Van Gindertael, styliste responsable de la ligne femme, et compagne de Patrick. Nos modèles sont inspirés de vêtements de travail, de fripes militaires. Des choses authentiques, intemporelles, que l’on met au goût du jour au niveau des coupes, notamment. Mais nous ne sommes pas du tout des suiveurs de tendances – nos collections commencent d’ailleurs vraiment très tôt dans la saison par rapport aux autres marques (la collection hiver 2017 est déjà bouclée et celle de l’été 2018 bien avancée, NDLR).

Bellerose possède ainsi sa gamme de couleurs propres à chaque saison, additionnées de basiques immuables : un kaki, un bleu de travail marine, un navy, etc. Tout cela, associé à notre souci du détail, façonne notre identité. Sans oublier que peu de marques font tout à la fois l’homme, la femme et l’enfant, du moins dans notre niche, continue la styliste. Les trois collections sont toujours reliées par un fil rouge, que ce soit un imprimé ou un motif. Un amour du détail et du travail bien fait, qui permet à la “petite” Belge de sortir du lot et de pouvoir garder la tête haute face aux rouleaux compresseurs que sont les chaînes de prêt-à-porter Zara, Uniqlo ou H & M.

Le petit tape, les surpiqûres contrastes, un bouton cousu avec un fil de couleur différente, des bords-côtes spéciaux pour certaines vestes… Chacune des pièces est travaillée véritablement en profondeur, aucun détail n’est négligé. Donc oui, nous sommes certainement plus chers que Zara, mais cette qualité et ce travail minutieux confèrent à nos produits un aspect tout à fait unique, et leur permettent en outre de résister plus longuement à l’usure du temps, explique encore Laetitia Van Gindertael. De toute façon, intervient Patrick Van Heurck, je trouve que c’est très bien de mélanger les styles, les marques.

Même si tout le monde n’a pas spécialement envie d’acheter ses vêtements dans ces grandes chaînes, ne fût-ce que pour le magasin en soi. Nous, nous essayons de concevoir de belles boutiques, avec des vitrines attrayantes, un service, une image. Aujourd’hui aussi, on continue à proposer d’autres marques dans nos boutiques, parce que j’estime que nul autre qu’un vrai jeaner ne peut mieux fabriquer un jean, ou un spécialiste de la basket, une basket. Les marques textiles qui font de la chaussure ne font que copier ce que font les originaux et je n’en vois pas l’inté

International, ciblé et digital

Passionné d’architecture et empreint d’un sens aigu de la décoration, Monsieur Bellerose s’occupe lui-même de l’habillage de ses boutiques, aidé par son fils Derek, également responsable de la ligne homme de la griffe. Là aussi, le même désir de mixer les genres : Un mur rough, dans son jus, peut très bien servir de support à un très beau mobilier en bois.

Et dans le showroom du siège de Grand-Bigard, un espace à l’esprit très loft US, ce sont des branches de rhododendron ramassées dans le jardin de la maison familiale qui jouent le rôle de tringles pour les pièces exposées. Au total, la griffe possède actuellement 22 boutiques propres qui occupent 150 personnes, et est représentée dans entre 600 et 700 espaces multimarques, distillant ainsi sa Belgian touch sur les cinq continents de la planète.

Dans les prochains mois, c’est au Japon que Bellerose devrait s’implanter, et pas seulement. Nous avons établi un plan d’ouverture à Tokyo, les commandes sont même déjà passées. Mais on ne veut pas aller trop vite, on fait ça à notre rythme et ça se passe bien. Après Tokyo, nous prendrons la direction d’une autre capitale, et on verra comment on continue à se développer. Si l’enseigne a subi comme tout le monde les conséquences de la crise, elle a bel et bien pu redresser la barre en choisissant de ne plus se tromper de cap.

En décidant d’évoluer vers un produit moins BCBG, moins marqué, vers un casual un peu plus mode, nous avons souffert en multimarques, en raison de notre présence auprès de produits qui ne correspondaient plus à ce qu’on voulait faire. Nous avons dû faire face à un problème de cible, un problème de grandeur de ville par rapport à ce que nous offrons. Aujourd’hui, nous nous concentrons exclusivement sur les très grandes villes, voire sur les capitales. Résultat : depuis deux ans, Bellerose ne cesse de gagner du terrain, enregistrant des progressions à deux chiffres.

L’avenir Bellerose, c’est aussi le digital, désormais incontournable et sur lequel Patrick Van Heurck compte canaliser une bonne partie de l’énergie de son staff. J’ai un nouvel associé depuis 2015 ; notre plan était d’ouvrir dix magasins à Paris, finalement nous nous arrêtons à sept pour nous focaliser sur les ventes via internet, améliorer encore notre magasin online qui, à l’heure actuelle, n’est que notre troisième plus grand vendeur sur les vingt-deux ; je pense qu’il occupera la deuxième place à la fin de cette année, et de loin la pole position en 2018.

À partir de cette saison déjà, la boutique online proposera 100 % de la collection – ce qu’on ne voit jamais dans nos magasins propres. Quand on pense que l’idée est née vraiment par hasard à la fin 1988, dans l’esprit de trois amis désireux d’exporter quelques chemises made in Thaïland – mes associés ont fini par quitter l’aventure, les choses ont continué pour moi –, on se dit que le parcours de Patrick Van Heurck est une vraie success story à l’américaine. Et on ne peut que lui tirer notre Stetson.