Le designer Christophe Delcourt nous parle des nouveaux codes architecturaux

Depuis la fin des années 90, le designer français distille un style qui allie pureté du dessin, valorisation des matières et sophistication des détails. Il met l’accent sur l’évolution de nos modes de vie actuels.

Par Agnès Zamboni. Photos D.R. |

Comment avez-vous débuté dans le métier ? 
Autodidacte, j’ai toujours dessiné. Après plusieurs petits boulots, à l’âge de 30 ans, j’ai décidé de réaliser quelque chose autour de l’objet. En 1996, j’ai présenté une ligne de luminaires au salon Maison & Objet de Paris. Elle a reçu un bon accueil. J’ai porté, tout seul, mon ambition, mon envie de développer et façonner de nouveaux projets. Puisque personne ne m’attendait, j’ai produit moi-même ma première collection et je conserve encore cette soif et cette faim d’apprendre tous les jours.
Ma curiosité est intacte et je ne cultive aucune frustration par rapport à mon statut et mon parcours. Quant au travail du bois et du fer, je l’ai notamment appris dans l’atelier niçois des frères Waldisphul. Ils m’ont transmis leur savoir-faire sur les techniques et j’ai construit mes premières créations avec eux. J’ai d’ailleurs gardé une approche de fabricant, d’artisan. Les matières sont une source d’inspiration infinie.

Comment gérez-vous la diversité de vos missions ? 
Je partage mon temps entre des activités finalement très différentes, bien séparées et cloisonnées. En tant qu’architecte d’intérieur, je m’occupe de rénovations lourdes d’appartements privés - deux à trois réalisations par an. Ces belles réalisations et projets complets, principalement situés à Paris, concernent la gestion de l’espace et de la lumière… mais aussi les éléments intégrés et le mobilier. Je dessine tout de A à Z et je travaille en collaboration avec le client, dans un dialogue ouvert.

On y retrouve ma patte, mon goût du détail hyper soigné et mon regard particulier sur les matériaux mais je tiens compte des besoins des futurs occupants. Delcourt Collection, une ligne de mobilier débuté, il y a 25 ans, c’est ma griffe, un espace de liberté où je créé des meubles inspirés par l’architecture. Il y a cinq ans, Jérôme Aumont, ex-journaliste, a eu l’idée de créer la ligne d’objets Collection Particulière à laquelle je collabore et qui édite aussi, depuis deux ans, des meubles. Les pièces sont travaillées à la gouge dans des blocs de bois massif. Enfin, je crée pour des maisons d’édition. Actuellement, outre Minotti, je collabore avec Tectona, Tribu, Van Rossun et Sutherland, quatre marques de mobilier d’extérieur… 

Comment a démarré la collaboration avec Minotti ? 
Mon travail a été remarqué sur Instagram. Mais notre rencontre a évolué vers une entente sur le terrain de la sensibilité. Cette firme qui avait confié sa collection à Rodolfo Dordoni souhaitait ouvrir le champ de ses collaborations. Pour le premier rendez-vous, je suis arrivé avec une boîte remplie de matières. Minotti a été tout de suite intéressé par mon approche des matériaux et des couleurs, ma sensibilité particulièrement française de les mélanger. Avec Roberto et Renato Minotti, nous nous rejoignons sur des sujets comme l’architecture.

Leur firme offre une vision globale de la maison que nous avons repensé, plus actuelle. Aujourd’hui, il faut meubler des espaces ouverts et décloisonnés, reconstruire des cocons pour partager des moments de convivialité. Dans cette optique, nous avons notamment défini le nouveau programme de canapés Daniels, un projet très important pour moi. Il associe les contraires, le carré et le cercle ! 

Minotti est-il un industriel ou un artisan ? 
Les deux à la fois. Cet éditeur, doté d’un bureau d’étude phénoménal, qui mobilise beaucoup de technologie dans ses process de fabrication a aussi l’obsession de la qualité. Pérennes, solides, parfaites, ses créations qui cachent des techniques complexes mais invisibles dégagent beaucoup de poésie. Avec lui, on peut travailler toutes les formes, tous les matériaux, sans aucune limite. C’est bluffant ! Nous créons ensemble des meubles que l’on a envie de toucher dans la tradition des beaux savoir-faire italiens.

Ma french touch s’exprime à travers les finitions et les détails. J’ai apporté de la rondeur et de la sensualité avec des formes plus organiques et féminines en m’échappant des lignes trop droites et minimalistes d’hier. Grâce à la carte blanche et la confiance que Minotti m’ont offertes, j’ai poussé l’entreprise vers de nouvelles pistes à explorer. Même si on a l’impression que tout a déjà été fait, on peut toujours aller plus loin… 

Quels matériaux vous intéressent particulièrement ? 
Les matériaux durs, pierre, bois, bronze que j’aime travailler dans leur naturalité. Les matières de ma nouvelle collection Give me shelter sont protégées par des huiles transparentes qui ne modifient pas leurs couleurs originelles tout en leur offrant plus de profondeur. Les techniques d’assemblage bi-matières me passionnent également. Elles doivent être élégantes et invisibles. Par exemple, je ne conçois pas une table comme un plateau sur des tréteaux mais la pièce dans sa globalité.

Dans la nouvelle ligne de Delcourt Collection, j’ai notamment donné une autre fonction au piètement de la table Isa qui se transforme en cachette, rangement ou support pour un objet. Quant au piètement de la table Dan de Minotti, son matériau apporte de la lumière sous son plateau, à un endroit où il n’y en a jamais. 

Dans votre approche actuelle, la flexibilité des produits vous paraît-elle importante ?
Elle est au cœur de ma réflexion pour Minotti, avec une famille de produits qui ouvre le champ des possibles afin que chacun puisse s’approprier son espace. Dans les boutiques de cet éditeur, ce concept de flexibilité est mis en œuvre avec différents programmes et combinaisons de modules.

A partir d’un élément d’assise, un sofa, on accroche une table pour travailler, une étagère pour ranger, une méridienne pour se relaxer… Et rien n’est définitif, on peut changer, bouger, déménager… Cet esprit de modularité permet d’habiter l’espace dans sa centralité, capter la lumière. Rien n’est pire que des lieux où les meubles sont installés le long des murs.

Quels designers d’hier et d’aujourd’hui vous interpellent ? 
Je n’ai ni maître ni  mentor, mais j’aime les meubles d’architecte comme ceux du Français Pierre Chareau, qui possédait une vision globale de la maison. Dans les années 1980, l’architecte Andrée Putman a été la première à mettre en avant les meubles oubliés des architectes des années 1930 à travers des rééditions. Tout en lançant la tendance du minimalisme, sa rigueur a associé l’air du temps  de son époque et la richesse du passé.

Elle savait travailler avec des contraintes tout en étant créative. Pour l’aménagement de l’hôtel Morgans de New York, un établissement de luxe mais avec très peu de moyens, alors qu’elle devait choisir entre du carrelage blanc ou noir, elle a associé les deux pour composer un style graphique devenu sa signature. Aujourd’hui, je prête plus d’attention aux designers qui fabriquent eux-mêmes et qui n’attendent pas une collaboration avec un éditeur pour montrer leur travail. Je suis particulièrement sensible aux projets d’Apparatus et d’Atelier de Troupe, deux studios de design américain. Je les associe souvent à mes chantiers privés.  

Quels sont vos projets pour 2021 ?
Pour le futur salon de Milan en septembre 2021, j’ai abandonné les idées en attente pour 2020 et travaillé sur des idées autour du confort, de la protection. Aujourd’hui, il faut simplement mieux produire, en respectant les matériaux et les êtres humains. 

christophedelcourt.com
minotti.com, collection-particuliere.fr

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