Le style selon Juliette Armanet

Bientôt en concert à Bruxelles, lauréate de la Victoire de l’album révélation, la jeune chanteuse aime les univers décalés. Et quand elle parle design et donne des conseils déco, on garde les oreilles tout ouvertes.

Par Gilda Benjamin. Photo Erwan Fichou & Theo Mercier. |

Ses photos de promo, parfois déroutantes, tranchent avec ses chansons faussement naïves. Normal : l’une des grandes révélations 2017 de la variété française, qu’on compare systématiquement à Alain Souchon ou Véronique Sanson, assume sa passion pour le kitsch. Un style peut-être surprenant pour cette ancienne journaliste-documentariste de Arte, ex-étudiante de lettres et de théâtre, mais qu’elle a adopté dans son appartement parisien et sa maison à la campagne. Bienvenue au pays des merveilles, un peu décalées, de Juliette…

Quel est le style Juliette Armanet ?

Du rêve, de la simplicité, du mystère et une touche de bizarrerie. Je pense qu’il me correspond assez bien car le kitsch fait partie de ma vie. Je l’adore, c’est ce que je préfère au monde. Cette façon de dérailler légèrement, avec une pointe d’humour noir. Ça rend la vie plus “sucrée”. Mais je pense que le kitsch est aussi une forme de pudeur permettant l’autodérision. Tout est un peu grossi, outrancier. Prince était l’icône absolue dans ce style. Sur scène, pour mes concerts, il y a un rideau à paillettes et une boule à facettes, un décor très glam années 80. Pourtant ce n’est pas mon époque, je suis née en 1984.

D’où vous vient votre sens de l’esthétique : de vos parents libraires et passionnés de piano ?

Il est vrai que j’ai grandi avec des parents très sensibles au beau. Enfant, quand ma mère nous préparait à manger, elle veillait toujours à présenter le repas dans de beaux plats, avec de jolis couverts, des bougies sur la table… Elle enjolivait les choses les plus simples
et rendait le quotidien radieux.

On sent chez vous une grande poésie. Où la repérez-vous dans votre quotidien ?

Elle est là où on veut qu’elle soit, partout et nulle part à la fois. Regarder le monde avec bienveillance et curiosité permet de mieux “voir” les choses et d’y insuffler de la poésie. Il faut se laisser aller à la contemplation. Comme je voyage beaucoup, je profite de mes moments en train pour écouter de la musique, regarder le paysage, laisser mon esprit vagabonder…

La poésie se situe aussi chez les gens. Les autres me font du bien, ils me soulagent car je suis de nature très anxieuse. C’est une des raisons pour laquelle j’ai fait du documentaire pendant plusieurs années, pour multiplier les rencontres et les discussions.

La poésie au quotidien réside également dans notre décor familier : une photo, un objet, un intérieur… J’ai beaucoup appris aux côtés de mon ami artiste Théo Mercier qui réalise toutes mes pochettes. Il m’a aidée à trouver mon style, ma signature. Il possède vraiment une science du regard et m’a appris à faire en sorte que n’importe quel lieu, aussi banal soit-il comme la boulangerie où je vais acheter ma baguette, devienne un lieu d’exotisme. En regardant un objet, on peut lui donner vie. Comme le disait Lamartine: "Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?" Oui, ils ont une âme. Il y a chez moi, énormément de petits objets. J’aime qu’ils aient une histoire.

Vous êtes chineuse ?

Oui, il fut un temps où j’allais aux Puces tous les week-ends. Je retape une maison à la campagne, dans la Marne. Et vous n’y trouverez aucun objet neuf. Le succès me fait un peu peur, la célébrité ne m’intéresse pas. Du coup, avoir un rapport au monde plus terrien me fait beaucoup de bien. Chiner ou poncer un meuble me permet de rester ancrée dans le réel. J’aime beaucoup bricoler — dans cette maison, les bois utilisés ont été travaillés par mon compagnon et moi-même. On a opté pour le blanc et le noir : un vrai noir bien profond et du blanc à la chaux. Mon parquet est blanc, rien de tel pour créer de la lumière et de l’espace dans des endroits réduits. Quoi qu’on en dise, le blanc est une vraie couleur.

Outre le kitsch, il y a un autre style que vous admirez mais sans pour autant l’adopter chez vous ?

Le rococo. Il donne des envies de courir pieds nus dans des robes en dentelle en récitant du Shakespeare ! Étonnamment, je trouve ce style frais et bourré d’énergie. Mais mon créateur préféré c’est Charlotte Perriand, à mes yeux la grande prêtresse du mobilier des années 50. Je raffole de ses fauteils, ses armoires, ses meubles de rangement.

Fauteuils LC7 signés Charlotte Pierrand, la créatrice préférée de Juliette.

Quels sont vos objets fétiches ?

J’aime les objets décalés, un peu provoc. J’adore acheter des objets dans des boutiques de tourisme et les sortir de leur contexte. J’ai une petite tasse en forme de corps de femme nue achetée dans un sex-shop à Pigalle. Posée chez moi, à côté d’un bouquet de fleurs, elle devient extrêmement douce et poétique. Je tiens aussi beaucoup à une lampe représentant un coquillage qui procure une douce lumière sur ma table de chevet.

Quel est votre conseil brico favori ?

Travailler le bois comme un élément de décoration à part entière. J’ai découvert à quel point les couleurs de bois sont magnifiques et peuvent influencer un décor en donnant plus ou moins de chaleur ou de lumière.

Vous avez des musées favoris ?

Je me rends chaque été à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence pour y admirer l’expo du moment et me promener dans ce labyrinthe jalonné de statues de Giacometti et de peintures de Miro partout. Je suis aussi allée plusieurs fois à la Villa Noailles à Hyères, véritable temple des années 30, un lieu d’une esthétique folle qui a vu défiler Cocteau, Dali Picasso… J’aime beaucoup le design et les couleurs de cette époque. À Paris, je vais souvent au Palais de Tokyo. Et à Beaubourg que je détestais pourtant enfant… 

Ses adresses déco préférées à Paris

"Je suis fidèle à une petite boutique brocante rue Gérando dans le IXe, Tempolino (ohoto). J’adore aussi les Puces de Saint-Ouen, aussi bien pour leurs belles boutiques que pour leurs marchés. Et je vais beaucoup au Marché Saint-Pierre pour les tissus, notamment pour confectionner de beaux coussins."

Juliette Armanet, Petite Amie, Barclay. En concert le 27 avril au Botanique à Bruxelles.