Le wax, un tissu engagé qui conquiert les podiums

Inspiré du batik indonésien, industrialisé en Europe, adopté par l'Afrique et devenu étendard d'un monde métissé: le wax, ce tissu coloré avec des dessins pleins d'humour et de messages sociétaux passionne jusque dans la haute couture.

PAR AFP. Photos : D.R. |

C'est un tissu engagé. Porter du wax est toujours un message. C'est l'histoire sociale de l'Afrique qui se raconte à travers le dessin (...), c'est une manière de comprendre les sociétés", explique à l'AFP l'anthropologue Anne Grosfilley, qui vient de publier le livre "Wax. 500 tissus" (La Martinière) et de collaborer avec la maison Dior pour le dernier défilé à Marrakech fin avril.

Avec le dessin alphabet, par exemple, ce tissu raconte l'histoire coloniale: "à l'époque on portait l'alphabet pour montrer qu'on faisait partie de la nouvelle génération des personnes lettrées. Aujourd'hui cela peut être aussi une forme de revendication: avec Boko Haram, toutes les petites filles n'ont pas accès à l'école", raconte Anne Grosfilley qui s'intéresse depuis 25 ans à la mode africaine et à l'histoire du wax.

Ongles et sacs

Les femmes africaines utilisent les dessins du wax "comme les supports de communication non verbale". Les femmes africaines portaient des pagnes avec ce motif pour montrer qu'elles se sentaient méprisées et dévaluées en tant que personnes.

Parmi les derniers best-sellers, on retrouve par exemple le wax appelé "Sac de Michelle Obama" reproduisant une pièce de maroquinerie du luxe française portée par l'ex-première dame américaine, admirée pour l'ascension sociale qu'elle représente.

    Le tissu a travers lequel les femmes expriment leurs espoirs et leurs coleres a interesse la directrice artistique de Dior, l'Italienne Maria Grazia Chiuri, une feministe engagee, qui l'a mis en valeur dans sa derniere collection croisiere 2020.

    Dior et atelier des refugies

    Maria Grazia Chiuri a toujours eu a coeur de nouer des echanges creatifs avec les cultures africaines. Presenter la collection croisiere 2020 a Marrakech est une maniere de se laisser guider par la memoire de la Maison et du premier successeur de Christian Dior, Yves Saint Laurent, natif d'Oran, fascine par le Maroc. Ce de le illustre egalement l'idee d'un terrain d'entente, un > - comme l'evoque la philosophe feministe Naomi Zack - dans lequel, malgre toutes les differences, les echanges entre femmes peuvent se concretiser par des re exions et des actions.Maria Grazia Chiuri a ainsi collabore avec l'usine et le studio d'Uniwax (en Cote d'Ivoire) pour reinterpreter les codes Dior en les integrant a la trame du tissu, dans une edition speciale. C'est ainsi que de nouvelles toiles de Jouy revisitees par le wax voient le jour, declinant differents paysages ou reinventant les motifs des tarots.Le tailleur Bar, comme l'ensemble des pieces, exalte la puissance de la mode, langage inclusif et transnational.

      Le motif des oiseaux en vol inspire des tissus portes par Miriam Makeba, chanteuse et militante politique sud-africaine, a ete retenu pour la collection croisiere 2020 de Dior.

      "L'idee etait de ne surtout pas travailler avec des dessins preexistants", explique Anne Grosfilley qui a visite avec Maria Grazia Chiuri l'usine Uniwax a Abidjan, "la seule a avoir une parfaite tracabilite africaine: coton cultive en Afrique file et tisse au Benin et imprime en Cote d'Ivoire".

      Meme si les createurs francais Jean Paul Gaultier et Agnes B ou la maison britannique Burberry ont deja utilise le wax dans leurs collections, la demarche de Dior "est totalement unique".

      "C'est la premiere fois qu'on a travaille avec le wax made in Africa, avec les Africains qui ont cree de nouveaux dessins en reinterpretant les codes Dior" comme la toile de Jouy ou les cartes du tarot, souligne l'anthropologue. "Un tissu considere comme africain est aussi luxueux que d'autres matieres du luxe italiennes ou francaises utilisees par la maison Dior".

      Soucieuse d'eviter le piege de l'appropriation culturelle, Maria Grazia Chiuri a ouvert son defile dans les ruines d'un vieux palais de Marrakech avec une creation signee par le designer africain Pathe'O qui avait remis le wax a la mode en Afrique a la fin des annees 80.

      N'etant pas originaire d'Afrique et n'ayant pas d'ancrage dans un pays specifique, le wax "a cette force federatrice panafricaine. Tous les Africains, les afro-descendants et les diasporas s'y reconnaissent" et les stars planetaires comme Beyonce ou Rihanna l'ont porte.

      Le veritable wax avec "ses parfaites imperfections qui n'a ni envers ni endroit" ne represente toutefois que 5% du marche inonde de copies fabriquees en Asie par impression simple, a un moment ou le tissu est enormement a la mode en Occident et en Afrique.

      "Vrai ou faux, les gens essaient toujours de dire quelque chose avec le wax", souligne l'anthropologue, qui porte un manteau avec une doublure a motifs wax confectionne dans l'atelier "Talking hands", a Trevise, en Italie, par des migrants en attente de regularisation.

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