Les chefs étoilés, nouvelles égéries des marques horlogères

Devenus les stars du petit écran, les chefs étoilés sont les nouvelles égéries des marques horlogères. Entre marketing d’influence et partage de réseaux, quels sont les secrets de ces partenariats haut de gamme ?

PAR INGRID VAN LANGHENDONCK. PHOTOS D.R. SAUF MENTIONS CONTRAIRES. |

Aujourd’hui, il fait tourner le monde. Rien ne se vend qui n’ait pas été vanté, porté, instagrammé par un “ambassadeur”. En se servant du capital sympathie d’un personnage public, les marques renforcent leur image ou lient une communauté à un lancement de produit. Les manufactures de luxe, dont les horlogers, ont depuis longtemps compris le potentiel de ces ambassadeurs, accordant ainsi leur confiance aux personnalités les plus diverses.

Rolex inaugure le concept en 1927, en faisait porter à la nageuse britannique Mercedes Gleitze un de ses premiers modèles d’Oyster lors de sa traversée de la Manche à la nage. L’horloger s’était ensuite offert une pleine page en une du Daily Mail afin de vanter l’exploit et démontrer l’étanchéité à toute épreuve de son modèle phare. Le premier post d’influenceuse était né. 

Viendront ensuite les stars de cinéma avec quelques icônes : la Rolex Submariner puis l’Omega Seamaster pour James Bond.

Ou encore la Tank de Cartier portée par Audrey Hepburn ou Catherine Deneuve...

Depuis plusieurs années, les grands chefs sont également entrés dans la danse. En toute logique, c’est la Suisse qui a ouvert le bal : à la fois pays horloger et terre de haute gastronomie, elle rassemblait tous les acteurs pour que le mariage soit réussi. La France a suivi, surfant largement sur le succès des chefs stars. Ainsi, le présentateur vedette de Cauchemar en cuisine, Philippe Etchebest, arbore toujours à l’écran l’emblématique Tag Heuer Monaco, celle que portait Steve McQueen dans Le Mans. 

De même, Cyril Lignac roule pour Patek Philippe et Joël Robuchon cuisine aux couleurs de Blancpain.

Pourquoi eux ?

Si vous interrogez les marques horlogères quant à l’intérêt de recruter ces grands chefs, on vous parlera valeurs communes : minutie, artisanat, recherche de la perfection. Un joli discours marketing que l’on peut traduire par “association des deux images afin qu’elles se renforcent l’une et l’autre.” Donc, ne nous y trompons pas, il est rarissime qu’une marque prenne un risque sur un jeune chef inconnu. Et, a priori, un chef étoilé n’acceptera de s’associer qu’à une marque prestigieuse pour ne pas déprécier l’image de son restaurant.

Tout le monde doit y trouver son compte. Et dans ce registre, il faut reconnaître que le secteur de la gastronomie est très porteur, parce que furieusement tendance. La téléréalité culinaire nous a envahis et les chefs étoilés sont devenus nouvelles égéries de la culture populaire, incarnant une image de confiance et de luxe. La télévision, c’est une audience de masse garantie, et une très large visibilité des montres grâce aux ballets des mains, aux gros plans sur les chefs, réalisés tout au long des émissions. Raison pour laquelle ce sont bien les jurés de Top Chef et autres émissions à succès qui ont été les premiers à être approchés.

D’autant qu’à l’ère des réseaux sociaux, ces maisons horlogères ont modifié leur stratégie. Certes, elles possèdent des partenariats d’envergure faisant partie de la communication internationale des marques, gros contrats de sponsoring à la clé. Mais elles confient aussi la possibilité à leurs agents locaux de choisir dans chaque pays l’une ou l’autre personnalité marquante susceptible de transmettre leurs valeurs, tout en jouant sur le côté proximité. Ainsi Piaget est à la fois partenaire de l’acteur américain Ryan Reynolds sur la scène internationale, mais soutient en Suisse l’écrivain Joël Dicker et, en Belgique, le tennisman David Goffin ou le peintre Benjamin Spark.  

Et quoi de plus proche qu’un chef qu’on voit à la télé chaque semaine et dont l’établissement n’est parfois qu’à quelques minutes de trajet ?  

Mais aussi et surtout, en dehors du pouvoir médiatique de ces grands cuisiniers, les agents belges de ces grandes marques vous parlent de zone de chalandise. Le chef étoilé est par nature baigné dans un réseau de clientèle haut de gamme, fortuné et prêt à dépenser davantage pour bien manger. On peut donc supposer que par extension, il en sera de même pour ses accessoires. Ainsi le cuisinier qui, en fin de repas, vient serrer la main de ses clients représenterait un point d’ancrage publicitaire bien plus intéressant encore que le public d’une téléréalité.

Qui en Belgique ?

Parmi ces chefs-vedettes, il y a Peter Goossens. À la tête du restaurant Hof van Cleve, niché au cœur des Ardennes flamandes, l’homme est depuis 2009 ambassadeur des montres de la maison belge Lebeau- Courally. 

Le cuisinier emblématique – qui détient trois macarons au Michelin et la note exceptionnelle de 19,5/20 au Gault&Millau – est un proche de la famille Ide, propriétaire de la firme et habituée de son établissement. C’est un vrai partenariat de proximité. Nous aimons son élégance naturelle, son expertise dans la tradition et son talent incontesté, nous explique Laurens Peeters, de chez Lebeau-Courally. Nous lui avons proposé d’être notre ambassadeur autour d’un repas. Peter Goossens connaît bien Monsieur Ide, il aime l’histoire qu’il a créée, il a naturellement accepté. Le partenariat entre les deux maisons met l’accent sur le “cachet belge” auquel le chef et l’horloger se disent très attachés.

Pierre Marcolini a lui été choisi par la marque IWC Schaffhausen. La manufacture suisse possède pas mal d’admirateurs en Belgique, Philippe Etchebest et Tag Heuer. dont feu le roi Baudouin qui, dit-on, possédait plusieurs IWC Portuguese. 

Un modèle aussi offert à Pierre Marcolini : Lorsque j’ai été contacté par IWC, je l’ai pris comme un honneur. C’est évidemment un plaisir de porter un objet aussi beau qu’une Portuguese ou une Portofino Automatic, mais c’est aussi une marque dans laquelle je retrouve toute une série de valeurs que je défends au quotidien, notamment l’excellence ou la prouesse technique. Et puis, en pâtisserie, le temps est un élément essentiel, c’est donc une belle rencontre.

Qu'ont-ils à gagner ?

Mais ne rêvez pas : en Belgique, à part les partenariats avec les sportifs de haut niveau (Justine Henin, David Goffin...), ces sponsorings ne comprennent pas de rétribution financière. Les ambassadeurs reçoivent les montres, souvent deux ou parfois davantage si le partenariat court sur plusieurs années. En contrepartie, ils s’engagent à les porter en public. Quand on connaît le prix de ces montres qui dépasse souvent les 5 000 euros, on comprend que personne n’est perdant.

Autre juste retour, les chefs se prêtent au jeu de la séance photo, sont présents à certains événements et parfois prestent l’une ou l’autre animation pour les gros clients ou pour la presse de luxe. Mais cette utilisation de leur image n’est pas à sens unique. Elle est aussi pour le chef l’occasion de varier sa visibilité, de sortir de son univers habituel cantonné à la presse gastronomique et de rendre son image plus glamour. Ce qui aura forcément une répercussion sur la réputation de son établissement. Enfin, et ce n’est pas le moindre avantage, les ambassadeurs sont régulièrement invités sur des événements internationaux et mis en contact avec d’autres ambassadeurs prestigieux de la marque, des clients importants, des hommes d’État. Un réseau toujours utile pour un chef qui reste quand même aussi, peu ou prou, un businessman...