Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Alternatif »

... Ça y est ! Je vis dans le fameux “monde d’après”. D’après quoi ? D’après avant, j’imagine. Enfin, il faudrait que je demande. Mais je ne sais pas à qui. Tout est si confus.

PAR GILLES DAL. PHOTO LAETIZIA BAZZONI / Markus Spiske on Unsplash |

Des crèches alternatives, par opposition aux crèche traditionnelles; du tourisme alternatif, par opposition au tourisme de masse; de la musique alternative, par opposition à la musique mainstream... On pourrait continuer cette liste longtemps, tant nous sommes habitués à voir pulluler des produits et des services qui se targuent d’être hors du cadre, différents, « à part ». Le refus de la norme en constituerait presque une nouvelle norme, et c’est bien là tout le paradoxe : si l’alternatif triomphe, il n’est plus alternatif; si la règle établie consiste à refuser toute règle établie, on n’est pas rendus. Me voici donc confronté d’emblée à une sorte de cul-de-sac conceptuel.

Cet embrouillamini s’explique cependant par la nature du monde dans lequel nous vivons, qui est fragmenté et confus : jadis, vous aviez la noblesse, la bourgeoisie industrielle, les militaires, les gens d’Eglise, les corporations; la société était quadrillée, et traversée de clivages nets et précis : les catholiques contre les anticléricaux, les possédants contre les travailleurs, etc. Dans ce type de configuration, vous apparteniez à une case, et votre vie était faite de conventions. Il n’y existait, pour ainsi dire, pas de produits ou de services alternatifs : il y avait le boulanger, le coiffeur, la lingère, le forgeron, la blanchisseuse, l’arracheur de dents, et chacun accomplissait sa tâche, qu’il n’y avait pas mille manières d’accomplir. 

Aujourd’hui, ce n’est pas un scoop, les données ont radicalement changé : nous restons, certes, conditionnés par notre milieu et guidés par divers conformismes, mais les manières d’être au monde sont infiniment plus variées. Se démarquer, contrairement à jadis, est devenu une qualité, certaines pédagogies alternatives allant jusqu’à inciter les élèves à désobéir à leurs professeurs (ce qui ne manque pas de sel, puisqu’alors, obéir devient une marque de désobéissance, et désobéir une marque d’obéissance). Il est donc logique, dans un pareil tableau, que tout ce qui se dit alternatif soit vu comme une marque de progrès et une promesse d’avenir. Attention, toutefois, à ce que l’usage de ce mot ne soit pas juste un passage obligé pour se faire remarquer. Une sorte de convention, de passe-partout. Car enfin, on se doute bien qu’un coiffeur alternatif ne propose pas à ses clients des coupes de cheveux pourries afin de sortir des canons du conformisme capillaire : il existe certaines normes, comme satisfaire le client, qu’il serait dommage de balayer. Mais à peine ai-je dit cela, que déjà, l’épouvantable crainte de passer pour un odieux réactionnaire me prend à la gorge. Pour ma défense, je dirai donc que ceci est une chronique alternative.

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