Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Homewear »

Comme chaque week-end, Gilles Dal nous décrypte un mot du monde. Cette semaine, place au "homewear".

PAR GILLES DAL. PHOTO LAETIZIA BAZZONI. |

Homewear : c’est de l’anglais. J’entends bien que cette précision pourrait passer pour superflue, qu’on se doute bien que ce n’est pas du vieil araméen ou du sanskrit, mais enfin je me devais de commencer cette chronique en devançant toute polémique, car j’entends d’ici les indignations : “Comment ? Un mot anglais ! How dare you ? La langue française n’est-elle pas assez riche ?” Si, bien sûr qu’elle est assez riche, mais ce n’est tout de même pas de ma faute si, parfois, elle use de détours bien singuliers pour apporter certaines nuances. Or, il se trouve que homewear ne désigne pas la même chose que sa traduction en français : si j’avais décidé de vous parler de vêtements d’intérieur, en effet, mon propos aurait été tout différent ; j’aurais disserté de pantoufles usagées, de grosses chaussettes, de vieux gilets qui ont vécu, autant de sujets aussi aguichants que les flaques d’eau saumâtre, les journées sans programme ou les soupirs sans objet.

Tandis qu’en décidant de vous parler de homewear, je saute à pieds joints dans l’océan bouillonnant de la tendance la plus avant-gardiste : pensez donc, grâce à la mode du homewear, mon training élimé du dimanche n’est plus la masse difforme que je portais jusque-là juste pour son confort ; désormais, il est le symbole de mon appartenance à la caste des gens stylés : grâce à lui, je ne suis plus engoncé dans des vêtements étriqués, j’ai cessé de me déguiser en ce que la société attendait de moi, je suis parfaitement mode et authentique ; je suis “enfin moi-même”. Plus aucun compromis, plus aucune contorsion : un homme libre, déconditionné, affranchi. Pour un peu, mon training serait le symbole de l’abolition de l’esclavage.

Tout ça parce que je qualifie mon training de homewear et pas de vêtement d’intérieur ? Eh bien oui. Parfaitement. Car figurez-vous qu’il y a training et training : il y a le training bien (homewear), et le training pas bien (vêtement d’intérieur). Le premier est à la mode, l’autre pas. Et détrompez-vous si vous pensez que la différence ne tient qu’à la coupe, car un training trop bien coupé trahirait l’esprit des pères fondateurs du homewearing pour qui, précisément, l’esthétique se doit d’être secondaire. Attention, donc, au fashion faux pas : un training trop bien coupé, et c’est la catastrophe ; vous passez à côté du concept. Je sais, c’est compliqué. Disons que c’est une question de dosage. La notion de chic évolue, c’est comme ça ; reste à prévoir un plan d’attaque pour le jour (sans doute pays si lointain) où la mode ultime consistera à ne pas être à la mode.

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