« Inspirant » est le mot du moment; celui qui le prononce semble comme se gargariser de l’hommage qu’il est en train de rendre : « Je trouve ça très inspirant »; « Pour moi, c’est ultra-inspirant »... Étrange mot, que jusqu’il y a quelques années, personne n’utilisait jamais, sans que l’Humanité ne s’en porte plus mal, et qui en fait, relève du tic de langage. Je fais d’ailleurs ici le pari que pour les historiens du futur, son succès foudroyant constituera un mystère comparable à celui des statues de l’île de Pâques : ils ne comprendront même pas comment un mot aussi flou et vide de sens aura pu enfumer tant d’esprits au point de leur faire croire qu’il signifiait quelque chose.
Comprenez-moi bien : je n’ai rien contre les personnes dites « inspirantes », ni contre les livres dits « inspirants »; je suis comme vous, j’aime admirer, j’aime me sentir porté, j’aime me sentir meilleur au contact d’une personne ou d’un livre. Ne me croyez pas prisonnier d’une logique mortifère de sarcasme, qui me condamnerait à me gausser de tout ce qui est positif, bienveillant, et qui fait du bien. Mais arrêtons-nous au mot en tant que tel : inspirant, c’est ce qui rend inspiré, et inspiré, c’est ce qui est frappé par l’inspiration. Or, par définition, l’inspiration ne se commande pas : soit elle vous vient, soit elle ne vous vient pas, mais elle est toujours diffuse, inexplicable, mystérieuse.
Certes, et fort heureusement, il y a des gens, des livres, des films qui vous portent au-dessus de vous-même, et en ce sens, qui vous inspirent... Mais lorsque c’est le cas, que vous inspirent-ils au juste? S’ils vous inspirent de l’enthousiasme, ils sont enthousiasmants. S’ils vous inspirent de la curiosité, ils sont intéressants. S’ils vous inspirent de la joie, ils sont réjouissants. Mais s’ils sont inspirants « tout court »?... Vous inspirent-ils de « bonnes ondes »? De la confiance en soi? De l’élévation d’esprit? Si c’est le cas, il faut le préciser, sans quoi la formule est avortée, comme quelqu’un qui dirait « J’ai », sans préciser ce qu’il a ! On peut donc parler de boulanger inspirant, de philosophe inspirant, de paysage inspirant, mais dans ce cas, il faut dire ce qu’ils inspirent, sans quoi on parle pour rien, on brasse du vent, bref on ânonne une formule toute faite, qui allie profondeur de commande à clairvoyance factice.
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