Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Locavore »

Comme chaque week-end, Gilles Dal nous décrypte dans sa chronique un mot du monde. Cette semaine, place au mot "locavore". 

Par Gilles dal. Photo Laetizia Bazzoni. |

Être locavore, c’est, pour faire court, être adepte des circuits courts. Logique de proposer une définition courte à ce mot; il aurait désigné le fait d’être adepte des circuits longs, que j’aurais proposé une définition longue. Histoire d’être en phase avec le concept défini. De quoi s’agit-il? D’un mode de consommation qui consiste à se nourrir d’aliments produits dans un rayon de 100 à 250 km de son domicile. Ceci partant de l’idée que vous vous trouvez à votre domicile, bien entendu : si vous passez quelques jours de vacances à l’autre bout du monde, et que vous tenez à agir en locavore, c’est votre lieu de villégiature, et non votre domicile légal, qu’il faut prendre comme centre du rayon à ne pas dépasser. J’entends bien que cette précision pourrait sembler superflue, mais nous vivons dans un monde où il faut tout préciser : il est stipulé « convient aux enfants » sur les boîtes de jouets et « ne pas avaler » sur les bouteilles de détergent, or je m’en serais voulu de contribuer à la destruction de la planète à cause d’une formulation pas assez claire.

Étrange époque que la nôtre tout de même, où ce qui a constitué le principe même de l’Humanité durant des millénaires (à savoir, ne manger que des aliments produits autour de chez soi) est presque devenu un mouvement d’avant-garde; ça me fait penser à cette crèche dite « conceptuelle », qui se targue de proposer une « pédagogie nouvelle »  en faisant évoluer les petits enfants parmi des coqs et des poules, alors même que 99% des petits enfants de la planète ont vécu entourés de coqs et de poules depuis la nuit des temps jusqu’à il y a une cinquantaine d’années. C’est que, de plus en plus, la lutte contre les travers d’un monde ultra-industrialisé induit un certain retour aux fondamentaux, qui prête d’ailleurs le flanc à un flot de sarcasmes convenus. C’est ainsi que les végétariens sensibles au bien-être animal s’entendent dire trois fois par jour : « Et que fais-tu de la souffrance des carottes? » (lieu commun indépassable) et que les partisans de la décroissance se voient souvent réduits à leur désir supposé de retour à l’âge des cavernes.

Comme s’il fallait nécessairement choisir entre la grande distribution et traire sa chèvre pour se faire du fromage, entre les vêtements synthétiques et se vêtir de peaux de bêtes, entre prendre sa voiture et se déplacer en cheval de trait... C’est l’un des aspects de la modernité heureuse qu’on peut très bien économiser l’électricité sans avoir à frotter des cailloux pour s’allumer une bougie, et que le refus des aliments transformés n’implique pas nécessairement de devoir mâchonner les ronces de son jardin pour se nourrir. Une évidence dont les locavores sont les porte-drapeaux.
 

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