Les mots du monde d’après Gilles Dal : « Propagande »

Comme chaque week-end, Gilles Dal nous décrypte un mot du monde. Cette semaine, place au mot "Propagande". 

Par Gilles Dal. Crédit photo : LAETIZIA BAZZONI |

Dans la longue liste des vocables outrageusement dévoyés par les temps qui courent, abordons aujourd’hui le mot « propagande », qui est servi à tant de sauces que je serais bien tenté de le définir par « mode de pensée qu’on ne partage pas soi-même ». Car enfin, on parle surtout de « propagande gouvernementale » quand on n’aime pas le gouvernement, de « propagande hygiéniste » quand on n’a pas envie de se laver, et de « propagande vegan » quand on est attiré par une belle pièce de viande. Je schématise, bien entendu, mais admettez avec moi qu’aucun cultivateur de petits pois ne vitupérera jamais contre la « propagande pro-petits pois », puisque ce mot est devenu systématiquement péjoratif, à l’inverse de « désobéir » ou de « rebelle » par exemple qui, eux, sont aujourd’hui glorifiés, alors même que pendant des années, ils étaient péjoratifs. 

La roue tourne, rien de neuf dans ce constat; il se trouve juste que, du fait de son nouveau statut dépréciatif, le mot « propagande » a pour effet magique de glacer le débat : on le jette à la figure de l’adversaire comme pour le tétaniser; dès lors qu’on lui reproche d’être un tenant de la propagande, on signifie qu’il est à côté de la plaque, et qu’il est donc inutile de l’écouter. La logique à l’œuvre est imparable : « on ne me la fait pas, à moi : je suis parfaitement en mesure de décrypter l’odieuse propagande en cours; heureusement que je suis là pour la débusquer, et faire éclater la vérité ». Il en va ainsi pour toute allusion à une supposée propagande, qu’elle soit pro-américaine, anti-américaine, pro-nucléaire, anti-nucléaire, pro-vaccins,  anti-vaccins, etc. Le mot prospérant surtout sur le terreau des sujets clivants, étant entendu qu’on ne parlera jamais de propagande anti-moineaux, de propagande anti-crème caramel ou de propagande pro-chaussettes. 

Attention, je ne dis pas qu’il n’y a pas de propagandes; je dis juste que le fait d’invoquer ce mot clôt un peu vite le débat, puisqu’il induit une dynamique opposant ceux qui ont raison (nous) à ceux qui se couchent devant la propagande (les autres). Les lucides contre les naïfs, en somme. Et donc, la mort du débat, étant donné que le reproche de « naïveté » brise toute possibilité d’argumenter… « Comment oses-tu acheter ce shampooing, et céder ainsi à l’odieuse propagande shampooinesque ? » « Mais enfin, tu es complètement paranoïaque! Je ne cède à aucune propagande, voyons ». « Oh là, là, tu es bien naïf ». « Mais non : c’est toi qui es bien naïf de croire qu’il y a une propagande shampooinesque!  »  « Je ne suis pas naïf, je suis lucide ». « C’est moi qui suis lucide ». Bref, on n’est pas rendus, d’ailleurs je crains déjà de me voir reprocher, en ayant rédigé cette chronique, d’avoir cédé à quelque infâme propagande “chroniquesque”.

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